Petite aiguille sur le 1, grande aiguille sur le 7
Malone jouait avec sa petite fusée blanche et bleue sur le tapis de la salle. Gouti l’observait, adossé au pied d’une chaise. Malone aurait préféré monter dans sa chambre et pouvoir écouter tout ce que son doudou avait à lui raconter, mais il n’avait pas le droit.
On n’a pas le temps ce midi, avait dit Maman-da.
Juste le temps de faire réchauffer les pâtes, de mettre la table et de manger vite avant de retourner à l’école.
Malone faisait décoller la fusée, cherchant une planète où la faire atterrir. Pouf-Pouf lui sembla une bonne destination, c’était une planète molle et violette en forme de poire. Dans la cuisine, il entendait Pa-di continuer de parler fort. Il buvait un café et il répétait toujours la même chose.
La maîtresse et Vasile. Vasile et la maîtresse.
Il était en colère, et même si Pa-di ne l’avait pas regardé de tout le repas, Malone savait bien pourquoi.
A cause de lui.
A cause de tout ce qu’il disait à Vasile.
Il s’en fichait, Pa-di pouvait bien lui crier dessus ou ne plus lui parler du tout. Le punir même, s’il voulait. Il s’en fichait ! Il ne lui dirait jamais rien et il continuerait quand même de parler à Vasile. Il l’avait promis à maman.
Maman-da avait bu son café à toute vitesse, fait la vaisselle, fait un gros bisou sur son front, passé le balai, fait un nouveau gros câlin, et maintenant, elle rangeait tout le bazar des sacs qu’ils avaient apportés à l’école, les papiers, les cahiers, les livres avec des photos. Elle avait ouvert le grand placard sous l’escalier, puis Pa-di l’avait appelé. Il avait déjà son manteau sur le dos mais il lui manquait son écharpe. Maman-da disait toujours qu’elle avait deux enfants à s’occuper !
Elle était montée dans la chambre chercher l’écharpe alors que Pa-di attendait dans la cuisine devant la télé, avec son café, et criait qu’il allait être en retard.
Malone fit doucement atterrir la fusée sur la planète Pouf-Pouf. Il marcha jusqu’au couloir, vers cette grande porte toute noire, qui n’était jamais ouverte d’habitude.
Il avança jusqu’au placard, entra dedans. Seule la lumière du dehors l’éclairait, et il faisait encore plus sombre quand il se mettait devant. Il se colla sur le côté, près des livres avec les photos sur les étagères. Ce n’était pas la peine de les ouvrir, il les avait déjà vus, Maman-da lui montrait des fois, mais il ne se reconnaissait pas quand il était petit. Il se souvenait de plein de choses, grâce à Gouti, mais pas de lui. Pas de sa figure, pas de à quoi il ressemblait bébé.
Malone regarda les autres cartons et les autres objets coincés sous les marches de l’escalier. Il avait repéré un grand tableau, bizarre, parce qu’il y avait des grosses lettres écrites dessus. Malone ne connaissait pas tout son alphabet, mais il savait lire son prénom.
M.A.L.O.N.E
A l’école, il fallait reconnaître la bonne étiquette au milieu de celles des autres enfants et l’accrocher sur le mur.
M.A.L.O.N.E
Son prénom était écrit sur ce tableau caché sous l’escalier, en grosses lettres, sur un papier blanc glissé sous du verre, mais elles n’avaient pas été dessinées au feutre. Ni à la peinture. Ni avec un stylo.
Malone dut se pencher encore pour bien en être sûr.
Il escalada quelques cartons et prit le tableau à deux mains pour qu’un peu de lumière l’éclaire et qu’il puisse mieux le voir.
Les lettres de son prénom étaient écrites avec des animaux !
Des tout petits animaux.
Des fourmis.
Des dizaines de fourmis alignées, collées, puis écrasées contre la plaque de verre. Celui qui avait fait ça l’avait fait avec beaucoup de soin. Presque aucune fourmi ne dépassait. C’était joli, très propre, même si Malone était un peu triste pour toutes ces bêtes vivantes qu’on avait tuées pour écrire son prénom. A moins que le tableau n’ait été fait qu’avec des fourmis déjà mortes ?
Qui avait pu faire ça ?
Pas Pa-di, c’est sûr. Déjà qu’il détestait colorier, découper, construire des trucs en Lego, toutes ces choses-là. Maman-da alors, pour lui faire une surprise ?
Drôle de surprise. Il n’aimait pas trop les fourmis. Surtout mortes. Il préférait voir son prénom écrit avec des feutres en couleur ou avec de la peinture sur les doigts, comme à l’école.
La porte de dehors claqua, sans même que Pa-di leur dise au revoir.
— On va y aller, mon chéri ! cria Maman-da du haut de sa chambre. Tu vas chercher ton manteau ?
Malone sortit vite du placard sous l’escalier. Il avait eu le temps de voir autre chose, d’autres bêtes bizarres, mortes aussi.
Et plus grosses que les fourmis, celles-là.