71.
Le renouveau de l’est
Plume se retourna. Tout en bas de la colline, le Vaisseau Noir semblait déjà petit.
Matt repensa à l’accolade avec Mélionche. Ils allaient lui manquer ces pirates, et Jahrim bien sûr dont le souvenir resterait à jamais gravé en lui.
Quel panache ! Quelle générosité ! Jahrim leur avait sauvé plus que la peau, il s’était sacrifié pour donner une dernière chance à toute l’humanité face à Entropia. Matt était ému par sa disparition, même s’ils ne se connaissaient que depuis peu, il y avait en Jahrim plus de vie que dans les Cyniks rassemblés, et il se prit à espérer que la légende du pirate perdurerait longtemps, pour honorer sa mémoire.
La colonne de chiens suivait d’un pas léger. Si les maîtres n’étaient pour certains pas au mieux de leur forme, la meute, elle, retrouvait la terre ferme et la sensation de liberté avec une joie exubérante.
Les sacoches étaient pleines de vivres, les Pans avaient tout leur équipement, leurs armes, Tobias avait récupéré l’astronax avec un sourire de gamin le matin de Noël, et il avait même chargé les derniers bocaux de scararmées avec lui. Il filait plein est, se guidant avant tout avec le soleil, et ajustant de temps à autre à l’aide d’une boussole.
Lily continuait de jeter à Matt des regards noirs. Elle l’avait littéralement traité de fou et de tous les synonymes possibles lorsqu’il avait exposé son plan.
À l’entendre, le monde souterrain qui les attendait s’avérait pire que les Enfers.
Toutefois, tous les Pans approuvèrent le changement de cap.
Attendre à bord que les réparations soient effectuées n’était pas pour les rassurer, même si cela leur aurait permis de se reposer un peu et de se remettre de leurs blessures. Et puis s’il y avait un traître à Neverland et que tout l’empire savait où les attendre, ils n’avaient aucune envie d’aller se jeter dans la gueule du loup à New Jericho ! Au final, ce n’était pas comme s’ils avaient le choix.
Tobias gardait son bras en écharpe, mais c’était plus par prudence car il ne ressentait qu’une petite gêne. L’os n’était plus du tout fracturé. Dorine avait accompli un miracle.
En définitive, c’était Matt le plus amoché de tous et si le moindre pas de Plume réveillait une douleur dans une partie ou une autre de son anatomie, il savait que dans une semaine il irait bien mieux.
Il trottait avec Gus à ses côtés, Ambre lui tenait la main.
Rarement leur avenir ne lui avait paru si embrumé.
Les Maturs avaient expédié leurs ambassadeurs en Europe pour tenter de raisonner leurs « cousins » Ozdults.
Eden fuyait sur des navires, pour maintenir un semblant de vie au milieu de l’océan, en attendant qu’un groupe d’adolescents leur redonnent espoir.
Gaspar était en chemin pour affronter Luganoff, son père, et sa terrible arme secrète.
Et Entropia étendait son sinistre manteau sur le monde, encore et encore, sans ralentir.
Mais le Buveur d’Innocence n’était plus. Et ça, c’était au moins une bonne nouvelle, songea Matt.
Il ignorait ce qui les attendait au bout de ce voyage, mais il le faisait avec Ambre au bout des doigts et c’était le plus important. Il pivota vers elle. La jeune femme était plus belle que jamais, ses mèches d’or s’envolant dans le vent, le vert de ses yeux étincelant d’un air déterminé. Elle sentit son regard et lui adressa un sourire d’une infinie tendresse. Sa main serra plus fort. Oui, après tout, songea Matt, l’essentiel à sa vie se tenait à ses côtés, sa famille, son monde, son amour. Avec eux, il pouvait tout affronter, tout réussir.
Loin à l’est, s’étendait un monde inconnu, né dans les ruines ensevelies de l’ancienne Italie. Un territoire inviolé.
Là-bas, ils allaient tirer un trait sur leurs ennemis.
Il aimait le voir ainsi.
Ils migraient en direction d’un portail vers l’oubli.
À cette pensée, il fit accélérer un peu Plume. Il avait presque hâte d’y être.