Les voix de la brume
Les éclairs bleus et rouges crépitaient par centaines, ils formaient une cascade de lumières électriques protégeant le cœur d’Entropia.
Ambre et Tobias se tenaient sur leurs chiens, face à ce spectacle aussi terrifiant que fascinant.
Leur quête touchait à sa fin, du moins l’espéraient-ils.
La connaissance de la nature d’Entropia s’étendait juste là, sous leurs yeux.
Ils firent avancer Gus et Plume avec prudence, ce n’était pas le moment de se faire repérer. Les chiens tremblaient. Pourtant ils obéissaient aveuglément à leurs jeunes maîtres, les portant vers ce qu’ils devinaient être néfaste.
Le paysage apocalyptique qui les entourait ressemblait à l’image que Tobias s’était faite du monde après une guerre thermonucléaire totale. De la poussière partout. Les vestiges inidentifiables d’une vie autrefois animale, végétale… humaine. Et des cendres à l’infini que des vents de plus en plus violents balayaient pour venir alimenter la brume grise.
Ils allaient devoir se protéger le visage, les yeux et la bouche, de cette tempête de particules dans laquelle ils s’engageaient.
Et dans ce fracas de tonnerre assourdissant, Tobias crut entendre son nom.
Entropia l’appelait.
Puis elle appela Ambre.
Elle connaissait leur identité.
Elle les attendait.
La voix se faisait de plus en plus précise.
Familière.
Tobias attrapa la crinière de Plume pour l’arrêter.
La chienne avait les oreilles levées. Elle s’agitait, cherchant quelque chose dans le chaos.
Matt ? C’est la voix de Matt !
Il était là, tout proche.
Derrière eux.
Il transperça la brume en courant, s’époumonant à hurler leurs noms.
Ambre était stupéfaite, incapable de descendre de son chien, comme s’il s’agissait d’un mirage.
Tobias se jeta dans les bras de son ami.
– Matt ! Tu es vivant ! Tu es vivant !
Il exultait, il le serrait contre lui, puis le repoussait pour le regarder, s’assurer que c’était vraiment son ami, avant de le reprendre dans ses bras.
Matt était recouvert d’une huile noire, il semblait sur le point de défaillir. Les joues creusées par l’épuisement, les yeux injectés de sang, il frémissait, se tenait debout à grand-peine.
– Je le savais ! Au fond de moi je le savais ! s’écriait-il.
Ambre les rejoignit et elle attrapa Matt pour lui nettoyer le visage en l’asseyant entre les deux chiens. Plume gémissait de bonheur, cherchant à lécher l’adolescent poisseux.
– Comment as-tu fait ? demanda-t-elle, encore incrédule.
– Je vous raconterai, souffla-t-il avec difficulté, mais il faut partir d’ici sans plus tarder.
– Le cœur d’Entropia est juste là, fit Tobias. Nous y sommes presque…
– Justement, il ne faut surtout pas entrer. Il veut Ambre, il veut le Cœur de la Terre, il ne faut pas le lui donner, surtout pas !
– Comment le sais-tu ?
– C’est une longue histoire ! Vous avez été repérés par des oiseaux.
– J’en étais sûr ! pesta Tobias. Il y en avait tellement, et avec cette brume… peut-être qu’ils peuvent voir au travers mais pas moi ! Comment on va faire pour s’en débarrasser ?
– Je crois que pour l’instant ils ont tous été… perturbés. Je viens de détruire un Tourmenteur, de l’intérieur. Ça devrait nous donner un peu d’avance. Mais il faut sortir de cette brume rapidement. Aidez-moi, je n’arrive pas à me relever.
Tobias le hissa sur ses jambes et l’aida à grimper sur Plume tandis que lui-même rejoignait Ambre sur Gus.
Les deux chiens partirent au galop à travers cette cendre qui recouvrait la région et filèrent tout droit en direction de la frontière américaine, ou du moins ce qu’il en restait. Matt se cramponnait comme il le pouvait, vidé de toutes ses forces. Détruire l’âme et le cœur du Tourmenteur depuis l’intérieur, profitant de la surprise, n’avait finalement pas été si difficile, mais s’enfuir de ses entrailles sous le harcèlement des moustiques pour regagner l’antre du Dévoreur s’était révélé plus épique. Matt avait repoussé les attaques des insectes volants, tranché les mandibules de l’araignée, et s’était fait régurgiter en frappant les parois de la grotte-estomac jusqu’à provoquer un rejet.
Puis il avait titubé dans Entropia en hurlant les noms de ses deux amis qu’il savait tout proches du corps du Tourmenteur qui venait de le recracher en s’effondrant une bonne fois pour toutes, carcasse vide.
Contre toute attente, Matt était en vie.
Mal en point, mais pourtant vivant, avec Ambre et Tobias.
Galopant sur Plume.
À bien y songer, l’histoire se répétait.
Une fois encore, Matt fuyait la menace que représentait désormais le nord pour gagner sa seule terre d’espoir : le sud.