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Aujourd’hui, Laurent m’a dit qu’il ne m’aimait plus.

Envie de tuer

La terre entière, sauf lui et moi.

 

Condamné : 15

Acquitté : 953

 

www.envie-de-tuer.com

Vasile Dragonman laissait l’eau bouillante couler sur sa peau nue. C’était devenu une habitude, une obligation, presque une obsession.

Prendre une douche après avoir fait l’amour.

Les rares fois où il n’en avait pas eu l’occasion, parce qu’il avait baisé dans la nature, entre deux portes ou entre deux chiottes, il avait eu l’impression que les traces de doigts, de lèvres, de sexe sur son corps s’y imprimaient de façon indélébile. Que s’il ne les effaçait pas tout de suite, elles pénétreraient définitivement dans sa propre chair, se fondraient en lui et qu’il y perdrait une partie de son identité, de son intimité.

L’instant d’après, il se maudissait. Psy. Barré. Compliqué. Pas même capable d’apprécier sans le théoriser le contact sur sa peau de celle d’une jolie fille.

Elle ouvrit sans pudeur la porte de verre de la douche.

Elle avait juste enfilé un sarouel orange aux motifs africains. Torse nu. Seins libres. Cheveux noués. Une allure de villageoise dans les histoires de Kirikou. Version européenne. Peau de lait. Cette réminiscence de ses premiers fantasmes de gosse le troubla encore un peu plus.

— Je crois que c’est pour toi.

Elle lui tendit son téléphone portable. Il coupa le jet.

Un texto !

Il effaça du pouce la buée sur l’écran.

 

Idiote sans doute, mais envie de vous faire confiance.

Conscience de l’urgence, ferai mon possible.

Contactez-moi, n’importe quand.

Marianne

 

— Toujours ta commandante ?

Vasile se contenta d’afficher une mimique désolée, celle d’un petit garçon pris en faute et qui nie toute responsabilité.

Irrésistible !

Ce n’était pas pour autant une raison pour laisser passer le message de la flic.

— Un texto à minuit ? Elle te drague !

Elle était consciente que sa grimace de maîtresse courroucée était moins bien interprétée que le sourire naïf et innocent de Vasile.

— J’ai besoin d’elle. Je joue le jeu.

— Pour ton môme. Le petit garçon qui parle à son doudou ?

— Oui.

 

Il posa le téléphone sur le lavabo, puis se recula sous la douche. Le jet gicla à nouveau. Elle le suivit sous la cascade brûlante, sans même ôter son sarouel. Il suffit de quelques secondes pour que le tissu de coton forme une seconde peau qui allait déteindre sur ses fesses et ses cuisses, tatouer des éléphants, des girafes et des zèbres sur son corps d’albâtre.

Elle colla sa bouche trempée contre son cou, joua avec ses poils bruns.

— Tu le retrouves demain matin à l’école ?

— Oui. S’ils me laissent le voir.

— Ils peuvent t’en empêcher ?

— Oui, bien entendu… Tous. Ses parents, l’école, les flics…

— Il a besoin de toi. Tu ne me parles que de ça depuis des semaines. Que tu es le seul à qui il se confie. Que tu avances avec d’infinies précautions. Que s’il se referme comme une huître, c’est foutu.

 

Elle renversa une noisette de gel douche au creux de sa main, se frotta les paumes puis les posa à plat sur ses épaules, pour les faire glisser le long de son corps.

Il recula. Ses mains passèrent sous le sarouel, entre deux peaux. Sa cuisse heurta le mélangeur de la douche et doucement, sous la pression des caresses coco-vanille, le fit pivoter de quelques centimètres vers la gauche.

De brûlante, la douche devint tiède.

— A moins que ça ne soit la meilleure solution, Vasile. Laisser ce gosse oublier son traumatisme.

Vasile avait un corps d’étudiant qui aurait choisi des études de STAPS1 plutôt que de psycho. Option rugby. Des muscles fins de demi d’ouverture. Les doigts féminins suivaient les courbes de son torse, s’aventurant entre ses abdominaux.

Elle murmura encore.

— Si un fantôme dort dans son crâne, est-ce qu’il ne faut pas le laisser enfermé dans son cachot, pour toujours ?

Vasile souffla sa réponse, avant que sa respiration ne s’emballe.

— Tu as oublié une étape.

L’eau vira de tiède à glacée. Ils ne bougèrent pas.

— Quelle étape ?

— Avant de condamner à perpétuité ce fantôme, de le condamner à vivre dans une des cellules du crâne de Malone, mon boulot est de le trouver, de le regarder droit dans les yeux, de l’apprivoiser. De l’affronter au besoin…

Elle se hissa sur la pointe des orteils pour chuchoter à son oreille, après avoir coupé d’un pied agile le flux d’eau gelé.

— Dangereux, non ?

Dans la salle de bains, trois notes électroniques carillonnèrent.

— Encore ta fliquette ?

 

Vasile anticipa la grimace de provocation par un sourire agacé et attrapa en aveugle le téléphone posé sur le lavabo.

Son expression bascula d’un coup.

— Un problème ?

Il hissa le téléphone à la hauteur de leurs yeux.

Numéro inconnu

Une photo et un message.

Une photo d’abord.

Ils distinguaient sur le petit écran une tombe de marbre, dont la croix se détachait dans un ciel rouge, au premier plan, mais sans que la perspective permette de distinguer les mots et les chiffres gravés sur la stèle.

La sépulture d’un inconnu ? La tombe d’un enfant ? Le caveau d’une famille ?

Ils lurent le message ensuite.

Toi ou le gosse. Tu as encore le choix.

 

Elle se mordit les lèvres. D’un coup, les gouttes glacées venaient de triompher de sa peau tendue de désir.

— Tu vas faire quoi ?

— Je sais pas. Appeler les flics.

— Ta flic ?

Il posa ses fesses nues sur le rebord du lavabo.

— Je sais pas. Bordel, c’est quoi ce cirque ?

Elle se tenait debout devant lui. Belle. Ses longs cheveux pleuvaient sur ses seins nus. Sur ses jambes de savane. Aussi belle que le jour où il l’avait croisée chez Bruno. Doucement, elle tira sur l’élastique du sarouel. Son geste n’avait pourtant rien d’érotique, il ressemblait plutôt à un rituel primitif, une incantation.

Elle descendit la toile de quelques centimètres, suffisant pour dévoiler la naissance de son pubis. Avec pudeur, sans provocation, comme lorsqu’un médecin vous demande de baisser votre culotte avant d’appuyer ses doigts sur chaque aine.

Son index contourna son nombril, pour descendre sur son ventre lisse.

— Regarde-moi, Vasile. Regarde-moi et écoute-moi. Tu vois ce ventre ? Il ne portera jamais d’enfant. Tu vois cet utérus, aucune vie n’en sortira jamais. Ça ne te semble peut-être pas le moment, pas le sujet, et je te rassure, je ne te donnerai aucun détail sordide, tu as eu ta dose ce soir, j’ai l’impression, mais c’est pour te dire que contrairement à ce que prétend le salaud qui t’a envoyé ce message, tu n’as pas le choix.

Vasile la dévisageait, incrédule, incapable de réfléchir. Dix ans de pratique en tant que psychologue, et dix autres années d’études théoriques avant ne lui fournissaient aucune lumière sur les enchaînements des événements.

—  Protège ce gosse, Vasile ! Protège-le, il n’a que toi pour le sauver. Tu comprends ?

Non, il ne comprenait pas. Il ne comprenait plus rien. Mais elle avait au moins raison sur une chose, il n’avait plus le choix.

Il la prit dans ses bras et mentit.

— Je comprends, Angie. Je comprends.


1. Sciences et techniques des activités physiques et sportives.