Petite aiguille sur le 11, grande aiguille sur le 10

Sur le lit de Malone, tout le monde était mort. Une dizaine de fourmis, un scarabée noir avec des points rouges, trois coccinelles et un autre insecte, plus gros celui-là, mais il ne connaissait pas son nom. Il les avait ramassés dans le couloir, sous le meuble à chaussures, pendant que Maman-da allait accrocher son manteau, et les avait cachés dans sa poche. Maman-da n’avait pas assez balayé, hier. Maintenant, les bestioles étaient sur sa couette Buzz l’Eclair, bien alignées, tels des monstres de l’espace flottant entre les étoiles.

Morts.

Comme Gouti.

Son doudou était appuyé contre l’oreiller, les yeux ouverts, on aurait pu croire qu’il se reposait.

Il ne parlerait plus jamais. Vasile lui avait menti. Maman-da lui avait menti. Tout le monde lui avait menti. On ne pouvait pas faire confiance aux adultes. Sauf à maman.

Son regard se tourna vers le calendrier, compta les planètes.

Un, deux, trois, quatre, cinq…

La lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus…

Aujourd’hui.

 

Le jour de l’amour.

Ce soir encore, puisque Gouti ne pouvait plus parler, c’est lui qui raconterait l’histoire. Tout bas, bien caché, sous la couette. Chacun son tour, puisqu’il la connaissait par cœur, il les connaissait toutes par cœur.

Malone s’aperçut qu’il s’était arrêté de pleurer sans même s’en rendre compte. De toute façon, ça ne sert à rien de pleurer quand les grandes personnes ne sont pas là pour vous voir.

Maman-da était en bas, dans la cuisine. Il était seul dans sa chambre. Il se tourna vers Gouti et une idée lui vint : après tout, aujourd’hui, il pouvait raconter l’histoire qu’il voulait ! C’est lui qui choisissait. Il n’avait pas non plus besoin d’attendre la nuit.

 

Son regard s’arrêta sur le calendrier. La fusée était posée sur la planète verte, mais ce n’était pas celle qu’il préférait. Il préférait celles où il y avait plus de bagarre, où il faut être courageux, combattre les ogres, les monstres, protéger Maman…

Vite, ses yeux glissèrent sur le lit, vers les fourmis minuscules, les coccinelles qui ressemblaient à des bonbons durcis, le scarabée auquel il manquait deux pattes.

Une armée des étoiles bonne à mettre à la poubelle !

Il s’approcha de Gouti, tout près de sa petite oreille rose, et commença à lui murmurer à l’oreille. Il voulait lui raconter son histoire préférée, celle qui lui faisait le plus peur. Celle du chef des ogres, celui avec sa boucle d’oreille qui brille et son tatouage avec une tête de mort dans le cou. Le chef des ogres était facile à reconnaître, mais il était beaucoup plus difficile de lui échapper.

— Ecoute, Gouti. Dans la forêt, il y avait un ogre qui…

Il s’arrêta. Sa bouche voulait continuer de parler, mais cette fois, c’est son nez qui ne voulait pas. Il était dérangé par une odeur qui le faisait penser à autre chose qu’à l’histoire, qu’aux ogres, qu’à Maman.

L’odeur venait de la cuisine, elle remplaçait tout le reste dans sa tête. Il n’arrivait plus qu’à penser à ça. Que ça sentait bon. Qu’il avait faim. Qu’il avait envie de descendre faire un câlin à Maman-da et de voler un morceau.

Il fixa Gouti comme pour se faire pardonner. La peluche ne répondait toujours rien. Elle était souvent un peu énervante pour ça, encore plus maintenant qu’elle était morte sans son cœur.

Ça voulait dire quoi, ne rien dire ?

Qu’il avait le droit de descendre manger une part de gâteau avec Maman-da, ou qu’il devait rester pour continuer de lui raconter les histoires de maman ?