Petite aiguille sur le 4, grande aiguille sur le 7
Il n’y avait presque plus personne devant eux. L’aspirateur avait dû avaler presque tous les moutons. Hop, direct dans l’avion.
Malone grimaçait, la main qui serrait la sienne lui faisait un peu mal, surtout la bague qui lui rentrait dans la peau. Il se retenait de pleurer.
Il leva les yeux.
Un, deux, trois.
Trois derniers moutons devant eux. La file avançait vite. La dame en costume était beaucoup plus rapide que les autres, plus rapide que celle de tout à l’heure derrière la vitre où on passait les papiers, plus rapide aussi que celle où il fallait retirer les ceintures et les montres. Celle de maintenant regardait à peine les gens passer, encore moins les papiers avec leur photo qu’on lui tendait, elle prenait juste la feuille, celle qu’il faut pour monter dans l’avion, la déchirait et la rendait.
Un, deux, trois, recompta encore Malone.
C’était la troisième fois qu’il fallait montrer les papiers. Forcément, la dame faisait moins attention la troisième fois.
La bouche de l’aspirateur venait d’engloutir les derniers moutons. La dame les avait tous laissés passer ; c’était leur tour maintenant.
Malone hésita, la dame lui faisait un peu peur, elle avait de longs ongles rouges, des cheveux de la couleur du feu, une peau foncée, des yeux noirs, une bouche qui s’ouvrait en grand quand elle parlait et qu’elle ne fermait jamais complètement, comme si elle avait trop de dents.
Malone avait compris.
C’était un dragon.
Elle surveillait l’entrée de la grotte, celle qui menait à la forêt des ogres, elle laissait passer les moutons, elle s’en fichait, mais est-ce qu’elle les laisserait passer, eux ?
Le dragon prit leurs papiers avec leur photo, ne les regarda presque pas, puis déchira la feuille, ouvrit la bouche sans lever les yeux.
— Bon voyage, madame.
Il faisait un peu noir dans l’aspirateur. Un peu plus froid aussi. Au bout, Malone voyait un autre trou, celui de l’avion.
La main le tirait plus fort encore.
La forêt des ogres…
Cette fois-ci, Malone ne put retenir ses larmes.
La main dans la sienne se fit molle. La voix dans le tunnel se fit douce.
— Tu as été très courageux, mon amour.
Malone s’en fichait d’être courageux. Il s’en fichait des ogres. Il s’en fichait du dragon. Il s’en fichait que l’avion décolle avec ou sans eux.
Il voulait Gouti.
Il voulait son doudou.
— Il va encore falloir être un tout petit peu courageux, mon amour. Gouti serait fier. Tu as fait exactement ce qu’il attendait de toi.
Elle prit Malone dans ses bras.
— D’accord, mon amour ?
Malone renifla. Il continuait de marcher. Juste avant de sortir de l’aspirateur pour entrer dans l’avion, il y avait un petit trou, on voyait le goudron de la piste en dessous. Et juste après, il y avait encore deux dames en costume qui réclamaient la feuille déchirée. Pas les papiers avec leur photo cette fois, juste la feuille. Le numéro de leur siège était marqué dessus, Maman-da lui avait expliqué. Les deux dames avaient elles aussi des bouches avec trop de dents, mais elles leur montrèrent gentiment la place où ils devaient s’asseoir dans l’avion.
La main serra encore plus fort la sienne.
— On est partis, mon amour ? Je te promets, papa nous rejoindra bientôt.
Elle l’embrassa. Malone renifla. Sans Gouti à caresser, il ne savait pas quoi faire de ses mains. Ses yeux continuaient de pleurer, mais il finit par laisser échapper un sourire.
— D’accord, maman.