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Aujourd’hui, Léonce m’a demandé de le débrancher.

Envie de tuer

J’y suis pas arrivée.

 

Condamné : 7

Acquitté : 990

 

www.envie-de-tuer.com

L’enfant se balançait, lentement, sans conscience du danger pourtant.

Les deux cordes qui reliaient la planche de bois fendue étaient usées, arrimées au portique par des mousquetons rouillés. La pluie et le temps s’étaient tout autant attaqués aux autres agrès, une barre vermoulue, des anneaux dissymétriques, un pont de singe troué.

L’enfant ne bougeait pas, la balançoire oscillait seule, sans que le moindre geste freine ou accélère son mouvement, pas même un battement de paupières. Le regard de l’enfant était figé et on imaginait que pour lui, c’est tout le reste qui devait bouger. L’herbe, les arbres, la maison, la terre entière.

A travers la véranda, Marta Lukowik observa longuement l’enfant couvert de la tête aux pieds, des moufles au bonnet, puis posa le café sur la table. Toute une série de plantes et d’arbustes poussaient dans la pièce vitrée, rangés avec ordre dans des pots de terre alignés contre les fenêtres, des orangers, des citronniers, des groseilliers, composant un mélange de couleurs assez raffiné.

Josèf, assis en face du lieutenant Pasdeloup, tendit le doigt vers le petit jardin fermé par trois hauts murs de briques. Papy crut qu’il allait parler de l’enfant.

— Ça a pas l’air, mais on est plein sud. On a fait construire la véranda en 90, juste après la fermeture des mines, avec les indemnités. Une folie…

Il toussa en tirant une tasse de café vers lui.

— On la paye toujours, vingt-cinq ans après, mais je serais peut-être plus en vie aujourd’hui si je ne passais pas mes journées sous serre, entouré de toutes ces plantes.

Sa toux se mua en rire gras. Marta mit un sucre dans le café de son mari, sans même qu’il le lui demande.

— Et puis avec trois murs, ajouta Josèf, on n’est pas emmerdés par les voisins !

C’était sa conclusion. Ses lèvres se contentèrent de frissonner au contact du café chaud.

 

Papy goûta le sien. Amer. Il avait eu toutes les peines du monde pour que Josèf Lukowik le laisse entrer, et exhiber sa carte de policier devant le nez du mineur en retraite n’avait pas arrangé les choses. Ce n’est que lorsqu’il avait cité les noms de Timo Soler, Angélique Fontaine et Alexis Zerda que Josèf avait entrouvert la porte d’un centimètre de plus.

Au nom d’Alexis Zerda surtout. Papy avait réagi d’instinct.

« Alexis Zerda est mort ! Abattu. Il y a moins d’une heure. On a retrouvé son corps dans une cuve sur l’ancienne base de l’OTAN. »

La porte s’était ouverte, Josèf avait seulement dit :

« On va passer dans la véranda. Marta, tu nous sers un café. »

C’était tout. Comme si Josèf n’avait aucune envie que le lieutenant traîne dans le couloir au papier peint démodé, s’attarde sur les affiches Solidarność, sur la photo de la cathédrale du Wawel ou le portrait de Bronisław Bula au-dessus du meuble à chaussures.

On recevait dans la véranda.

Sans être emmerdés par les voisins.

 

Papy vida son café d’un coup, retint une grimace, puis fixa ostensiblement l’enfant sur la balançoire.

— Que s’est-il passé ?

Marta Lukowik posa sa main sur celle de son mari. Une main ridée piquetée de taches brunes, aussi usée que les agrès du portique, aussi fatiguée d’avoir porté des enfants pendant des années, avant qu’ils grandissent et l’abandonnent. Le lieutenant Pasdeloup avait compris que cette main posée indiquait à son mari qu’il était trop tard, qu’il devait tout dire. Une connexion par le simple toucher. C’était à son mari de trouver les mots, mais c’était sa femme qui se confessait.

Josèf toussa encore, sans prendre la peine de protéger son café.

— Alexis nous a téléphoné après le braquage de Deauville. Je l’appelle Alexis, hein ? Pour nous, Zerda, c’était Darko, son père, je suis descendu vingt ans au fond du trou avec lui.

La main de Marta pesa plus fort encore sur celle de son mari.

— Il a été le premier à nous prévenir, avant les policiers, avant les journalistes, avant les voisins. Cyril avait été tué par les flics à Deauville, rue de la Mer. Main dans la main avec Ilona, abattue elle aussi. Je me souviens, il était presque midi, Marta écoutait Nostalgie en rempotant un camélia dans la véranda, elle a tourné le bouton sur France Info. Ils ne parlaient que de ça. Alexis disait vrai, le pot lui est tombé des mains, y a encore une marque, là.

Il désigna une entaille dans le carrelage.

— Déjà que Marta et moi, on n’aimait pas trop les flics avant…

Papy ne releva pas. Dans le jardinet, l’enfant se balançait toujours, aussi régulier que le va-et-vient d’une horloge.

— Alexis Zerda a voulu vous rencontrer ?

— Oui, on s’est vus à peine une heure après, près de l’étang du Canivet. Le coin où tous les gosses du village allaient pêcher, à l’époque. Il était seul. Nous, on y est allés tous les deux. C’est Marta qui conduisait. Moi, je tremblais trop, c’est dans ces moments-là que cette merde d’arthrite à la main droite me reprend.

Papy s’aperçut alors que la main de Marta posée sur celle de Josèf était aussi une façon de le calmer, en l’immobilisant, comme une caresse qui rassure un oiseau affolé.

— Alexis se tenait devant l’étang, près de ce qui restait de la cabane dans les joncs qu’ils avaient construite à dix ans pour piéger les grenouilles et les poules d’eau. Deux tôles et trois planches foutues. Alexis tremblait, lui aussi. C’était la première fois que je le voyais ainsi. Même quand il s’était fait convoquer par les profs du collège après avoir racketté la petite Leguennec, jamais il n’avait ravalé cette morgue contre toute autorité, cet air de défi permanent, le même que son père contre les porions. Mais là, non. Pour la première fois, il semblait, comment dire, vulnérable, et on savait tous pourquoi.

— Parce qu’il avait frôlé la mort. Parce que Cyril et Ilona étaient…

— Non, coupa Josèf en ponctuant sa réaction d’une nouvelle toux. Alexis n’en avait rien à foutre de notre fils, de notre belle-fille, ou même de Timo qui avait pris une balle dans le poumon. A la limite, ça l’aurait même arrangé, moins de parts de butin à distribuer, moins de témoins en vie aussi. Vous savez, je ne me suis jamais fait aucune illusion sur le petit Alexis. Quand je l’ai vu pour la première fois, c’était ici, dans le jardin, pour le goûter d’anniversaire des cinq ans de Cyril. Ça peut sembler bizarre, mais on peut deviner presque à tous les coups ce qu’un gamin de maternelle va devenir. Le petit Alexis, pour vous résumer d’une phrase, c’était déjà pas le genre de gamin à aimer partager un gâteau.

Papy ne commenta pas et revint à l’affaire.

— Qu’est-ce qui le rendait vulnérable, alors ?

— Le dernier témoin vivant !

Le lieutenant Pasdeloup abattit une carte.

— Angélique Fontaine ?

Josèf afficha un sourire, qu’il partagea avec sa femme.

— Non. Angie n’aurait jamais rien dit aux flics, ce n’était pas son genre, et il le savait. Non, ce qui paniquait Alexis, c’était le gosse. C’est pour cela qu’il avait pris le risque de venir nous rencontrer. Pour le gosse.

— Il avait quel âge ?

— Presque trois ans. Le gamin était resté avec eux pendant toute la préparation du braquage. Dans les bras de sa mère, à jouer à côté d’eux, à manger avec eux. Forcément, les flics allaient venir interroger le môme. A trente mois, il était dégourdi, débrouillard, bavard. Le gosse aurait parlé. Au minimum, il aurait reconnu le visage d’Alexis sur les photos qu’auraient montrées les flics. Au maximum, il aurait répété des bouts de conversations, des dates, des noms de lieux, de rues, de magasins. Les gosses sont des éponges à cet âge-là.

— Le témoignage d’un enfant de trente mois ? Un juge en aurait tenu compte ?

Josèf regardait à travers la véranda. Imperceptiblement, la balançoire avait ralenti sa course, peut-être par lassitude de ne pas recevoir un coup de main de l’enfant assis sur elle.

— On s’est renseignés, continua le mineur en retraite. A partir des années 90, depuis les affaires de pédophilie, ouais, les gosses sont écoutés par les juges… et c’est pas plus mal d’ailleurs.

— C’était quoi, exactement, le plan d’Alexis Zerda ?

La réponse de Josèf claqua. Marta en sursauta.

— Echanger le gosse.

Il fut brusquement pris d’une quinte de toux plus violente que les précédentes. Ce fut Marta qui poursuivit, d’une voix douce.

— C’était la seule solution, au fond. Les policiers allaient forcément découvrir l’existence de cet enfant. Ils allaient donc venir l’interroger, le gamin allait tout raconter, dénoncer Alexis. Même si on lui demandait de mentir aux policiers, en imaginant que ce soit possible de demander un tel truc à un gosse de trois ans, les flics se seraient forcément aperçus qu’il cachait quelque chose et il aurait fini par craquer. La solution qu’Alexis Zerda avait imaginée était d’une grande simplicité, quand on y pense, il suffisait que les flics n’interrogent pas le bon môme. Il suffisait de le remplacer par un autre, si possible pas trop bavard celui-là… Mieux même, un gosse incapable de communiquer, traumatisé, perdu dans son monde intérieur. C’était la seule solution, répéta Marta.

Sa main était restée posée sur celle de son mari, ferme, mais elle ne pouvait empêcher sa voix de vibrer. Josèf ajouta entre deux quintes :

— Alexis aurait tué ce gosse si on n’avait pas accepté. Il aurait tué ce gosse pour qu’il ne parle pas.

L’enfant dans le jardin était descendu de la balançoire désormais immobile. Ou bien il en était tombé. Il était allongé dans la pelouse, sur le côté. L’herbe haute dépassait ses oreilles, ses épaules, ses cuisses. Presque sans que sa tête bouge, sa joue caressait les touffes les plus proches, comme s’il s’agissait de la crinière d’un animal contre laquelle il s’endormait.

Marta se leva pour demander au lieutenant s’il voulait un autre café, il accepta par principe tout en pensant qu’il pourrait toujours ne pas le finir. Lorsque Marta revint avec la cafetière, Papy reprit.

— Il suffisait d’échanger le gosse pour que les flics n’interrogent pas le bon. Je veux bien, mais ça supposait tout de même un sacré tour de passe-passe, non ?

Josèf trempa les lèvres dans la nouvelle tasse de café, qui visiblement atténuait sa toux. C’est lui qui poursuivit l’explication.

— Alexis avait sa petite idée. Il avait trouvé un donneur ! Un pote avec qui il avait partagé une cellule à Bois-d’Arcy, Dimitri Moulin. Son gosse, Malone, avait fait une chute dans un escalier. Il était dans un état proche du légume. C’était le profil idéal. Il a suffi de quelques milliers d’euros pour convaincre le père…

Il observa Marta, puis continua.

— Ça a été un peu plus difficile de convaincre la mère. Elle refusait de se séparer de son enfant, même pour quelques mois. Alors, avec le père ils ont trafiqué les résultats des dernières analyses de l’hôpital, ils ont fait croire à Amanda, la mère, que son enfant était condamné, qu’il ne lui restait plus que quelques mois à vivre. On devait jouer le jeu, c’était le deal. On a eu pendant des heures Amanda au téléphone ; au début elle appelait dix fois par jour, puis un peu moins, puis presque plus. Nous, on a continué à lui envoyer des messages, des courriers, des photos, pour la rassurer. Enfin, la rassurer… Plutôt lui dire que Malone était toujours en vie, il n’y avait rien à dire d’autre. Aucun progrès à signaler. Malone mange, Malone se balance, Malone dort, Malone regarde les papillons, Malone regarde les fourmis. Malone ne parle pas, Malone ne joue pas, Malone ne rit pas… Oui, on continuait de lui donner des nouvelles, mais déjà, on avait bien compris…

Il ne put continuer sa phrase. Des larmes coulaient sur son visage ridé. Au fond du jardin, l’enfant fixait dans l’herbe un point que lui seul voyait, sans doute un insecte minuscule.

Papy vint en aide à Josèf.

— Vous aviez compris que dans le cœur d’Amanda, l’autre enfant avait pris la place du sien. C’est bien ça ?

— C’est ça, confirma Marta. Bien entendu, nous avons eu accès à tout le dossier médical. (Elle jeta un regard à travers la véranda, vers le petit corps étendu dans l’herbe.) En réalité, le gamin peut rester ainsi des années. Il ne souffre même plus.

Sa voix était d’une douceur infinie.

—  Le plan d’Alexis pouvait sembler compliqué, mais il était d’une grande simplicité en réalité. Il suffisait de tenir l’échange quelques semaines, le temps que l’enfant oublie sa vie d’avant, oublie au moins les visages, les noms et les lieux compromettants. C’était imparable ! Ensuite, ce qui pouvait arriver aux deux gosses, Alexis s’en fichait.

 

Et les Lukowik avaient accepté l’échange ; de couvrir Zerda pour tromper la police. Le lieutenant Pasdeloup pensa au dossier ouvert sur le fauteuil passager de la Mégane. Josèf avait eu quelques démêlés avec la justice quand il était jeune. Ivresse sur la voie publique, bagarre de rue, insultes à agent, rien de méchant et c’était il y a près de cinquante ans, mais cela suffisait à comprendre que Josèf et Marta n’étaient pas du genre à collaborer spontanément avec les flics.

Il restait cependant des zones d’ombre dans le dossier. Angélique Fontaine n’avait pas eu d’enfant, il n’y en avait aucune trace dans le dossier, Lucas Marouette était formel.

— Parlez-moi d’Angélique Fontaine, demanda Papy.

Un large sourire s’afficha sur le visage de Marta.

— La petite Angie a toujours été la plus intelligente de toute la bande des Gryzońs. Maligne, douée, gracieuse. Un peu rêveuse aussi. Gamine, dans Potigny, on ne la croisait jamais sans une poupée ou un livre à la main. Belle comme un cœur en plus… Jolie et romantique, vous vous doutez de la suite, inspecteur, le problème d’Angie, c’était les garçons, les garçons et l’autorité en général. Dans la liste de tous ses amoureux, Timo Soler était le mieux, c’est vous dire… Mais un mauvais garçon tout de même, un amoureux secret, c’est pour ça que vos radars de flics n’ont pas détecté la présence de la gamine dans le lit de Timo. Pour Angie, tout a explosé à l’adolescence, sa mère trompait son pauvre père, tout le village était au courant, lui le premier, mais ce n’était même pas ça le problème, je crois. C’est juste que ses parents n’étaient plus à la hauteur, la petite Angie était une extraterrestre pour eux, leur maison, impasse Copernic, était devenue une planète sans vie et Angie rêvait de taxis pour la galaxie. Ensuite, tout a dérapé quand elle s’est tirée. Le cancer de son père qui l’a emporté en six mois, son fameux blog, envie-de-tuer, et puis ensuite l’accident, bien entendu.

— L’accident ?

Papy avait sursauté. Le dossier de Marouette ne mentionnait aucun accident. La pièce de puzzle qui lui manquait ?

— Angie s’est plantée en voiture, en janvier 2005, dans un virage de la côte de Graville avec son copain de l’époque. Une petite ordure comme elle les collectionnait ! Lui s’en est sorti sans une égratignure, mais Angie était enceinte, de quelques mois. Elle a perdu son enfant et le toubib lui a appris qu’elle ne pourrait jamais en avoir d’autres. Pourtant, Dieu sait qu’elle en voulait, des mômes, la petite Angie. Je la revois, la pauvrette, gamine, avec ses poupées, si elle n’a pas fait mille fois le tour de Potigny en poussant son landau rose.

Devant le regard incrédule du lieutenant, Josèf crut bon de préciser.

— On était peu nombreux dans la confidence, mais avec les Fontaine, on avait le même médecin, le docteur Sarkissian. Il habite toujours Potigny, d’ailleurs, il pourra vous le confirmer. On joue à la pétanque avec lui chaque vendredi après-midi. Il est des nôtres, comme on dit. Pour qu’un médecin soit resté ici, d’ailleurs, il fallait bien qu’il soit des nôtres…

Papy déglutit. Tout s’éclairait. Presque. Il plaça à son tour sa main sur celles de Josèf et Marta, puis posa sa question avant qu’ils ne les retirent.

— Quand avez-vous vu votre fils et votre belle-fille pour la dernière fois ?

Il sentit que les deux mains voulaient s’échapper et tint bon.

Qui allait répondre ? Il aurait parié pour Josèf, ce fut Marta.

— Tout dépend de ce que vous entendez par « voir », inspecteur. Cyril et Ilona sont repassés une ou deux fois, avant le braquage, en coup de vent, un café, un dîner, pas même le temps d’une balade et d’une belote, mais on s’en contentait, c’était déjà mieux qu’avant.

Leurs mains étaient chaudes. C’était étrange, cette fusion de leurs trois paumes.

— Racontez-moi, fit le lieutenant.

—  Cyril a galéré après le collège. C’était le moment où la mine a fermé. Il a commencé à trafiquer, du shit, des autoradios, des bagnoles, des alarmes de résidences secondaires… C’était pas un ange, Ilona non plus, mais ils ont payé. Plus de deux ans de prison ferme en tout. Après leur sortie, ils se sont mariés et ils se sont rangés. Vraiment, inspecteur ! Ils ont pris un appartement au Havre, dans le quartier des Neiges, lui est devenu docker, il bossait bien, ça lui plaisait. Puis après quatre ans passés sur le quai de l’Europe ils sont partis.

— En Guyane, c’est ça ?

— Oui. Dans le grand port maritime de Remire-Montjoly, Mærsk ouvrait une ligne supplémentaire. Ça payait mieux qu’au Havre, beaucoup mieux, mais il fallait signer un contrat d’engagement pour l’outre-mer sur plusieurs années.

— Ils n’ont pas hésité alors ?

— Non… Ils sont partis tous les deux, en juin 2009, il y a déjà six ans maintenant. Je crois que je n’ai pas revu Cyril plus de sept jours entiers depuis, avant qu’il ne se fasse…

De nouvelles larmes coulaient. Elle tourna la tête et laissa traîner ses yeux sur le portique rouillé au fond du jardin, comme s’il était le symbole de la vie qui avait foutu le camp de cette maison. L’enfant aux fourmis n’était qu’un fantôme de plus.

Josèf prit le relais.

— Au bout des cinq ans, quand Cyril est revenu au Havre, il n’y avait plus de travail pour lui sur les docks. Les effectifs avaient fondu de 50 %. Plus besoin de muscles, un seul type pouvait décharger un paquebot de quinze mille conteneurs avec juste un joystick. Je vous fais pas un dessin, inspecteur, chômage, galère, manque de fric, Cyril s’est mis à fréquenter à nouveau Alexis.

Marta épongeait ses larmes avec un mouchoir brodé.

— Il fallait bien qu’ils prennent leurs responsabilités, justifia Josèf. On n’y pensait pas, lorsqu’ils sont partis en Guyane…

— Vous ne pensiez pas quoi ? insista Papy.

Il connaissait pourtant déjà la réponse.

Dehors, près de l’enfant, dans l’herbe mal tondue, un papillon s’envola, sans même qu’il le suive des yeux.

Ce fut Marta qui se lança.

— On ne pensait pas que Cyril et Ilona nous ramèneraient un petit-fils !