7.
On peut toujours tomber plus bas
La cage à l’arrière du chariot tressautait à chaque nid-de-poule de la route, obligeant ses occupants à s’accrocher aux barreaux pour ne pas aller se cogner sans arrêt.
Ambre était recroquevillée sur elle-même, se tenant les jambes avec les bras. Pendant deux jours elle avait cru mourir. Désespérée, sans plus aucune envie de vivre, elle avait regardé le paysage défiler sous ses yeux indifférents, n’avait mangé sa mixture du soir que parce que Ti’an l’y avait contrainte. Le collier en cuivre qui lui enserrait le cou l’avait psychiquement tuée.
C’était pourtant un simple cordon brillant, fermé par un petit cadenas sur la nuque, mais son pouvoir était immense. Il avait totalement dissous l’altération d’Ambre et pire, il avait également étouffé l’énergie du Cœur de la Terre. Ambre ne sentait plus rien en elle, plus aucune chaleur dans son ventre.
Les Pans portaient tous leur collier, comme une laisse qui anéantissait leur différence. Les soldats du balafré les avaient fait grimper dans des cages réparties sur trois charrettes, et ils avaient quitté la forteresse de Kram, escortés par dix hommes dont six cavaliers en armes.
Puis, le matin du troisième jour de voyage, Ambre se réveilla avec une étrange sensation, l’impression de sentir des filaments vivants au creux de ses entrailles, des mouvements fins et lents entre ses organes. C’était un ressenti très étrange et cela se reproduisit plusieurs fois, puis s’intensifia en fin de matinée.
– Comment tu te sens ? demanda Ti’an en voyant qu’elle se tenait l’estomac.
Le Kloropanphylle avait les lèvres desséchées et l’air épuisé. Le vert de ses yeux ne brillait plus avec la même intensité qu’auparavant.
– Il se passe quelque chose dans mon corps ! Je sens des mouvements en moi, au creux de mon ventre. Ça ressemblait à des bulles, maintenant c’est plus fort, on dirait des ailes de papillons qui s’agitent !
Ti’an écarquilla les yeux.
– Tu… tu es enceinte ? demanda-t-il, surpris.
– Non ! Bien sûr que non !
– Pourtant, ça ressemble à un bébé qui bouge…
– C’est impossible Ti’an. Impossible. Je n’ai jamais… C’est pas ça.
– Alors quoi ?
Tous deux s’étaient rapprochés pour chuchoter, sans attirer l’attention de l’homme qui conduisait le chariot, ou des cavaliers qui circulaient autour d’eux. Les autres Pans de la cage somnolaient.
– Je crois que c’est le Cœur de la Terre. Il n’est ni mort, ni même endormi, je crois que ce collier me prive seulement de son contact.
– Pourquoi tu le ressens à nouveau alors ?
– Peut-être que je m’habitue au collier, ou bien son pouvoir diminue…
– Tu crois que tu pourrais ranimer le Cœur de la Terre et t’en servir pour nous libérer ?
– Non, c’est très lointain, juste des sensations physiques, sans aucune connexion énergétique, mais j’ai bon espoir. D’ici quelques jours, cela pourra peut-être évoluer.
Ti’an esquissa un semblant de sourire.
Le soir même, lorsque les chariots s’arrêtèrent pour la nuit, Ambre avait retrouvé une partie de sa détermination. Tandis qu’un groupe d’hommes ramassait du bois pour allumer le feu, les autres s’occupaient des chevaux. Ambre se rapprocha d’un coin de la cage en se tirant de barreau en barreau, et aperçut un cavalier qui nettoyait, penché en avant, les sabots de sa monture.
– Où sommes-nous ? demanda-t-elle d’une petite voix.
– Toujours sur le duché du Maester Crain.
– Et nous allons où ?
– À Bruneville.
– Qu’est-ce que vous allez faire de nous ?
Le soldat se redressa pour faire face à Ambre. Il transpirait sous son armure et retira son casque pour s’éponger le front.
– À ton avis ? dit-il sans aucune cruauté, ce qui était rare chez les Ozdults.
– Nous utiliser comme esclaves ?
L’homme fit la moue et admira la jeune femme avec un soupçon de tendresse dans le regard. Ambre en fut décontenancée. C’était la première fois, depuis qu’elle était en Europe, qu’un adulte témoignait un peu de compassion pour elle.
– Tu es maligne, avoua-t-il. Tu feras une bonne servante.
Une main tremblante d’excitation passa entre les barreaux et se posa sur la cuisse d’Ambre qui sursauta.
– Et même plus que ça, ajouta-t-il avec un sourire gourmand.
Ambre glissa en arrière pour se soustraire à l’individu qui soudain lui faisait peur. L’homme ricana avant de retourner à son cheval.
– De toute façon je n’ai pas l’argent pour toi ! Belle comme tu es, c’est le Maester de Bruneville lui-même qui va t’acheter !
Ambre le laissa s’affairer à nouveau sur les sabots, le temps que son propre cœur retrouve un rythme plus normal, et elle revint à la charge, sur le même ton doux et mielleux de petite fille :
– Il y avait d’autres enfants comme nous sur la plage, c’est vous qui les avez capturés ?
L’homme haussa les épaules.
– Tu parles trop !
– Mais nous étions nombreux ! Vous auriez pu en emporter beaucoup d’autres, gagner beaucoup d’argent !
– Les côtes par ici sont infestées d’Anthroposauphages comme Kram et sa bande. S’il y avait du troc à faire ou de la viande à manger, fais-leur confiance pour l’avoir ramassée avant que les charognards ne s’en chargent ! Nous retournons vers le monde civilisé maintenant !
– Combien de…
Une lanière de cuir claqua contre la cage, juste devant le visage d’Ambre qui bascula en arrière. Le fouet siffla dans l’air et s’abattit une seconde fois au sol, près du soldat dont le cheval bondit en avant et renversa son cavalier dans le crottin.
– N’ai-je pas interdit de parler aux esclaves ? s’emporta le balafré en approchant sur sa monture.
Ambre se ramassa dans le coin opposé et Ti’an vint se placer devant elle pour la protéger.
Le balafré s’arrêta à leur niveau pour les toiser avec mépris.
– Je vais tirer un excellent prix de vous, c’est pour ça que je ne vous abîme pas cette fois-ci, mais ne vous avisez plus de causer avec mes hommes.
Il cracha en direction des deux adolescents et s’éloigna pour aller rejoindre ses troupes.
Le quatrième jour, tandis que les Pans étaient courbaturés par le manque d’espace, l’absence de mouvements et les mauvaises conditions de voyage, Ambre fut convaincue que le Cœur de la Terre reprenait peu à peu sa place en elle, leur lien devenait progressivement plus palpable. Pas encore au point de pouvoir s’en servir, mais c’était indéniablement en progrès. Le collier perdait de sa nocivité. À ce rythme-là, estima-t-elle, dans deux ou trois jours, elle pourrait user à nouveau de son énergie. Même si c’était très faible, cela suffirait pour les libérer. De toute manière, il ne servait à rien d’attendre plus longtemps. Les Ozdults ne parleraient jamais de leur plein gré, elle avait été naïve de le croire. Il fallait s’échapper avant que les Pans ne tombent malades, que des escarres n’apparaissent. Ils n’étaient certainement plus très loin d’une grande ville, où ils trouveraient des informations. Ambre pouvait se grimer et se faire passer pour une jeune Ozdult, elle était prête à prendre ce risque.
Le soir, une fois que le campement fut dressé, le balafré s’approcha de la cage d’Ambre et de Ti’an. Il ordonna à tous ses occupants de s’asseoir dos contre les barreaux et de ne plus bouger. Sous la menace du fouet, tous obéirent. Ambre sentit que quelque chose s’agitait derrière elle et, avant qu’elle comprenne, un nouveau collier se refermait sur sa nuque tandis qu’on décrochait le premier. Elle porta aussitôt ses mains à son cou, mais il était trop tard. Le froid descendait à nouveau. En quelques secondes les papillons dans son ventre s’estompèrent, puis disparurent.
Abattue, elle se laissa choir de tout son long, le visage contre la plaque d’acier, et ferma les yeux, retenant l’envie de pleurer qui l’envahissait.
– Change les entraveurs de tous les gamins tant que tu y es, ordonna le balafré à son soldat.
Les Ozdults n’étaient pas idiots. Ils savaient que leurs entraveurs, comme ils les appelaient, n’étaient efficaces qu’un certain temps. Ambre serra les poings, rageuse.
J’y étais presque !
Elle eut envie de frapper le sol, de hurler sa frustration. Puis la raison revint la calmer. Ambre avait toujours été une fille cérébrale. Elle analysait. Son intelligence parvenait à contrôler ses émotions. Ces entraveurs n’étaient donc pas comme les anneaux ombilicaux du Buveur d’Innocence qui détruisaient définitivement l’altération. Il restait encore un espoir.
Elle se tourna légèrement pour voir les Ozdults opérer. Deux soldats tiraient d’un coffre des colliers de cuivre. Elle s’aperçut qu’ils étaient creux. L’un des hommes prit également un cylindre en fer et en verre, et sortit une jarre translucide de sous une épaisse étoffe de velours. Celle-ci brillait avec une intensité remarquable, un mélange d’ampoules minuscules bleues et rouges. Ambre retint un sursaut de surprise : des scararmées ! La jarre en était pleine !
L’homme renversa les scararmées dans le cylindre sur lequel il appliqua un couvercle à piston, comme une grosse seringue, et il pressa le piston qui broya aussitôt les petits insectes lumineux. Le soldat obtint ainsi un jus qu’il fit couler dans les colliers creux.
Les scientifiques, pour peu qu’on puisse les appeler ainsi, du Maester Luganoff n’avaient pas chômé depuis la Tempête. Ils avaient découvert bien des moyens d’utiliser les nouvelles ressources de la Terre. Une exploitation avide, sans aucun respect. Ils détruisaient pour vivre mieux. Les scararmées pour leurs appareils étranges, et même les enfants pour leur précieux Élixir, pour s’approprier leurs pouvoirs.
Lorsqu’il eut préparé plusieurs entraveurs, le soldat vint remplacer ceux des autres prisonniers. Ses gestes étaient mécaniques, nota Ambre. Si elle était rapide, la prochaine fois, elle pourrait bondir au moment où il refermerait le collier sur sa nuque. C’était difficile mais pas impossible. Il fallait alors que son contact avec le Cœur de la Terre soit suffisamment renoué pour qu’elle puisse y puiser la force d’ouvrir la cage et repousser les assauts des Ozdults.
Tout sera une question de rapidité. Et de pouvoirs.
Il fallait qu’elle se concentre pour sentir le Cœur de la Terre. Cela prendrait au moins deux jours avant que les filaments ne réapparaissent, et en se focalisant dessus, elle espérait obtenir des résultats en quarante-huit heures supplémentaires.
Quatre jours. Voilà ce qu’il me faut.
– Nous n’aurons bientôt plus de sirop mystique, annonça le soldat en direction du balafré.
– Aucune importance, nous serons demain à Bruneville, nous pourrons en racheter. Dépêchez-vous, j’ai faim ! Je veux manger !
L’excitation d’Ambre retomba d’un coup. Son plan venait de tomber à l’eau. Jamais elle ne serait prête d’ici à demain. Ensuite ils seraient vendus, dispersés, et Dieu seul savait ce qui les attendait au milieu des adultes.
Non, corrigea-t-elle in petto, à vrai dire, Dieu lui-même, s’il existait bien, ne savait rien de ce qui allait suivre.
La cité de Bruneville se dessina peu à peu sur le lointain, à la sortie d’un bois sans vie, d’abord délimitée par deux immenses collines sombres et curieusement semblables. La route filait entre elles, comme des cerbères délimitant l’entrée de la ville. Puis Ambre s’aperçut qu’elles n’avaient rien de naturel. Il s’agissait en fait de hauts terrils, vestiges d’une mine profonde. Et d’autres apparurent. Tout autour de la ville, formant une muraille cabossée, douze buttes s’élevaient comme des monts protecteurs, dessinant un cercle parfait pour abriter les hommes. Quelques clochers surgissaient entre ces ombres colossales, ainsi que de nombreux panaches de fumée qui s’étiolaient dans le ciel bleu.
La porte de Bruneville consistait en deux lourds vantaux portés par deux tours bâties au pied de chaque terril et surplombées par une passerelle sur laquelle circulaient plusieurs archers méfiants. Ambre en déduisit que la région était dangereuse, ou du moins que les Ozdults se sentaient menacés jusqu’aux faubourgs de leur propre nid. Plusieurs soldats armés de lances et de boucliers s’approchèrent de la caravane en intimant au premier cavalier de ralentir. Avisant qu’il s’agissait du balafré, celui qui semblait diriger la garde le salua.
– Tu apportes de la marchandise fraîche, entraveur ?
– Fraîche et exotique ! répliqua le balafré en souriant.
Les gardes s’effacèrent aussitôt. Ils portaient sur leurs armures un plastron de tissu vert foncé brodé d’un O en fil doré. Des hommes de l’empereur.
Bruneville se composait essentiellement de bâtiments ocre de petite taille, de rues pavées ponctuées çà et là de tours anciennes transformées en postes de garde, d’échoppes ouvertes sur la voie, étalant leurs tonneaux, leurs caisses, leurs voiles multicolores, leurs sacs d’épices ou de graines sur le chemin des badauds. Par moments, Ambre remarquait la présence d’enfants dans les allées. Jamais paisibles, tous marchaient à vive allure en rasant les murs, soulevant de larges baquets d’eau ou transportant des ballots sur l’épaule. Certains suivaient leurs maîtres, portant leurs sacs en titubant.
Le pavage des rues était irrégulier et le chariot cahotait, Ambre se cramponnait aux barreaux pour ne pas se cogner.
Les passants s’arrêtaient pour regarder ce que contenaient les cages, et certains venaient même marcher à côté pour tendre le bras et tâter les membres des Pans à l’intérieur. Très vite, les deux Kloropanphylles attirèrent l’attention et un petit groupe se forma autour de leur chariot. Le balafré dut faire claquer son fouet pour disperser les curieux qui ralentissaient sa caravane.
– Sur la Grand-Place ! s’écria-t-il. Si vous avez de quoi les payer, venez les voir sur la Grand-Place !
Au détour d’un carrefour, Ambre remarqua un mur de planches dressées devant un petit renfoncement entre deux immeubles de pierre brune. La palissade était assez haute pour dissimuler un terrain vague d’où émergeaient plusieurs arbres rabougris et noueux. Au fond, elle aperçut un clocher d’église. Les Ozdults en avaient barricadé chaque fenêtre, la faisant à présent ressembler à un lieu abandonné et hanté. Les gens qui circulaient à proximité prenaient soin de traverser la chaussée pour ne pas avoir à passer devant.
Ils ralentirent en débouchant sur une immense place ceinte de façades austères et de commerces ouverts. Tout au fond, Ambre vit un long quai derrière lequel étaient stationnés plusieurs wagons sans fenêtre, aux portes coulissantes. Des wagons de marchandises. Mais sans locomotive.
Les chariots vinrent s’arrêter à l’extrémité du quai, près de deux autres charrettes semblables à celles du balafré.
Un homme, petit et moustachu, s’approcha depuis le quai qui les dominait.
– Alors, la Balafre, on vient faire concurrence ? railla-t-il d’une voix ridiculement aiguë. Oh, mais je vois que tu en as tout un stock ! Où les as-tu dénichés ?
– Je les ai sortis du garde-manger des Anthroposauphages.
– Pas sûr que ce soit mieux pour eux !
L’homme se mit à rire, fier de lui.
Ambre distingua six enfants et adolescents plus loin sur le quai. Une foule s’était amassée pour les regarder, et elle piaillait d’impatience.
– Et toi ? demanda le balafré. D’où viennent-ils ?
– Des fugitifs que j’ai rattrapés sur les terres de l’est.
– Seulement six ?
– Beaucoup se sont fait dévorer par les bêtes !
– La peste soit de ces maudits gamins qui cherchent à s’enfuir !
D’un geste, le balafré ordonna à ses hommes de faire sortir ses prisonniers, et tous furent invités sans ménagement à grimper sur le quai en file indienne. Ti’an souleva Ambre et, avec l’aide de Gregor, un autre garçon de leur cage, ils portèrent la jeune femme en la soutenant par les épaules. Plus loin, l’étrange manège séparait les Pans en deux groupes.
Chacun passait devant un Ozdult qui l’auscultait à l’aide d’un objet assez petit qu’il tenait dans une main. Puis l’homme regardait l’objet et indiquait soit la file de gauche, soit celle de droite. La première conduisait les Pans dans un wagon, l’autre vers une estrade face à la foule. Alors commençaient les enchères.
Les Pans devant eux furent ainsi vendus pour quatre d’entre eux, tandis que deux autres allaient s’asseoir dans l’obscurité d’un wagon à marchandises.
Les quatre esclaves ayant trouvé preneurs furent conduits plus loin sur le quai, vers une tente en cuir tanné d’où s’échappait une petite fumée noire, par un conduit ressemblant à une boîte de conserve.
Ambre et ses camarades attendirent plusieurs minutes, tandis que le balafré discutait avec l’homme qui auscultait.
– Ça va, je suis pas trop lourde ? chuchota Ambre.
– Ne t’inquiète pas, fit Ti’an. Tu ne sens toujours rien en toi ?
– Non. L’entraveur est trop frais, il agit encore.
– Je ne sais pas ce qu’ils nous préparent, mais je n’aime pas ça. C’est…
Un homme du balafré donna une tape sur l’arrière du crâne de Ti’an qui manqua trébucher en emportant Ambre, mais il se rattrapa in extremis.
– Silence ! Vous ne parlez que quand on vous l’ordonne !
Ambre le fusilla du regard et l’homme esquissa un rictus.
Soudain un cri effroyable s’éleva de la tente, un hurlement de terreur et de souffrance qui s’interrompit aussitôt. Le pan de cuir ne tarda pas à se soulever et un homme en armure apparut, tirant l’un des Pans. Le garçon était à moitié porté par cette main gantée d’acier qui broyait son bras. Il titubait, le regard hagard, un filet de bave coulant entre ses lèvres. Que lui était-il arrivé ? C’était comme si son esprit avait quitté son corps !
Ambre avait déjà vu cette expression. Soudain la lumière se fit et ses yeux descendirent le long de la chemise ouverte du garçon.
Une affreuse boucle en fer était plantée dans son nombril, laissant un filet de sang sur son pantalon.
L’anneau ombilical !
Un frisson glacé parcourut l’échine de la jeune femme. La chair de poule envahit tout son corps. Comment les Ozdults avaient-ils eu cette terrible idée ? C’était impossible ! Pas ici ! Pas encore !
Le Buveur d’Innocence, c’est lui !
C’était sa signature. Ce monstre n’avait pas tardé à propager ses méthodes. À peine à la place de l’empereur, il avait déjà envoyé ses sinistres messagers propager ses vicieuses tortures. Bruneville devait être parmi les premières cités de l’empire à appliquer l’anneau ombilical.
Et comme pour le lui confirmer, un homme s’esclaffa :
– Ça marche ! L’anneau les rend serviles ! De vrais petits pantins ! Il faut tous les ombiliquer ! Tous les gamins de la ville !
La foule s’agita, tout excitée. Un autre cri retentit sous la tente et Ambre se mit à trembler.
Le balafré fit alors signe à ses gardes d’approcher et les Pans suivirent. L’ausculteur scruta le premier de la file indienne, un garçon de treize ans, roux, l’air terrorisé. Ambre le connaissait un peu, il s’appelait Damien.
Puis l’ausculteur brandit son objet et le positionna devant le garçon.
Un objet que la jeune fille reconnut immédiatement. Une sphère de cuivre patiné de la taille d’une pomme, dont la moitié était un cadran de verre bombé, découvrant une aiguille et douze chiffres.
L’astronax. L’invention de Luganoff qui permettait de mesurer l’importance de l’altération chez un être vivant.
L’aiguille grimpa d’un coup devant Damien.
– Alors ? demanda le balafré d’un air inquiet.
– Quatre et demi.
– C’est insuffisant, je peux le vendre, non ? Il n’est pas à cinq !
L’ausculteur repassa l’astronax devant Damien et l’aiguille grimpa encore une fois.
– On n’est pas loin du 5 quand même, dit-il. Allez, celui-ci est pour l’empereur, je n’en ai pas beaucoup. Vous serez payé le forfait habituel par notre trésorier.
La foule attendait avec impatience, commentant bruyamment ce qu’elle voyait. Elle n’avait d’yeux que pour les deux Kloropanphylles.
De son côté, le balafré serrait les mâchoires.
– Je ne gagne pas grand-chose si vous me les prenez tous comme ça, enragea-t-il.
– C’est pas moi qui édicte les règles. Plaignez-vous au Maester Morkovin si vous n’êtes pas content, répliqua l’ausculteur en poussant Damien vers les wagons. Celui-là part pour les usines à Élixir !
Deux soldats attrapèrent le jeune Pan par les épaules et le forcèrent à entrer dans le wagon, où il s’étala au milieu des deux autres adolescents.
Les usines à Élixir ! Non ! Pas ça !
Le cœur d’Ambre s’affola. C’était de pire en pire. Ils n’avaient aucune chance. C’était soit partir à l’abattoir pour se faire vider de son altération et mourir comme des animaux, soit devenir des zombies et perdre tout pouvoir à jamais.
L’astronax brilla en captant les rayons du soleil lorsqu’on fit avancer un autre Pan.
Ambre maudit cette machine infernale.
Puis, brusquement, au milieu des idées noires et de son désespoir, une curieuse sensation refit surface depuis les tréfonds de sa mémoire. Elle se souvenait que l’astronax était un objet singulier, presque un mythe pour la plupart des Ozdults. Il n’y en avait qu’un. C’était un artefact unique. Et le dernier qui l’avait possédé, Ambre le connaissait très bien.
C’était Tobias.