12.

Messages secrets


Une petite bougie brûlait sur le tabouret qui servait de table de chevet. Elle suffisait à Ambre pour lire. Du moins en théorie.

Elle avait demandé aux deux femmes qui venaient lui apporter son dîner de déposer une pile de livres sur le matelas, à côté d’elle. Ambre disposait d’environ deux heures avant qu’elles ne reviennent récupérer le plateau-repas et souffler la bougie pour la nuit.

La journée avait été éprouvante et en même temps rassurante. C’était tellement bon de pouvoir à nouveau se déplacer par ses propres moyens ! Ambre avait savouré chaque seconde de cette « indépendance », même si ce n’en était pas vraiment une puisque le Maester Morkovin ne l’avait pas lâchée une minute. Il avait reçu ses hommes avec Ambre assise non loin, signé des documents, écouté attentivement les doléances des marchands, géré l’organisation de son palais, et chaque fois, il jetait un coup d’œil à Ambre pour vérifier ce qu’elle faisait. Avec Monsieur Judas c’était encore pire, il ne la lâchait pas d’une semelle, montrant ses petits crocs jaunes lorsqu’elle lui faisait une grimace, agacée par sa surveillance permanente. Ambre alternait les moments de pure concentration et les fausses tentatives d’expériences plus concrètes. En fin de journée, elle se sentit tout de même obligée de donner le change et, usant seulement de son altération, elle se focalisa sur une longue table en chêne qu’elle fendit d’un coup par la pensée. La soupière en son centre se renversa et manqua blesser le singe qui courut se réfugier dans les bras de son maître en hurlant.

– Oh pardon ! s’était-elle empressée de s’excuser. Je sens que c’est là, tout au fond, mais je ne maîtrise pas encore très bien les remontées de pouvoir !

Morkovin n’avait pas paru en colère du tout, bien au contraire, il avait souri et hoché la tête en lui faisant signe de continuer.

Toute débauche de force, tant qu’elle serait impressionnante, ne pouvait que satisfaire le Maester.

Ambre s’interrogeait d’ailleurs sur ses motivations réelles. Pouvait-elle vraiment espérer une aide de lui ? Lorsqu’il verrait les hordes monstrueuses d’Entropia débarquer dans sa ville, ne changerait-il pas d’avis ? Ne proposerait-il pas une alliance au monstre pour s’en débarrasser, ou du moins pour survivre ?

Morkovin soufflait le chaud et le froid. Aussi compatissant, protecteur et réconfortant qu’il pouvait se montrer impitoyable et glacial. Une détermination inquiétante brûlait dans ses prunelles lorsqu’il parlait de hiérarchie, de Luganoff ou d’Oz.

Ambre voulait lui faire confiance, c’était un espoir de petite fille trop souvent déçue par les adultes, et en même temps, la Pan en elle lui commandait la méfiance.

Pour ne pas finir dans l’une des fioles à sa ceinture.

Ambre prit le livre noir et vert qui l’intéressait. Comme presque tous les autres, il était écrit en français. Personne n’avait songé à lui demander si elle lisait la langue de Molière ! C’était complètement idiot de leur part ! Depuis le Grand Réveil, Oz avait décrété que la langue officielle serait l’anglais pour que tous les adultes puissent se comprendre. Mais en imposant un seul langage, l’empereur avait tant appauvri la culture des hommes et uniformisé leur quotidien qu’ils ne réfléchissaient plus sur plusieurs plans, tout se devant d’être linéaire comme leur pensée.

Elle secoua le livre et une feuille tomba. C’était l’une des toutes dernières pages, de celles qui terminaient les cahiers d’impression, une page vierge ! Du moins au départ. Car Ambre avait commencé à découper des lettres, des bouts de mots, délicatement, par-ci, par-là, pour ne pas éveiller l’attention si on venait à les feuilleter un peu rapidement. Du bout des doigts, elle avait prélevé des fragments pour les coller avec sa salive sur la page.

Progressivement, des phrases s’étaient dessinées sous ce patchwork de morceaux de papier jauni, lettre après lettre, mot après mot, pas toujours parfaitement alignés, mais bien compréhensibles : « Je cherche moyen pour sortir. Demandez livres pour communiquer comme moi. Tenez-vous prêts. »

C’était déjà bien pour commencer. Maintenant, le plus dur restait à faire. Ambre roula la page en boule, en prenant soin de ne pas décoller son œuvre, pour l’enfoncer dans sa poche.

Elle se dressa sur les coudes et bascula vers le bord du lit, une main sur le sol pour amortir la descente. Elle avança ainsi jusqu’à ce que ses jambes tombent, un peu violemment à son goût, mais elle ne sentit presque rien. Puis elle rampa en direction de la porte, dynamique et sûre d’elle. Ses genoux s’écorchaient un peu sous le frottement, mais elle n’en tint pas compte.

Le judas était resté ouvert. Les geôlières ne le fermaient que de temps en temps, quand elles y pensaient.

Ambre attrapa du bout des doigts la ferrure basse de la porte et tira de toutes ses forces pour se hisser et saisir la poignée de l’autre main, et ainsi poursuivre son ascension. Elle soufflait, endurait la pression du métal sur sa chair, et réussit à s’agripper au rebord du judas pour se tenir presque droite.

Elle grimaçait, dut retenir sa respiration le temps de vérifier qu’il n’y avait personne dans le vestibule qui séparait les deux cellules. Une jambe dépassait dans le passage, un peu plus loin, à côté de la trappe secrète. C’était le garde. Ambre reprit son souffle. Si elle ne faisait pas de bruit, il ne la remarquerait pas. Il était caché par le renfoncement où était installé son tabouret, bien positionné contre le fond pour lui permettre de dormir contre le mur.

Le judas donnant chez les Kloropanphylles était ouvert également.

Parfait !

Le plan pouvait être mis à exécution. Ambre prit la boulette de papier. Elle avait longuement hésité à en faire d’autres, sans rien dessus, juste pour s’entraîner à viser la mince ouverture car il ne fallait surtout pas qu’elle manque sa cible. Si un Ozdult venait à trouver son message dans le vestibule, ils seraient tous bons pour l’usine à Élixir ! Mais Ambre avait renoncé aux tirs d’entraînement. Des boulettes de papier sur le sol, même vierges, risquaient d’éveiller les soupçons. Et c’était le meilleur moyen de s’obliger à réussir.

Une seule chance ! Concentre-toi ! Tu dois le faire du premier coup. Sinon… Sinon c’est peut-être la mort !

Elle prit une profonde inspiration.

Si seulement j’avais mon altération !

Morkovin lui avait remis l’entraveur avant qu’elle ne soit reconduite dans sa chambre.

Elle fixa l’autre judas. Il n’était pas assez proche pour qu’ils puissent parler sans que le garde les entende, mais pas non plus trop loin. À peine deux mètres cinquante, estima la jeune femme.

Il fallait qu’elle arrête de réfléchir.

Elle s’appuya de toutes ses forces sur une main, grimaçant sous l’effort, et sortit le bras droit du judas. Elle visa. Longuement. Son bras mimant le geste plusieurs fois. Puis elle lança la boulette.

Son cœur s’arrêta de battre, le temps qu’elle s’envole et traverse le petit vestibule pour filer droit à travers le judas d’en face.

Oui !

Elle eut soudain envie de crier sa joie, mais tout son poids reposait sur son autre main et le bois lui cisaillait la paume.

Juste avant de lâcher, Ambre perçut le son d’une chaîne qui cliquetait, et elle entr’aperçut une ombre derrière le judas opposé.

Le message était reçu.

Les Kloropanphylles ne pouvaient rien dire sans être entendus par le garde, mais au moins ils savaient ce qu’elle manigançait.

Le lendemain matin, lorsque les femmes revinrent, l’une demanda à Ambre :

– De quels livres tu n’as plus besoin ?

Ambre en désigna six qu’elle n’avait pas découpés et la femme les emporta avec elle. En entendant l’autre porte grincer, Ambre serra le poing en signe de victoire.

Toute la matinée, elle la passa dans le même salon à l’étage, en compagnie du Maester Morkovin et de son odieux primate. Elle faisait semblant de s’entraîner, de se concentrer, ce qui était parfois vrai. Elle s’amusait à traquer chaque parcelle de cette énergie folle qui tournoyait en elle, et dont elle localisait le centre dans son bas-ventre, tandis que le Maester multipliait les entretiens. Ambre écoutait distraitement, au cas où des informations lui seraient utiles, mais ce n’était que des histoires de provisions pour l’hiver, de récoltes, de tours de garde, d’effectifs, rien que des choses d’Ozdults sans intérêt.

Puis, le midi, Morkovin se leva et fit signe à Ambre de le suivre :

– Nous sortons.

– Moi… Moi aussi ? s’étonna la jeune femme.

– Oui, je veux que tu continues à retrouver tes sensations, et mes affaires m’attendent dehors, en ville. Sois obéissante. Et ne fais rien d’idiot. N’oublie pas que tes amis sont ici, dans les caves, et que je peux t’asservir à tout moment, insista-t-il en désignant ses flacons d’Élixir.

Ambre acquiesça et, usant de son altération, elle glissa derrière lui avec un brin de joie lorsque le Maester décida de laisser son singe au château. Ambre le nargua d’un rictus satisfait et le singe cracha comme un chat lorsque la porte se referma sur lui. Ils descendirent par le grand escalier jusque dans le hall où Morkovin attrapa une capeline légère, en soie bleu nuit, et invita Ambre à s’approcher pour la lui passer sur les épaules.

– Tu seras plus discrète ainsi. Beaucoup ont vu ton visage l’autre jour sur la Grand-Place et je ne veux pas d’ennuis.

Il rabattit la capuche sur sa tête et Ambre soupira. Elle avait l’impression d’être une bête de foire qu’il fallait cacher.

– Voilà qui est mieux.

Il saisit son menton du bout des doigts et la regarda dans les yeux.

– Tu es une très jolie jeune femme, dit-il avec tendresse. Tu attires les regards, c’est normal. Si tu étais adulte, tu l’assumerais, et tu en jouerais même comme d’une arme redoutable.

Ambre était à présent gênée. Elle n’aimait pas cette situation dont elle ne maîtrisait pas les codes.

Le Maester déposa une petite tape amicale sur sa joue et enfila à son tour sa lourde cape avant de sortir sous l’escorte de ses quatre soldats en armure.

Ils marchèrent sur la Grand-Place et Morkovin jeta un coup d’œil préoccupé vers le ciel, au nord. Il était noir comme avant la Tempête.

– C’est Entropia qui approche, commenta Ambre.

– Les messagers annoncent la venue du nouvel allié de l’empereur. S’il nous apporte le mauvais temps, il ne sera pas très populaire ! plaisanta le Maester sans rire.

– Il apporte la nuit éternelle.

Morkovin fixa la jeune femme et, pour la première fois, il parut douter de ses certitudes.

Ils s’engagèrent dans une rue bordée de maisons en briques ou en pierre ocre, où les vendeurs de charbon, de bois, de tissus et de grains occupaient une large partie de la chaussée, et Ambre constata que tous s’écartaient à l’approche des soldats du Maester. Elle ne parvenait pas à s’habituer à la vision des enfants qui filaient à leur besogne, esclaves des adultes, le regard éteint, les épaules basses, enfermés dans leur résignation. Cet asservissement la dépassait.

Ils s’arrêtèrent enfin devant une tour surmontée d’une grande horloge en panne et les gardes restèrent à l’entrée tandis que Morkovin poussait Ambre dans un hall qui sentait la cannelle. À l’intérieur, ils furent conduits jusqu’à l’étage, dans un grand salon occupé par des canapés anciens et plusieurs tables encombrées de plans de la ville et de cartes de la région. La lumière du jour était tellement grise que les nombreuses baies vitrées ne suffisaient pas à éclairer la salle.Des dizaines de bougies de toutes les tailles brûlaient un peu partout, diffusant un parfum capiteux de cannelle.

Un homme vint saluer Morkovin. Il avait environ cinquante ans, une moustache et une barbichette aussi noires que ses cheveux, et l’air sévère malgré le sourire faussement amical qu’il affichait par convenance. Sous la tunique vert sombre brodée du O impérial, il portait une cotte de maille et de hautes bottes en cuir. Un militaire.

– Compton, mon cher, je viens faire le point sur nos effectifs.

– Maester, comme vous me l’avez demandé, j’ai recruté massivement ces derniers temps. Les forges travaillent jour et nuit pour fournir armes et armures, et l’entraînement a déjà commencé.

Ambre fronça les sourcils. Compton. Ce nom lui évoquait quelque chose…

L’officier qui a acheté des Pans le jour où l’astronax est arrivé en ville !

L’intérêt de la jeune femme se réveilla. Elle se mit à scruter les portes, ce qu’elle pouvait distinguer des autres pièces, cherchant à apercevoir des silhouettes.

Morkovin s’aperçut de cette curiosité et lui désigna l’un des canapés près d’une baie.

– Ambre, va donc t’installer là-bas, veux-tu ?

Son regard était insistant, aucune discussion possible. Ambre obéit.

– C’est ta nouvelle mignonne ? s’étonna Compton en lissant sa moustache. Elle est bien jeune ! Mais certainement belle !

Le Maester ignora la question et entraîna l’officier un peu à l’écart pour lui parler à voix basse.

Ambre se demandait comment faire pour approcher les esclaves de Compton sans éveiller les soupçons de Morkovin. Pour ce qu’elle en devinait, il l’avait peut-être amenée ici pour la tester, s’assurer de sa bonne volonté. Il fallait qu’elle donne le change. Elle décida de se concentrer, en fermant les yeux, ce qui lui permettrait de réfléchir à ce qu’elle pouvait faire.

Quelques instants plus tard, Compton secoua une petite clochette et un garçon de moins de quinze ans entra discrètement, le regard vide. Ambre avait entrouvert les paupières pour observer la scène. Elle frissonna en découvrant l’adolescent. Son attitude placide, l’absence de vie dans ses yeux, elle reconnaissait ces signes !

– Regarde donc, s’amusa Compton en soulevant la chemise sale du garçon, je lui ai fait poser un anneau ombilical hier ! Formidable ! Il obéit sans rechigner ! Plus de rébellion, docile comme un chien !

Ambre serra les coussins entre ses poings, au bord de la nausée.

Le visage de l’adolescent ne lui rappelait personne, mais il y avait tellement de Pans à bord du Vaisseau-Vie que cela ne voulait rien dire.

– Tu crois que c’est encore une invention de Luganoff ? demanda l’officier à son Maester.

– Non, pas cette fois. Les messages sont arrivés du nord, des corbeaux de Castel d’Os.

Morkovin parut perdre de son assurance à l’évocation de ce nom. Compton s’en rendit compte et son entrain se dissipa aussi.

– C’est vrai ce qu’on raconte ? demanda-t-il en baissant la voix. À propos de ces corbeaux ? Qu’ils sont… qu’ils sont morts mais qu’ils volent encore ?

– Ils ne sont pas morts, répliqua sèchement Morkovin, comme pour s’en convaincre lui-même. Ils sont couverts de goudron ou de je ne sais quoi de semblable. Leurs yeux sont voilés, et pourtant, ils bougent ! Les choses mortes ne peuvent agir comme les choses vivantes !

– Tu sais, en ville on commence à dire que le nouvel allié de l’empereur est un nécromancien.

– Ce sont des racontars de bonnes femmes !

Compton semblait moins convaincu que son supérieur, mais il eut l’intelligence de ne pas insister. Il se tourna vers son domestique et lui commanda du jambon sec et des pichets de bière, ce qui leur fut apporté rapidement. Une assiette fut également déposée devant Ambre, avec une chope mousseuse.

– Pas de bière pour elle, intervint Morkovin. De l’eau suffira. Elle doit garder les idées claires.

– Au contraire, tu devrais la saouler, s’amusa Compton. Elle n’en sera que plus facile !

Son rire gras s’étrangla dans sa gorge lorsque le Maester le transperça de son regard le plus noir.

Ce n’est pas le moment de l’énerver, songea l’adolescente, et elle fit semblant de se concentrer pendant près d’une heure encore. Puis, elle se leva et tendit le bras comme une élève qui sollicite l’autorisation de parler en classe.

– Qu’y a-t-il ? demanda Morkovin.

– J’ai très envie d’aller aux toilettes.

Le Maester la fixa un court instant, comme pour jauger de son honnêteté, puis il désigna le couloir face à elle.

– La porte du fond. Je garde un œil sur toi, tu le sais, n’est-ce pas ?

Ambre acquiesça et glissa dans le corridor de bois. Sa robe était assez longue pour couvrir ses pieds, mais sa démarche coulée était assez intrigante en soi, elle en était consciente. Au pire, le silence total de son pas ne pouvait qu’éveiller les soupçons de Compton, aussi usa-t-elle d’un brin d’altération pour faire craquer le parquet sous ses pieds.

En vérité, la jeune femme ne savait pas bien ce qu’elle comptait faire, mais elle en avait assez d’attendre et elle marcha lentement jusqu’à la porte des toilettes pour tenter d’apercevoir quelque chose, ou plutôt quelqu’un, dans les pièces voisines. Sans succès. L’étage était calme. Elle entra dans les toilettes et referma derrière elle. Pourquoi n’avait-elle pas pris quelques pages de ses livres pour laisser un message ? Le ménage était assurément fait par les esclaves, si elle avait laissé un mot sous la faïence, ils l’auraient certainement trouvé !

Mais elle songea aussitôt à l’anneau ombilical.

Je ne pouvais pas prévoir. Mais ils sont trop obéissants, ils auraient pu rapporter mon message à leur maître !

Elle devait pourtant trouver un moyen de les approcher, de les voir.

Elle ressortit et manqua crier lorsqu’elle tomba nez à nez avec Morkovin.

– Tout va bien, Ambre ?

Il avait un ton suspicieux qui ne lui plut pas.

– Euh… oui.

– Je trouve que tu n’es pas très concentrée depuis ce midi. Tu n’as pas oublié notre accord, n’est-ce pas ?

– Non.

– C’est la présence du garçon ombiliqué qui te dérange ?

– Non, tout va bien, je vous assure.

Morkovin ne semblait pas convaincu.

– Tu penses encore à cette histoire d’astronax, devina-t-il. À tes anciens amis. Je le vois.

Il l’attrapa par le bras et l’entraîna, sans violence mais fermement, vers le grand salon.

– Compton, tu m’as dit que tu avais ombiliqué l’un des deux grouillots à ton service, c’est bien ça ?

– Oui, je voulais tester avant d’envoyer l’autre.

– Appelle celui qui est encore libre.

Bien que surpris par la demande, l’officier obtempéra, et une fille d’environ treize ou quatorze ans entra, ses cheveux blonds sales et noués en queue-de-cheval. Lorsqu’elle vit Ambre tout son visage se transforma d’un coup, l’abattement fit place à l’espoir. Elle ouvrit la bouche et, se rendant compte que son émotion la trahissait, elle s’empressa de se recomposer un air soumis.

Compton n’avait rien vu, mais Morkovin plissa les yeux, intrigué par cette réaction. Il poussa la fille vers Ambre.

– Vas-y, Ambre, dit-il, pose-lui les questions que tu veux. Il est temps de régler tout cela.

Les deux adolescentes s’assirent sur le canapé, sous le regard lourd des deux Ozdults. Ambre ne savait comment s’y prendre. C’était à la fois une opportunité rêvée d’en savoir plus et le risque d’offrir à Morkovin des informations dont elle ne pouvait savoir à l’avance si elles seraient importantes ou non. Après plusieurs secondes d’hésitation, elle se lança, il fallait agir, se taire ne ferait que créer un malaise plus grand encore.

– Comment t’appelles-tu ?

– Elora.

– Tu étais à bord du Vaisseau-Vie ?

– Oui.

– Comment es-tu arrivée jusqu’ici ?

Elora ne se sentait pas bien, c’était palpable. Elle n’arrêtait pas de regarder vers son maître, effrayée.

– Parle ! lui ordonna ce dernier méchamment. Puisqu’on te le demande ! Pour une fois ! Ne te fais pas prier ou je vais m’énerver !

– Quand le bateau a coulé, je me suis accrochée à un morceau de bois qui flottait, j’étais avec d’autres Pans. On a dérivé comme ça jusqu’à la plage.

– Vous étiez nombreux ?

Elora jeta un rapide coup d’œil vers les deux hommes qui se tenaient en retrait dans son dos et secoua la tête.

Mais sa main dessina un rond sur son ventre. Puis un U, et un I.

– Moi et deux garçons, continua-t-elle. On n’a pas voulu rester sur la plage, on a préféré s’enfoncer dans les dunes pour se cacher. On a attendu, longtemps. Et puis des hommes sur des chevaux sont arrivés. Ils nous ont trouvés et mis dans des cages.

– D’autres Pans étaient dans les cages avec toi ?

– Oui. Les hommes en ont ramassé au moins quinze. Plusieurs sont morts sur le chemin jusqu’ici.

– Quand les Ozdults t’ont amenée ici, ils ont trouvé l’astronax sur l’un d’entre vous. Tu sais ce que c’est ?

– Oui, un petit objet rond en cuivre, je l’ai vu.

Le cœur d’Ambre s’accéléra.

– Et est-ce que tu as vu celui qui avait l’astronax avec lui ? Avant que les hommes ne le lui prennent.

– Oui.

– Tu saurais me le décrire ?

Elora avala sa salive. Pas à l’aise. Ambre comprit qu’il y avait un problème. Elle préféra changer de sujet :

– Tu connais un garçon du nom de Tobias, un garçon d’environ quinze ans. Noir. Assez petit. Avec une longue cicatrice en travers du visage. Il était tout le temps avec moi sur le Vaisseau-Vie.

Il ne faisait aucun doute qu’Elora avait reconnu Ambre car elle jouissait d’une certaine aura parmi les Pans. Tout comme l’Alliance des Trois.

– Oui, je le connais.

– Est-ce que tu l’as vu la nuit du naufrage ?

Elora se tordait les mains, confuse.

– Tu l’as vu ? insista Ambre avec une folle pointe d’espoir.

Elora hocha la tête.

– Il était vivant ? s’emporta Ambre.

Elora déglutit à nouveau avec difficulté, ne sachant manifestement pas comment répondre. Une idée démente vint alors à Ambre en même temps qu’une bouffée de joie la traversait.

– C’était lui ? C’est lui qui avait l’astronax dans la cage avec toi ?

Elora prit une inspiration profonde.

– Non, répondit-elle enfin.

Mais sa main dessina un autre OUI sur son ventre.