39.
Sous un rayon du crépuscule
Le ciel s’obscurcit pendant près de cinq jours. Des nuages gris, lourds, menaçants, s’accumulèrent au-dessus de la vallée au point de faire craindre à Matt qu’Entropia était aux portes de leur domaine, lorsque plusieurs d’entre eux s’éventrèrent contre les montagnes pour libérer des orages d’une violence inouïe. Heureusement, ils demeurèrent sur les flancs des pics, et ne couvrirent Neverland que de pluies intenses.
L’après-midi du dernier jour, tandis que les gouttes se faisaient moins nombreuses, Matt se reposait dans le petit salon de l’aile nord après avoir longuement brossé Plume, lorsque Chen et Tania entrèrent avec précipitation pour sauter sur les fauteuils.
– Il paraît que tu envisages de partir bientôt ? rapporta Chen.
– Léo t’a vu en train d’aiguiser ton épée sur une meule, ajouta Tania.
Chen surenchérit :
– Et Archi dit que tu as pris un grand sac à dos dans les réserves d’équipement et que tu le remplissais de matériel d’exploration, c’est vrai ?
Matt posa le livre qu’il avait emprunté à la bibliothèque et se releva.
– Tu étais à la bibliothèque hier toute la journée, ajouta Tania. Apparemment, tu étudiais les cartes de l’Italie et du bassin méditerranéen.
Matt leva les paumes devant lui :
– OK, c’est bon, assez de preuves, je plaide coupable.
– Mais tu vas aller où ? s’étonna Chen.
– Et tu ne nous en parles même pas ? insista Tania, faussement outrée.
– J’ai commencé à préparer le terrain auprès de Clara et Archibald ; que Ambre et Tobias parviennent jusqu’à nous ou pas, il faudra que quelqu’un tente de retrouver le dernier Cœur de la Terre avant que le Buveur d’Innocence ou Ggl ne le fasse.
– Et tu comptes y aller tout seul ? s’écria Chen. Même pas en rêve ! Si tu pars, je pars avec toi !
Tania le défiait du regard. Un air implacable qui semblait dire : « Vas-y, essaye seulement de m’empêcher de t’accompagner et tu vas voir ! »
– Écoutez, les amis, je vais partir à l’aventure, je veux dire : vraiment à l’aventure ! Presque au hasard. J’ai une vague idée de la direction, mais ça reste très très approximatif. Il est fort probable que je ne parvienne jamais jusqu’au Cœur de la Terre, encore plus certain que je ne le trouve jamais, mais je ne peux pas rester là, sans au moins tenter ma chance.
– Je sais, approuva Chen. Mais mon pote ne va pas se mettre dans les pires ennuis de son existence sans que je l’accompagne.
Matt prit un air grave :
– Chen, ça ressemble plus à un billet sans retour…
– Si tu pars seul, peut-être, mais avec nous c’est moins sûr. Tu as besoin d’une escorte, d’aide, Tania et moi nous serons ceux-là. Et Orlandia veut aussi en être !
Il suffit à Matt de les regarder un seul instant pour savoir qu’argumenter était vain. S’il voulait partir sans eux, il lui faudrait le faire dans leur dos, à la nuit tombée. Brusquement, il ne se sentit pas la légitimité de les priver de ce droit. Il ne s’adressait pas à des débutants, tous avaient déjà vécu bien des épreuves. Ils savaient dans quoi ils s’embarquaient, le prolongement direct de leur présence en Europe ; tous avaient frôlé la mort, ils l’avaient côtoyée avec les décès de copains comme Floyd. Il ne pouvait les empêcher de venir finir ce pour quoi ils étaient ici, loin de chez eux.
Matt fit un imperceptible signe de la tête pour signifier qu’il acceptait, et Chen lui sauta dans les bras, suivi par Tania.
– Idiot ! dit enfin celui qu’on surnommait Gluant à cause de son altération. Tu as vraiment cru que tu allais filer à l’indienne ? On te connaît par cœur ! Tania et moi on se relaye pour jeter un œil sur les écuries. On sait que tu as la bougeotte, alors on se doutait que tu préparais un mauvais coup, surtout que le temps passe et qu’il n’y a pas de nouvelles de Tobias et Ambre. Alors on surveille Plume. Tu ne partirais jamais sans elle, et elle est quand même plus facile à espionner que toi !
– Espèce de traîtres, plaisanta Matt. Vous êtes les meilleurs traîtres qu’on puisse avoir pour amis.
– Tu as prévu de partir quand ? s’enquit Tania.
– Encore cinq jours. Si Ambre et Tobias ne sont pas là, alors je n’ai plus de raison d’attendre encore. Trois semaines c’est assez pour venir jusqu’ici.
– Et s’ils se sont perdus ?
– Ambre avait un plan, elle semblait sûre d’elle. De toute façon nous ne pouvons rester ici sans rien faire et laisser filer un temps précieux. Il fallait fixer une limite.
– Et même si on trouve le Cœur de la Terre, on est censés en faire quoi sans Ambre ? Personne ici n’est capable de le… de l’assimiler.
– Il faudra improviser. Les Ozdults sont parvenus à transporter celui qui était à la cité Blanche, nous en ferons autant. Prenons les problèmes comme ils viennent.
– Tu as raison. À nous tous, nous trouverons une solution.
– Comment ça, nous tous ? Parce qu’il y a quelqu’un d’autre que nous trois ? s’étonna Matt.
Chen parut un peu embarrassé, alors Tania avoua :
– Ceux qui te connaissent ont compris que tu programmais de partir bientôt… Alors on s’est rassemblés et… et on a décidé de qui partait et qui restait.
Matt n’en revenait pas.
– Qui ça ?
– Eh bien déjà nous trois, compta Chen, pour le compte d’Eden. Et les Kloropanphylles ne veulent pas te laisser y aller sans eux. Alors Orlandia s’est portée volontaire et probablement Torshan pour l’accompagner. Je serais étonné que les Représentants ne nous confient pas quelqu’un de Neverland pour nous aider. Piotr avec qui tu es venu, peut-être.
Matt pouffa, plus de surprise que d’amusement.
– Tout le monde complote dans mon dos !
– Bah… en même temps tu es une tête de mule, il faut bien compenser…
Tania enfonça le clou :
– Et c’est trop important pour que tu sois le seul à t’en charger. C’est une mission pour nous tous.
Après un silence méditatif, Matt approuva d’un bref signe du menton :
– Si nous partons en groupe, il nous faut un guérisseur, dit-il.
– Dorine ? proposa Tania.
– Si elle est consciente de ce qu’implique ce voyage et qu’elle est d’accord.
– Qui nous guidera ?
– Personne ne connaît toute l’Europe et encore moins le sud où nous partons, répliqua Chen.
– Il nous faut quand même quelqu’un qui maîtrise la géographie de la zone franche, songea Tania à voix haute. Nous la traverserons le plus possible jusqu’aux limites sud, au moins c’est un territoire où nous n’aurons pas à nous battre avec tous les adultes que nous croiserons.
– Tous ne sont pas amicaux pour autant, rappela Chen.
– Alors qui pourrait nous guider ? insista Tania.
Matt proposa :
– Je pense à un garçon robuste, un Pionnier. Il s’appelle Edo.
– Il va falloir le convaincre de venir pour une aventure qui ne comprend peut-être pas de retour, dit Chen d’un air sombre. Qu’est-ce qui te fait croire qu’il acceptera ?
Matt haussa les épaules.
– Rien, c’est vrai. Mais je lui demanderai.
– Inutile, fit une voix au-dessus d’eux, sur la passerelle de bois qui traversait le salon. Je vous guiderai.
Les trois Pans se penchèrent pour voir Lily sortir de l’ombre. Elle avait écouté toute la conversation, dissimulée.
– Est-ce que tout le monde espionne tout le monde dans ce fichu château ? lâcha Matt sans réelle colère.
– Je suis désolée. Je voulais te voir lorsque tes amis sont arrivés et je… En tout cas je pars avec vous. Je suis volontaire.
– Lily, c’est d’un Pionnier dont nous avons besoin.
– Je connais la zone franche mieux que certains d’entre eux. J’ai fait partie des premières équipes à explorer le sud, à commercer avec les hommes là-bas. Personne ne connaît Mangroz aussi bien que moi. Et si vous comptez aller loin au sud, il vous faudra un bateau à Mangroz. Avec moi vous avez une chance d’en obtenir un.
– Ce sera risqué, très ris…
– Bien sûr ! Crois-moi, je sais à quel point retourner à Mangroz est dangereux, tu n’as pas idée ! Mais je suis la fille qu’il vous faut. Et rien ne me retient ici, alors je viens.
Tania ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, avant de se rendre compte que c’était inutile, Lily parlait posément, elle ne s’investissait pas sous l’effet d’un coup de tête.
Matt fit claquer ses mains contre ses cuisses.
– Bon, eh bien il semble que nous ayons notre guide.
Tania et Chen s’observèrent. Ils savaient à quel point le monde qui les attendait serait périlleux, et le peu de chances qu’ils avaient de revenir un jour jusqu’ici, pourtant ils ne pouvaient s’empêcher de partager une certaine excitation.
– Je vais préparer des sacs avec tout ce qu’il faut, avertit Chen.
– Et moi je m’occupe de prévoir les provisions.
– Chen, tu monteras Zap comme d’habitude, rappela Matt, et toi Tania tu veux refaire équipe avec Draco ?
À l’évocation du golden retriever qui l’avait portée après la mort de Lady dans le cloaque des Dieux, Tania approuva sans parvenir à retenir les larmes qui embrumèrent ses yeux. Matt lui passa la main dans le dos, un peu maladroit.
– Ça va aller, dit-elle. C’est juste qu’elle me manque.
Lily était descendue, elle entra dans le salon pour venir s’asseoir en face de Matt.
– Je vais rassembler toutes les notes de nos Pionniers sur le sud de la zone franche, prévint-elle. Et j’irai parler avec les derniers à y être allés.
– À quoi ressemblent les terres qui nous attendent ? s’informa Matt.
– Des forêts, puis les marécages interminables de Mangroz, d’où nous devrons prendre le bateau pour naviguer dans les canaux, jusqu’à rejoindre le fleuve du rift qui nous conduira à New Jericho.
– New Jericho ? C’est une ville de la zone franche ? demanda Chen.
– Non, c’est le plus grand port de l’empire d’Oz. Mais rassurez-vous, c’est une cité si vaste qu’on y passera inaperçus. La ville est particulière, pas totalement soumise à la coupe de l’empereur. Ils sont bien plus laxistes avec les règles. Nous la traverserons sans problème.
– Elle a été construite sur les fondations d’une ancienne ville humaine ?
– Oui, je crois que c’était la ville de Marseille, en France.
– Doit-on obligatoirement passer par une ville ozdult ? s’inquiéta Matt.
– Pour le ravitaillement d’une part, avant d’embarquer à travers la Méditerranée, et surtout parce que nous ne pouvons atteindre la mer autrement !
– Et pourquoi pas à travers l’ancienne Italie ? Elle aussi est aux mains d’Oz ?
Un voile passa sur le visage de Lily.
– Non, non, surtout pas. Personne ne circule plus jamais par là. Ce sont des terres effondrées.
Tania tiqua :
– C’est quoi des terres effondrées ? Tu veux dire comme le rift à l’ouest ?
– Le rift n’est que le prolongement, la fissure qui s’est étendue depuis l’affaissement du grand sud. Tout ce qui était à la place de l’Italie et je crois une partie aussi des pays à l’est ont entièrement disparu sous terre. Pendant la Tempête, c’est comme si les fondations avaient été trop anciennes, tout est tombé d’un coup, il paraît que c’est pareil encore plus loin, en Grèce.
– Le pays est ravagé ? devina Matt. Tout le monde est… mort enseveli ?
Lily secoua doucement la tête.
– Non. Ce qui a survécu vit désormais sous terre. Les ruines de l’ancien monde sont à présent un royaume souterrain infini, un labyrinthe mortel dont personne ne ressort jamais, qui s’étend sur des centaines de kilomètres, sinon des milliers.
– Et circuler en surface, c’est impensable ?
– Plus de routes, plus de sentiers, rien qu’un paysage déchiqueté, impraticable. Nous perdrions un temps fou à nous frayer un chemin, et puis il se murmure que le peuple souterrain sort chasser une fois la nuit tombée. Non, passer par là-bas est juste impossible. Personne ne pourrait nous guider et nous y trouverions la mort sans aucun doute.
– Alors ce sera la New Jericho, trancha Matt. En espérant que les Ozdults nous fichent la paix.
– Nous la jouerons profil bas et tout se passera bien, les rassura Lily.
Matt se leva :
– Je vais sélectionner nos meilleurs chiens pour ceux qui n’en ont pas. Dans cinq jours, nous serons parés.
L’absence d’Ambre et de Tobias avait rétréci son cœur jusqu’à le transformer en une masse de plomb qui pesait une tonne. Pourtant, en cet instant, si son cœur n’était pas plus léger, les bras de ses amis l’aidaient à le porter.
Cela faisait plus d’une heure que Matt essayait de le semer, mais il dut se rendre à l’évidence : impossible de fausser compagnie à un chat lorsqu’il a décidé de ne pas vous lâcher. Il l’avait remarqué en train de le fixer tandis qu’il sondait le ciel pour voir si la météo pouvait se maintenir au beau fixe jusqu’au lendemain, jour du départ.
Le chat était perché sur les remparts, les oreilles s’agitant au vent comme des girouettes, pour capter tous les sons possibles. Matt avait tout fait : courir, emprunter des raccourcis, fermer les portes, se cacher, faire semblant de partir vers un couloir et se précipiter vers l’étage inférieur : en vain. Les chats avaient une science de l’architecture de Neverland que personne d’autre ne maîtrisait aussi parfaitement, allié à un sixième sens infaillible.
Matt n’avait pas envie d’être épié pendant ses préparatifs. Il avait décidé de ne pas s’en cacher et, si tous les chats du domaine devaient se dresser sur son chemin, alors il enverrait Plume et en quatre enjambées ils seraient dehors. Son expérience avec la dame aux chats, aussi courte fut-elle, ne l’aidait pas vraiment à cerner ses motivations au-delà d’une folie manifeste. Il ne pouvait y avoir de négociation. Elle n’avait aucun droit de le retenir.
Constatant que les chats n’allaient pas l’oublier, Matt capitula et vaqua à ses occupations nombreuses en cette dernière journée. Il était passé par la chapelle pour prendre des nouvelles de Lanz et Newton. Ce dernier avait mis près de dix jours à se remettre d’avoir créé une liaison entre Eden et Neverland, mais il affirmait se sentir à nouveau prêt à retenter l’expérience. Matt comptait prendre des nouvelles de ses amis en Amérique au moins une dernière fois avant de partir pour le sud.
Puis il avait vérifié que les chiens étaient tous en bonne santé et parés pour le voyage, avant de rejoindre les quatre bricoleurs que Gaspar lui avait recommandés pour fabriquer des tapis de selle molletonnés avec des étriers. Une selle n’était pas adaptée à la monte des chiens, en revanche, un tapis confortable serait le bienvenu, avec deux boucles de chaque côté, au bout de lanières de cuir réglables pour y caler ses pieds et garantir un peu plus de stabilité.
Les tapis étaient tous terminés et Matt voulait féliciter l’équipe.
Il passa par l’armurerie où Chen brandit une arbalète de carbone.
– Ils m’en ont trouvé une ! s’exclama-t-il. Une double-tir !
Matt remarqua alors qu’en effet, il s’agissait d’un modèle très semblable à celui que Chen utilisait avant le naufrage du Vaisseau-vie : deux rampes et deux arcs de tirs superposés et déclenchés par une double détente sur la poignée.
Matt s’adressa au responsable de l’armurerie, plein d’espoir :
– Vous avez trouvé ce que je vous ai demandé ?
Le garçon lui sourit et poussa un gros carton devant lui :
– Tout un stock de gilets pare-balles qu’on a récupérés il y a six mois dans les ruines d’un commissariat. Ils sont légers et solides. Bon, après faut pas non plus rêver, ça protégera pas de tout mais contre une lame de mauvaise qualité, je pense que ça fera l’affaire.
– C’est parfait !
Matt le remercia chaleureusement avant d’emporter le carton, beaucoup trop lourd pour n’importe quel Pan qui n’aurait pas son altération de force, et d’aller le ranger dans le petit salon de l’aile nord où étaient entreposées leurs affaires pour l’expédition.
Matt ne tenait plus en place. Il fallait qu’il s’occupe, qu’il coure partout pour épuiser son corps, afin que le soir venu il s’effondre enfin de fatigue sans penser. À Tobias. À Ambre. Son obsession. Sa douleur permanente. Il ignorait comment il allait faire pour vivre avec ce manque, ce vide, cette ignorance, et en même temps il savait qu’il devait lutter contre le désespoir. Une nouvelle vie débutait. Une existence creuse, grise, où il ne serait jamais plus le même, où il ne vivrait que pour les autres, dans le but de les sauver, car il n’avait plus grand-chose à sauver en lui-même.
Le soir vint et il prit la direction de la chapelle. Il devait passer par la salle du trône saluer les Représentants, et il n’avait pas encore dîné.
Lorsqu’il entra, Johnny l’accueillit froidement, et Matt ne mit pas longtemps avant de comprendre.
– Je ne peux pas t’emmener avec moi, dit-il au jeune garçon.
– Pourquoi ? Ne suis-je pas fiable ? T’ai-je déçu une seule fois depuis que tu m’as nommé responsable des télégrâmes ?
– Non, Johnny. Et c’est justement pour ça que tu ne peux pas partir avec moi. Sinon en qui vais-je avoir confiance ici ? Qui reprendra notre mission ? Le contact avec Eden ne doit surtout pas se perdre ! Et cet endroit sera notre seul lien entre vous, à Neverland, et notre expédition ! Nous nous arrêterons parfois dans des églises pour essayer de vous parler. Il faut quelqu’un dans cette chapelle pour nous écouter. Nous attendre. Tu comprends ? Est-ce que tu peux être cet homme de confiance ? Mon homme de confiance ?
Johnny, qui n’avait pas vu les choses sous cet angle, se redressa et bomba le torse, après avoir passé en revue toutes les responsabilités qui devenaient siennes.
– Bien sûr ! Évidemment que tu peux compter sur moi !
Matt lui posa la main sur l’épaule et se pencha pour être au même niveau que lui :
– Autre chose, Johnny. Un truc plus important que tout pour moi.
Le jeune Pan acquiesça, concentré, les oreilles grandes ouvertes :
– Je veux que tu écoutes attentivement, reprit Matt. Si tu entends un message d’Ambre ou de Tobias, mes amis, il faudra que tu me répètes tout sans rien oublier. Motive tes télégrâmes, qu’ils soient vigilants. Je trouverai un moyen de te contacter.
– Aucun problème. Avec Lanz et Newton on va recruter une armée de télégrâmes ! Ils seront nos oreilles et nos bouches dans le monde des esprits !
Matt sourit et approuva, puis son air grave retomba sur ses traits et les assombrit.
– En revanche, promets-moi que tu te tiendras à distance des mangeurs d’âmes ! Promets-moi que si Newton ou Lanz te rapportent leur présence, tu ne chercheras jamais à maintenir une communication. C’est juré ?
Johnny se racla la gorge et cracha sur le dallage.
– Juré ! Sur ma vie.
– Justement Johnny, justement, c’est de ta vie qu’il s’agit, dit Matt en lui passant la main dans les cheveux. Ah, et une dernière chose : par pitié, chasse les chats qui voudront mettre leur sale nez de fouineurs dans nos affaires ! Pas de chats dans la chapelle !
– Ça, c’est presque impossible, ils font ce qu’ils veulent…
Il ne savait pas comment l’expliquer, mais Matt s’était pris d’affection pour ce jeune garçon. Il n’était pourtant pas différent des centaines d’autres qu’il avait croisés durant son existence parmi les Pans, mais un lien affectif fort s’était tissé entre eux, comme avec un petit frère.
– Tu veux que j’appelle Lanz et Newton ? demanda Johnny.
– Oui. Nous allons essayer de créer un pont avec Eden.
– Je crois que ça va attendre, lança Lily en entrant dans la chapelle.
Elle plongea dans les yeux de Matt ses prunelles intenses.
– Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta l’adolescent.
– Nous avons besoin de toi. Maintenant.
Matt n’aurait su dire si elle était paniquée ou d’une gravité extrême, mais il lui emboîta le pas sans broncher.
Elle l’entraîna vers le grand escalier et ils foncèrent dans le vaste hall d’entrée du château. L’horloge se mit à sonner au même moment, les informant que le soleil se couchait sur l’horizon et qu’il n’était plus temps de mettre le nez dehors.
Matt dévalait les marches derrière Lily, lorsqu’il releva la tête.
Il s’arrêta net et vacilla.
Elle était là. Au milieu d’un rassemblement de curieux qui accouraient de partout pour voir ce qui se passait.
Les derniers rayons du soleil semblaient se poser exprès sur son visage à travers les hautes fenêtres, et sa chevelure blonde s’embrasait dans le crépuscule.
Tout comme le cœur de Matt.
Ambre.