Lac Tahoe Cal-Neva Lodge, 28 et 29 juillet 1962
Au cours de ses trente-cinq derniers jours, Marilyn vit vingt-sept fois Greenson et vingt-quatre fois Engelberg. De l’un et l’autre, elle reçut un nombre de piqûres sédatives ou d’« injections de jeunesse » qu’ils ne voulurent pas préciser lors de l’enquête. Le journaliste de Life qui l’interrogea pour la dernière fois début juillet la vit interrompre l’entretien pour passer dans la cuisine où Engelberg lui fit une injection qui la tint surexcitée jusque tard dans la nuit.
Elle ne se rendit pas à New York, mais quitta Los Angeles à plusieurs reprises, en particulier deux week-ends au Cal-Neva Lodge, le casino qui appartenait conjointement à Frank Sinatra et Sam Giancana et était géré par Paul « Skinny » D’Amato. La première fois, Sinatra orchestra la fête. Officiellement, il invita Marilyn pour célébrer son nouveau contrat avec la Fox. Elle espérait pouvoir reprendre le tournage de Quelque chose doit craquer pendant la dernière semaine d’août. Sinatra lui proposait aussi de discuter d’un prochain film en vedette avec lui. D’après Ralph Roberts, Marilyn n’avait pas très envie d’y aller, mais se décida en apprenant que Dean Martin donnerait un show au Celebrity Room ce week-end-là. Sinatra emmena Marilyn dans son avion privé, le Christina, luxueusement équipé de moquette haute, avec lambris de bois sculpté, salon-bar, piano et salle de bains luxueuse – y compris un siège chauffant pour les toilettes. Elle se vit attribuer le bungalow 52 qui faisait partie d’un ensemble réservé aux invités de marque. Déguisée sous un foulard noir et des lunettes noires, elle demeura dans sa chambre la plupart du temps, dormant le téléphone à l’oreille branché sur le standard.
La deuxième fois qu’elle s’envola pour la frontière entre Californie et Nevada fut le dernier week-end avant sa mort. On la vit déambuler dans une sorte d’état second, comme un fantôme. Elle raconta à D’Amato des choses dont les gens ne devraient pas parler. Ce n’était pas une réunion d’amis venus fêter avec elle sa victoire contre la Fox, mais des gens bizarres qui voulaient qu’elle ne s’occupe plus des frères Kennedy et entendaient s’assurer de son silence. Un soir que le brouillard descendait sur la rive du lac Tahoe, on vit Marilyn, debout au bord de la piscine, pieds nus mais tout habillée, qui se balançait d’avant en arrière, les yeux fixés sur le haut de la colline. Quand ses hôtes la trouvèrent quelques heures plus tard dans un coma causé par un mélange de médicaments et d’alcool, ils la conduisirent hagarde et les bras ballants comme un pantin désarticulé à l’aéroport de Reno où ils l’embarquèrent à bord de l’avion privé. Elle revivait Les Désaxés. Elle voulut à tout prix que le bimoteur se posât à Santa Monica, mais l’aéroport était fermé la nuit et ils atterrirent à celui de Los Angeles. Elle hurlait qu’on la ramenât chez elle. Quand elle fut remise entre les mains de ses médecins et de Murray, elle tremblait de peur et commençait à comprendre la raison pour laquelle on l’avait fait venir. « Il s’est passé des choses que personne n’a racontées », dira laconiquement D’Amato.
Quelques jours après, Sinatra aurait remis au photographe Billy Woodfield une pellicule à développer. Dans la chambre noire, il découvrit des photos de Marilyn inconsciente et droguée, violée en présence de Sam Giancana et Frank Sinatra. Seul Dean Martin comprit quel était le problème de Marilyn, au-delà des médicaments, au-delà de l’alcool, au-delà de ce numéro sans fin de petite fille perdue. Il dit bien plus tard à un journaliste qu’en fait elle était incapable d’assumer l’horreur des choses qu’elle avait découvertes sans le vouloir, la forêt obscure de Sam Giancana, Johnny Rosselli et de « ses salopards de Kennedy chéris », ce monde obscur qui s’étendait derrière le pays des songes qu’elle avait partagé avec ceux qui payaient pour la voir sur l’écran. Elle voulait retourner dans ce conte de fées, mais ce n’était pas possible. Elle savait des choses que les gens refuseraient de croire. Dean le voyait bien : elle n’en avait plus pour longtemps dans ce monde. « Si elle ne la bouclait pas, elle n’aurait même pas besoin de médicaments pour la conduire vers sa destination. » Marilyn avait entrevu toutes ces choses à travers son innocence dévoyée, et ces choses l’avaient terrifiée. Dean ne parla pas. Ce qu’il savait, d’autres le savaient également : sur Monroe, sur les Kennedy, sur Sam Giancana, sur ce fil de vérité grise perdue au milieu des mensonges et des fantômes à paillettes de la cité des anges.
Bien plus tard, un soir qu’il était complètement saoul, Dean Martin lâcha : « Marilyn est morte à trente-six ans. Tant mieux, ça lui a évité de finir comme June Allyson, une actrice de notre jeunesse, qui n’est plus aujourd’hui qu’une voix à la radio, qui débite pour Kimberly-Clark des publicités de couches-culottes pour vieux. Elle vit toujours, elle. Si on peut dire. »
Marilyn dernières séances
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