Los Angeles, Office of County Coroner’s Mortuary, 5 août 1962
Sur la dernière séance qu’il eut avec Marilyn, Greenson donna plusieurs éclairages. Dans un entretien au téléphone avec le journaliste Billy Woodfield le soir de l’enterrement, il déclara : « Ecoutez, je ne peux m’expliquer sans révéler des choses que je ne veux pas révéler. On ne peut pas tracer une ligne droite et dire : Je vous dirai ça, mais pas ça... Je ne peux en parler, parce que je ne peux vous raconter toute l’histoire... Interrogez donc Bobby Kennedy... » Il insiste sur un point : elle était couchée dans une chambre de l’aile destinée aux amis et non dans la sienne, comme si, chez elle, elle n’était pas chez elle. Mais le psychanalyste s’empresse d’ajouter que cela lui arrivait souvent. Quand Woodfield l’interroge sur les prescriptions répétées d’Hydrate de chloral et les « injections de jouvence », il répond : « Tout le monde commet des erreurs. Moi aussi. »
À Norman Rosten, il déclare : « J’ai reçu un appel de Marilyn vers quatre heures et demie. Elle semblait plutôt déprimée et plutôt droguée. Je me suis rendu chez elle. Elle était en colère contre une amie, qui avait dormi quinze heures cette nuit-là et furieuse parce qu’elle-même avait tellement mal dormi. Après que j’ai passé environ deux heures et demie avec elle, elle semblait calmée. » Millton Rudin se rappelle avoir entendu le psychanalyste s’exclamer le soir de la mort de Marilyn : « Bon Dieu ! Hy lui a fait une prescription sans me tenir au courant ! » Il le décrit épuisé. « Il en avait assez, il avait passé la journée avec elle. Il voulait avoir au moins un samedi soir et une nuit tranquille. » Greenson expliquera aussi à un enquêteur que dans son appel, elle s’était montrée extrêmement contrariée de n’avoir aucun rendez-vous amoureux ce soir-là, elle, la femme la plus belle du monde ! Selon lui, Marilyn était morte en se sentant rejetée par certains de ceux qui avaient été ses proches.

Sur les causes de la mort de sa patiente, on ne sait rien directement de la bouche de Greenson, qui a emporté ce secret dans la tombe. Seuls des propos rapportés dans des lettres aux autres analystes de Marilyn ou des déclarations révélées vingt ou trente ans après décrivent ses réactions. Deux semaines après, dans une lettre à Marianne Kris, il décrit leur séparation : « Le vendredi soir, elle avait dit à son médecin que je lui autorisais la prise de Nembutal, et il l’avait fait sans en référer à moi, négligence que je crois due au fait qu’Engelberg était en pleine séparation d’avec sa femme. Mais le samedi, au cours de ma première visite, j’ai observé que ma patiente était légèrement hébétée et deviné quel médicament elle avait pris pour être dans cet état. » Il évoque la décision de Marilyn de mettre fin à sa thérapie. « Elle voulait la remplacer par des enregistrements qu’elle ferait pour moi. Je me rendais compte que je commençais à l’agacer. Elle était souvent agacée quand je n’étais pas absolument et totalement d’accord avec elle... Elle était en colère contre moi. Je lui ai dit que nous en reparlerions, qu’il fallait qu’elle m’appelle le dimanche matin, puis je m’en allai. Le dimanche en question, elle était morte. »

Le psychanalyste fut entendu longuement par la police qui le convoqua pour déposition deux jours plus tard au Hall of Justice, puis par le District Attorney qui avait ordonné une « autopsie psychologique » et enfin par un collège de douze experts qu’on appelait la Suicide Investigation Team. Robert Litman, l’un des deux psychiatres de cette « équipe des suicides », avait été son élève. Interrogeant Greenson, il le trouva terriblement bouleversé et eut l’impression d’assumer son rôle de conseiller en situation de détresse plutôt que celui d’enquêteur.
Selon ce qu’il aurait déclaré à John Miner, avant de partir, Greenson avait pris des dispositions pour qu’on administre à sa patiente un lavement sédatif puisqu’elle présentait une résistance physiologique aux effets d’une médication par voie orale. L'Hydrate de chloral lui permettrait de dormir et faute de l’habituelle piqûre d’Engelberg, qu’il tenta vainement de joindre, la méthode la plus efficace lui sembla être un lavement – traitement que Marilyn utilisait souvent à d’autres fins. Greenson connaissait les lavements qu’elle pratiquait depuis des années. Elle lui en avait parlé. Il avait souvent constaté, comme il l’écrira dans son Traité technique, que les interventions de l’analyste elles aussi peuvent être vécues comme autant de lavements, comme des pénétrations pénibles ou des attouchements procurant du plaisir.
Qui fit ce lavement? Greenson, habitué à laisser à d’autres le soin d’administrer les médicaments, en a probablement chargé Eunice Murray. Mais il se peut qu’il n’ait jamais réellement quitté Fifth Helena ce soir-là et ait assisté à ces derniers soins. Pendant des années, il dit avoir dîné au restaurant avec des amis, mais il ne les nomma jamais, et aucun ne vint en témoigner. Après la mort du psychanalyste en 1979, sa famille ne fut jamais en mesure de les identifier.

Selon son propre récit, dans les derniers jours et les dernières heures de Marilyn, Greenson s’est comporté plus en médecin qu’en psychanalyste. Il savait mieux que personne qu’on n’écoute pas ceux qu’on touche. Il a donné libre cours à la toute-puissance sur le corps qu’il ne cessera ensuite de combattre, et au fantasme d’une analyse à fond, dans laquelle il pressentait une « analyse à mort ». Quelques mois plus tard, il écrira dans Technique et pratique de la psychanalyse :
Qu’est-ce qu’un psychanalyste? Réponse : Un médecin juif qui ne supporte pas la vue du sang! Ce mot d’esprit met en lumière plusieurs points d’importance. Freud s’était demandé quelles étaient les motivations de celui qui veut faire profession de psychanalyste, et tout en ne les prenant pas à son compte, faisait dériver l’attitude thérapeutique du sadisme surmonté et du besoin compulsif de sauver leurs malades.
La tendance à pénétrer le corps ou l’esprit de quelqu’un peut découler de la nostalgie d’une symbiose et d’un contact corporel intime, aussi bien que de visées destructrices. Un médecin sera ou le père sadique torturant sexuellement la mère victime (le patient), ou le sauveteur, ou la victime elle-même. Il peut mettre en acte le fantasme de faire à son patient ce qu’il aurait voulu que son père (ou sa mère) lui fasse; c’est parfois une variante de l’homosexualité et de l’inceste. Soigner le malade peut aussi découler du maternage – la mère soulageant la douleur en donnant le sein. Le psychanalyste se différencie de tous les autres thérapeutes en ceci qu’il n’a pas de contact corporel avec son patient, même s’il a avec lui une grande intimité verbale. En ce sens, il incarne plus la mère de la séparation que la mère de l’intimité.

Dans les années qui suivirent la mort de Marilyn, Ralph Greenson multiplia les entretiens avec des enquêteurs, espérant désarmer les critiques et accusations dont il était l’objet. Dans les récits innombrables de témoins incertains, il fut parfois présenté comme ayant tué Marilyn, soit involontairement par une prescription inappropriée ayant produit une interaction fatale entre deux médicaments, soit volontairement en participant à un complot pour l’éliminer. Psychiatre, juif, de gauche, Greenson se vit accusé d’avoir été un « psychanalyste assassin », un « comploteur sioniste » rançonnant sa patiente, un « agent du Komintern » chargé d’espionner la maîtresse du président des Etats-Unis. Homme de pouvoir et de charme, on verra en lui un médecin vénal travaillant seringue en main pour la mafia ou un amoureux en proie à une jalousie délirante. On psychanalysa le psychanalyste. On crut lui découvrir avec sa jumelle, Juliette, l’artiste aimée, protégée, admirée, applaudie, une relation amoureuse intense doublée d’une haine farouche, le tout reporté sur Marilyn par un contre-transfert massif.

Un témoin assura que Greenson demandait souvent à ses patients de tenir un journal en dehors des séances et qu’il fit disparaître avant l’arrivée de la police le carnet rouge que tenait Marilyn. Norman Jeffries, l’homme chargé par Eunice Murray de menus travaux, déclara qu’il avait vu de ses yeux Greenson tenter de ranimer l’actrice en lui faisant une injection intracardiaque d’adrénaline. Un autre récit mit en scène la mort de Marilyn le cœur percé d’une aiguille de quinze centimètres par un tueur portant des gants en latex aussi fins que ceux d’un chirurgien. L'aiguille se serait brisée sur le sternum. Vingt ans après les faits, un certain James Hall affirma qu’appelé en tant qu’ambulancier, il avait vu Greenson faire une injection de poison dans la poitrine de sa patiente. Selon une autre version, envoyé par Sam Giancana, encarté à la mafia et à la CIA, l’un des assassins qui tuèrent Marilyn pour compromettre Robert Kennedy avait comme surnom Needle (aiguille).

Les versions représentant Greenson en psychiatre dément amateur d’injections fatales sont cinématographiquement trop vraies pour être crédibles. Elles répètent de façon frappante des éléments de la mort de Robert Walker rapportés par le Los Angeles Times onze ans plus tôt. Sur le bras de l’acteur des coulées de sang résultaient d’une lutte lors de l’injection fatale que lui fit son psychanalyste, et après que les pompiers avaient constaté l’impossibilité de ranimer Walker, on avait vu le Dr Hacker en chemise, errant totalement égaré par les rues de Brentwood sous une pluie torrentielle.
Marilyn dernières séances
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