Notes
1. On a adopté cette dénomination conformément à la vocalisation de cette déesse qui nous est parvenue à travers la transcription grecque du nom de la déesse dans le sanctuaire punique d’El Hofra, A. Berthier-R. Charlier, Le Sanctuaire punique d’El Hofra à Constant, Paris, 1955, no 3.- GR, p. 168-169, pl. XXVIII, C (= KAI, 176) (lignes 1-2) et no 1.- GR, p. 167, pl. XXVIII, A (= KAI 175). Pour Milqart, C. Bonnet, 1988, p. 19.
1. Sur les sources grecques de Philistos, Eudoxe et Timée, G. Bunnens, 1979, p. 127-129 et 132-136. D’après les 2 premiers auteurs, Carthage aurait été fondée peu avant la guerre de Troie, au début du XIIIe siècle par Zôros et Karchédôn. On remarquera que le nom du premier était issu de Sôr, nom phénicien de Tyr, et que le second était établi sur le nom grec de Carthage.
2. D’une manière générale, il apparaît que les sources classiques ont établi, autour du récit de fondation de Carthage, une tradition étiologique aux valeurs opposées à celle de Rome et qui porterait en son sein les germes mêmes de son échec futur : la mise en parallèle des deux récits de fondation, celle de Carthage et celle de Rome, laisse apparaître un synchronisme, à la fois chronologique et symbolique, destiné à mettre en évidence, par un jeu de miroirs, l’ascendant naturel de l’Urbs sur la métropole punique. A partir d’Auguste, Carthage est surtout invoquée pour mettre en valeur Rome ; elle n’est plus l’ennemie mais « le double inférieur ». Le caractère féminin de l’histoire de Carthage – de la geste d’Elyssa au suicide héroïque de la femme du chef de la défense de Carthage lors de la troisième guerre punique, Asdrubal, en passant par le sacrifice de la belle Sophonisbe, mariée au roi massaesyle Syphax pour raison d’Etat lors de la deuxième guerre punique – programme en quelque sorte l’infériorité originelle de la cité punique par rapport à une Rome « masculine, ouverte, exogamique et expansionniste », C. Bonnet, 2011 et bibliographie.
3. Ce terme signifie cuir ou peau, probablement à partir d’un jeu de mots grec reposant sur la racine du nom sémitique du premier emplacement des Phéniciens sur le site de Carthage et dont on discute encore le terme. J. Scheid et J. Svenbro, 1985, p. 332-334, ont, du reste, montré les liens très forts qui unissaient, justement, les récits de fondation de cités de la sphère hellénistique et l’espèce bovine.
4. Si le consul danois à Tunis, C. T. Falbe, dresse la première topographie des vestiges dans ses Recherches sur l’emplacement de Carthage publiées en 1833, les investigations archéologiques à Carthage ne commencent réellement qu’avec les fouilles de C. E. Beulé en 1859, lesquelles ne font que dévoiler les absides romaines de la Colonia Iulia Concordia Karthago. Il faut attendre les dernières décennies du XIXe siècle pour que les fouilles reprennent sous la direction du révérend père Delattre sur les sites de Douïmès, de Byrsa et de Sainte-Monique, puis de P. Gauckler au début du XXe siècle au lieu-dit Dermech. La nécropole de la colline de Junon sera fouillée dans le même temps par A. Merlin. Surtout funéraires, ces campagnes de fouilles eurent le mérite de délimiter très tôt la zone des nécropoles puniques : constituée en arc de cercle, face à la mer, elle dénonçait ainsi aux futurs archéologues l’emplacement urbain de la cité punique pour les fouilles à venir. Mais la datation du matériel retrouvé dans ces nécropoles (poterie corinthienne et bucchero étrusque) révéla alors surtout des tombes du VIIe siècle et quelques-unes de la fin du VIIIe siècle, sur la colline de Junon. On est encore à ce moment assez loin de la date traditionnelle de fondation. Il faudra attendre, d’une part, un réexamen de la datation de la céramique issue des nécropoles archaïques et des niveaux les plus anciens de l’aire sacrée de Salammbô et, d’autre part, le matériel issu des fouilles allemandes des années 1980-1990 en bordure de mer pour atténuer l’écart qui subsiste encore entre la chronologie des données archéologiques et celle des sources littéraires. Un pan de mur remontant au début du VIIIe siècle, environ, a pu être constaté en un point au bas de la pente sud-est de la colline de Byrsa, F. Rakob, 1987, p. 338, fig. 2, T 2 ; le matériel céramique exhumé (kotyle protocorinthienne de type Aetos 666) d’une cavité pratiquée dans le sol d’un bâtiment, lors d’une fouille de sauvetage dans la propriété Ben Ayed, a permis de dater la construction de la première moitié du VIIIe siècle ; ces dates seront sensiblement corroborées du reste par la poterie géométrique eubéenne ou d’imitation eubéenne trouvée dans les sondages et les fouilles effectués par le Pr Rakob dans la rue Septime Sévère et la rue Ibn Chaâbat, M. Vegas, 1992, p. 183-188.
5. Cette dénomination est intimement liée à un des topos les plus répandus sur la civilisation punique, à savoir le sacrifice des enfants, topos relayé par Diodore de Sicile. C’est en effet dans la « haute place » du Tophet, dans la vallée de Ben-Hinnom, en périphérie de Jérusalem, qu’avaient lieu, d’après les textes prophétiques, des immolations d’enfants en l’honneur de Baʽal. Les découvertes de restes d’incinération d’enfants très jeunes, associés à des stèles plantées dans le sol, d’abord à Motyé en Sicile (1919) puis à Carthage (1921), et d’une stèle votive représentant un prêtre, la main droite levée dans un geste de piété, portant un enfant de la main gauche, toujours à Carthage, suffirent aux archéologues pour associer le terme de « tophet » à l’aire sacrée où furent exhumées des centaines de stèles votives. Outre le fait que le terme ne figure dans aucune inscription phénicienne ou punique, cette thèse est aujourd’hui largement remise en cause et on a plutôt tendance à voir dans cet espace un sanctuaire et une aire sacrificielle à ciel ouvert liés à l’enfance et à la maternité. A ce propos, et pour bibliographie, H. Bénichou-Safar, 2004.
6. Les importations d’amphores de la mer Tyrrhénienne, principalement de la Sardaigne nuragique et à un degré moindre d’Italie du Centre, et d’amphores phéniciennes du circuit del estrecho (principalement du sud de l’Espagne), ainsi que de céramiques eubéennes démontrent que la cité s’était insérée très tôt dans un circuit commercial impliquant la Grèce, la région de Pithekoussai (face à Naples) et les comptoirs phéniciens d’Ibérie méridionale ; les importations de céramique eubéenne et les imitations locales en milieu domestique carthaginois, particulièrement celle des vases à boire, prouvent l’adoption des coutumes de table grecques, d’autant que les Puniques imiteront très vite le modèle de ces coupes, M. Vegas, 1992, p. 188-189.
7. On connaît de nombreuses villes phéniciennes portant ce nom, qrtḥdšt, à Chypre, en Sardaigne, RES 1216 (= KAI 68). On peut légitimement se demander du reste si la Néapolis africaine (Nabeul) n’appartient pas à ce groupe de fondations, tout comme les localités antiques d’Afrique du Nord et de Sardaigne portant le nom de mqmḥdš, « Lieu neuf », DCPP, 1992, cf. Macomades, p. 267. Le nom donné à ces fondations montre en effet qu’il n’y eut aucune volonté politique de se démarquer de la mère patrie ; au contraire, on y verrait plutôt une intention de promouvoir une relation particulière entre métropole et colonie, W. Huss, 1985, p. 276.
8. Les Tyriens auraient fondé, aux XIIe-XIe siècles, les cités de Lixus et Utique en Afrique du Nord, Velleius Paterculus I, 2, 4 ; Pline l’Ancien, Hist. nat., XVI, 216, Pseudo-Aristote, De mirabilibus auscultationibus, 134. Pour Gadès (Cadix), Velleius Paterculus, I, 2, 4. La documentation littéraire étant pratiquement impossible à vérifier, la question de l’expansion phénicienne reste donc tributaire des recherches archéologiques effectuées sur les endroits concernés, de la métropole aux établissements phéniciens du pourtour méditerranéen. Et la documentation archéologique ne permet pas de remonter jusqu’au XIIe siècle. Tout juste peut-on avancer la stèle de Nora (Sardaigne), datée du IXe siècle, comme témoignage archéologique de cette navigation vers l’Espagne, l’île sarde se trouvant sur la voie maritime reliant le Levant au pays de Tarshish. De leur côté, les plus anciennes mentions bibliques de Tarshish (Is. 2, 16 ; Ps. 48, 8 ; 72, 10) ne remontent pas au-delà de la seconde moitié du VIIIe siècle, les mentions des « vaisseaux de Tarshish » à l’époque de Salomon en 1 R 10, 22 et 2 Ch. 9, 21 dans les Livres des Rois devant être attribuées à son rédacteur qui écrivait au VIe siècle, E. Lipinski, DCPP, 1992, cf. Tarshish, p. 441. De fait, ce n’est qu’à partir de la première moitié du VIIIe siècle que la documentation archéologique commence à témoigner du passage de l’élément phénicien en Méditerranée occidentale, avec un matériel plus durable et des constructions en dur plus « monumentales », toutes proportions gardées (alors que les premières attestations de navigations phéniciennes se trouvent dans l’Ancien Testament où le roi de Jérusalem, Salomon, semble reconnaître les Phéniciens comme de véritables spécialistes des activités maritimes (2 Ch. 8, 18 mais aussi 1 R 10, 22 et 2 Ch. 9, 21 dans les Livres des Rois), ce qui peut signifier une antériorité dans ce domaine… Une fréquentation commerciale de la Méditerranée occidentale vers la fin de l’âge de bronze et le début du premier âge du fer – et ne donnant lieu à aucune implantation permanente – a toutefois pu être mise en évidence. Cette présence a été qualifiée par les scientifiques de « précolonisation », eu égard à son antériorité par rapport à la phase colonisatrice phénicienne ou grecque du deuxième âge du fer, Gras, Rouillard et Teixidor, 1995, p. 165-188, avec bibliographie ; sur la documentation amassée sur la présence phénicienne en Italie et dans l’espace tyrrhénien, T. Camous, « Les Phéniciens dans l’historiographie romaine… », Revue des Etudes Anc., 2007, 109,1. Les manifestations de cette « précolonisation » se résument en fait à de timides indices d’une influence orientale sur la culture matérielle des populations indigènes, sans que l’on puisse dégager avec certitude une composante phénicienne proprement dite. En Espagne par exemple – mais aussi en Sicile et en Sardaigne, P. Bartoloni, 2014 –, les premiers éléments orientaux précoloniaux remontent en effet à la fin de l’âge de bronze et témoignent de leur rôle dans la période orientalisante qu’a connue la péninsule à partir de la fin du IIe millénaire, c’est-à-dire à la première période phénicienne. Ces contacts en Ibérie, notamment, ont permis de mieux appréhender l’origine et les premières navigations des Phéniciens à l’ouest à travers la culture matérielle, les innovations techniques, les nouvelles pratiques funéraires d’origine orientale, mais aussi l’acculturation des élites locales et des changements dans leur idéologie et leur système social, Martín Almagro-Gorbea, 2000. Le commerce des produits phéniciens, chypriotes, ainsi que celui de la céramique grec, participe de ce phénomène. La diffusion de ces produits concerne essentiellement les services à vin, à côté du commerce des parfums et de leurs ustensiles : c’est d’ailleurs par l’intermédiaire des Phéniciens que la pratique du banquet funéraire s’étend. Limitée à une mince bande littorale au sud, cette occupation phénicienne apporte à la péninsule les acquis d’une civilisation urbaine très développée. Même si des examens attentifs laissent deviner une fréquentation plus ancienne dans certaines régions abordées régulièrement par les Phéniciens, à travers des signes et des traits qui ramènent incontestablement à l’ambiance proche-orientale, une occupation plus prononcée, voire continue, de l’espace « colonisé » ne semble pas aller au-delà de la première moitié du VIIIe siècle. Cet écart entre la documentation littéraire gréco-latine et la documentation archéologique témoigne de la volonté délibérée d’auteurs tardifs gréco-latins de relier, de manière tout à fait artificielle, la tradition littéraire classique à la geste homérique du retour des Héraclides, J. D. Muhly, 1970. Sur la logique du mito di precedenza héracléen, utilisé par les princes et aventuriers grecs qui se prétendent « descendants » d’Héraclès pour légitimer l’occupation de terres que le héros grec aurait « balisées » à travers le bassin méditerranéen, M. Giangiulio, 1983.
9. Sur les échanges à grande échelle de la seconde moitié du IIe millénaire, C. Sauvage, 2014. En Phénicie, les cités ne semblent pas avoir été affectées par cette période de troubles qui a déstabilisé les pouvoirs locaux, P. M. Bikai, 1978, alors que les échanges au Proche-Orient se sont remarquablement développés avant le XIIIe siècle, C. Baurain et C. Bonnet, 1992, p. 27-28 ; sur les liens entre Sidon et Chypre par exemple, V. Karageroghis, 2007. La découverte, près de l’actuelle Carthage, d’une petite jarre à étrier de style mycénien datée du XIIIe siècle, M. Vegas, « Une trouvaille mycénienne à Carthage », CEDAC, 15, 1996, p. 55, combinée à celle de matériel archéologique de cachet égypto-oriental en Sicile (cf. la statuette en bronze découverte au large de Sélinonte, datée des XIVe-XIIIe siècles, S. Chiappisi, Il Melqart di Sciacca e la questione fenicia in Sicilia, Rome, 1961) dévoilent clairement l’existence de relations commerciales pour le moins étroites entre les Syro-Palestiniens et les Egéens. La céramique nuragique est, par ailleurs, bien attestée dans le mobilier funéraire du bronze final et du début de l’âge du fer sur le littoral tyrrhénien de l’Italie, jusqu’à Lipari : la Sardaigne – où les influences chypriote, phénicienne, philistine et, plus largement, orientale ne sont plus à démontrer – entretenait des relations soutenues avec l’aire tyrrhénienne et toscane comme le laissait déjà deviner la découverte de bronzes sardes près des côtes étrusques, G. Garbini, 1996, p. 122-123.
10. Sur les mentions des vaisseaux de Tarshish dans l’Ancien Testament, voir note 9. Hérodote, IV 152, témoigne de la non-connaissance de Tarshish par les Grecs.
11. Il a été recensé six récits différents de cette « victoire cadméenne » pour reprendre l’expression d’Hérodote – en réalité une franche défaite grecque – partagés entre ceux de traditions phocéennes, marseillaises et puniques ; il en ressort que l’engagement d’Alalia est la conséquence combinée de l’intervention carthaginoise de Malchus en Sardaigne et de l’arrivée de fugitifs phocéens s’adonnant à la piraterie. Les traditions carthaginoises racontant le récit semblent même lier, chez Trogue Pompée (Justin, XVIII, 7, 1), l’exil politique de Malchus, infligé par sa cité, à cette « défaite », M. Gras et alii, 1989, p. 230-231, ce qui ne va pas sans mettre en exergue l’importance de la Sardaigne dans la stratégie d’ensemble carthaginoise. C’est un élément d’analyse que l’on retrouvera d’ailleurs à travers les traités entre Rome et Carthage.
12. Concernant Malchus, de sérieux doutes existent sur son historicité : outre le fait qu’elle n’est mentionnée que par le seul Justin, il apparaît que l’histoire de Malchus participe de la substance du livre XVIII de Justin, abréviateur de Trogue Pompée : pour C. et G.-C. Picard, 1970, p. 55, Trogue Pompée « expliquait les rites inhumains à partir d’événements historiques supposés qui auraient donné lieu à l’institution de ces rites par un personnage célèbre ». Le nom Malchus ne serait en fait que la personnification de la fonction royale, MLK signifiant « roi » en sémitique ; l’histoire de ce personnage serait là pour illustrer la nécessité du sacrifice par crucifixion du fils du roi.
13. Sur cette question précise, S. F. Bondi, 2009, p. 459. Sur les expéditions puniques contre les cités phéniciennes : C. Tronchetti, 1995, p. 728-729, pour la Sardaigne ; S. F. Bondi, 1996, pour la Sicile ; voir également P. Bartoloni, 2004, p. 55. On a longtemps associé l’expédition sarde à une tentative carthaginoise de juguler la pression indigène sur les établissements phéniciens du littoral sarde. De fait, ces événements militaires ont été très tôt interprétés comme l’affirmation de Carthage sur la scène méditerranéenne en substitution aux Phéniciens. L’identité des ennemis de Malchus et les causes de son intervention en Sicile et en Sardaigne demeurent encore floues et – ambiguïté des sources oblige – font l’objet de différentes interprétations, même si la menace grecque revient assez souvent comme argument présenté. Pour une vue synthétique, V. Krings, 1998, p. 33-91.
14. Si l’on rattache le témoignage de Justin avec la geste de Malchus, on peut sans peine rattacher ces éloges faits à Magon le Grand à une reprise en main de la situation militaire en Méditerranée centrale, particulièrement là où avait échoué Malchus : en Sardaigne. On peut donc mettre au crédit de l’héritage militaire de Magon la pacification définitive de l’île par son fils Asdrubal et son petit-fils Amilcar (chez Justin, XIX, 1, 7, Amilcar est présenté comme le fils de Magon le Grand et donc le jeune frère d’Asdrubal). Le traité signé entre Rome et Carthage en 509, sous le généralat d’Amilcar, montre en effet que l’île est, à cette date, clairement intégrée au territoire carthaginois. La soumission de l’île à l’hégémonie punique a donc eu lieu antérieurement au premier traité romano-punique et après 530/525, si l’on accorde à Magon un mandat suffisamment consistant – près d’une décennie – pour avoir le temps de remettre sur pied la puissance carthaginoise.
15. L’absence de Carthage des circuits commerciaux et la prétendue rupture des contacts entre Grecs et Puniques ont longtemps été attribuées à la défaite d’Himère, C. et G.-C. Picard, 1970, p. 81 ; W. Huss, 1985, p. 97 ; Anello, 1988-1989, p. 326. Depuis, la révision de la datation du matériel céramique, J.-P. Morel, 1983, a permis de battre en brèche cette conviction. De plus, Himère est apparue en fait comme la résultante de l’envenimement d’un contentieux politique entre cités grecques ayant impliqué les Puniques dans le cadre d’une défense d’un équilibre politique et commercial, V. Krings, 1998, p. 322-326.
16. Thucydide, VI, 15 et 34 et 90, 2 ; Aristophane, Les Cavaliers, 1299-1305. Cf, Treu, 1954-55.
17. Des expéditions coloniales du Cnidien Pentathlos, vers 580, Diodore, V, 9 et Pausanias, X, 11, 3-4, et du Spartiate Dorieus, Herodote, V, 41-48 et VII, 158 et IX, 10, en Sicile, fin VIe-début Ve siècle, aux conflits entre la Syracuse des Deinoménides et des Denys et Carthage (sans oublier l’épisode des frères Philènes en Libye, milieu du IVe siècle), les époques archaïque et classique se sont vite résumées, en ce qui concerne les relations punico-grecques, à des rapports militaires entre blocs ethno-culturels ; elles prirent même, parfois, des allures de « croisades », si l’on en croit la façon dont sont relatés les événements par l’historiographie gréco-latine, plus ou moins acceptée, un temps, par l’historiographie contemporaine, C. et G.-C. Picard, 1956, p. 39 et 1970, p. 80 ; W. Huss, 1985, p. 58-59 et note 13, p. 61-62. Cette volonté d’amplifier l’antagonisme gréco-punique est encore plus visible à travers la couverture de la victoire grecque d’Himère, magnifiée par Pindare, Pythiques, 1, 69-81, dans une ode pythique et célébrée comme en étant le point culminant puisque délibérément mise en synchronisme avec celle de Salamine contre les Perses (480) : Hérodote, VII, 165, rapporte le synchronisme établi entre les deux batailles sans garanties et sans autres commentaires. Ce synchronisme a ainsi servi à mettre en exergue l’alliance phénico-perse contre la grécité que la littérature classique s’est évertuée à dénoncer, Diodore, XI 1-4 ; l’intervention de Léonidas contre les Carthaginois chez Justin, XIX, 1, 9, est d’ailleurs apparue – à travers une reconstruction de la conviction selon laquelle la Carthage d’alors était déjà celle des interventions puniques du IVe siècle – comme une volonté de dramatiser le conflit entre Grecs et Carthaginois : en faisant entrer en scène, en Sicile, le héros grec des Thermopyles, en lieu et place de son frère Dorieus, l’auteur latin voulait dramatiser ce conflit et le hisser au niveau de celui que s’étaient livrés Grecs et Perses. Reprenant le dossier sur une période s’étalant en gros sur le VIe siècle, V. Krings, 1998, s’est évertuée, en particulier, à replacer ces rapports dans un cadre local plutôt que dans une perspective politique et commerciale propre à la Méditerranée archaïque, évitant ainsi les analyses surévaluantes des épisodes guerriers en même temps qu’étaient dévoilés les cadres idéologiques dans lesquels les sources littéraires relatives aux passages impliquant Pentathlos et Dorieus étaient composées : on a pu s’apercevoir ainsi que l’époque césarienne, au cours de laquelle écrivaient un Diodore de Sicile ou un Trogue Pompée, l’abréviateur de Justin, se prêtait à une ambiance historique dans laquelle la civilisation grecque revêtait une mission civilisatrice, notamment à travers l’épopée héracléenne, J.-C. Carrière, 1995. Hérodote et plus encore Pausanias font même du caractère héraclide de Dorieus le moteur de leur récit, V. Krings, 1998, p. 183. Cette époque césarienne plaçait également ces auteurs dans une perspective impériale, ce qui explique la tendance à concevoir la confrontation entre Grecs et Puniques comme celle de deux empires en compétition : W. Huss, 1985, p. 57-64, et L. M. Günther, 1995, notamment, reprennent la thèse d’une Carthage impérialiste déjà à l’époque archaïque. En ce qui concerne la bataille d’Himère, l’historiographie contemporaine, après avoir suivi la thèse des auteurs classiques en ce qui concerne l’existence d’un axe phénico-perse contre l’hellénisme, s’accorde désormais à réfuter l’entente entre Xerxès et Carthage : la simultanéité du déroulement de la bataille d’Himère avec celle de Salamine est désormais mise sur le compte de la pure coïncidence et de la propagande grecque. On a même vu, à travers cette propagande, une occasion pour Gélon de se dédouaner de la polémique née après le refus du tyran de Syracuse de porter secours aux Grecs orientaux face à l’offensive perse en même temps qu’elle lui permettait de se présenter en défenseur de la grécité occidentale, V. Krings, 1998, p. 322-323. D’un autre côté, le rôle des indigènes dans la confrontation avec les Grecs, en Sicile, a été sensiblement réévalué alors que la place des Phénico-Puniques apparaît désormais plus en retrait, A. J. Domínguez Monedero, 1989, p. 551.
18. Les lécythes, sans disparaître complètement, s’éclipsent au profit des unguentaria. On a observé la même tendance à Chypre : C. Diederichs, Salemine de Chypre. Céramiques hellenistiques, romaines et byzantines, Paris, de Boccard, 1980, p. 22, constate, à Salamine de Chypre, que les unguentaria semblent succéder à une série de vases qui disparaissent alors : les lécythes et les aryballes.
19. L’iconographie du Baʽal assis sur un trône dans l’attitude hiératique ne va pas sans rappeler la stèle d’Alep sur laquelle Milqart apparaît armé de la hache fenestrée, et on a eu beau jeu d’y reconnaître le Baʽal de Tyr, W. Culican, « Melqart. Representations… », Ab Nahrain, 2, 1960-61, p. 52, mais la multiplicité des types iconographiques (sémites, hellénisants ; barbus, imberbes) nous conduirait plutôt à conclure à la « polysémie » des représentations iconographiques phénico-puniques, C. Bonnet, 1988, p. 184-185. La représentation du dieu Bès conserve leurs caractéristiques orientales (lèvres pendantes, coiffure de plumes, vêtement en pagne) : une statuette du dieu Bès, découverte dans un atelier de poterie à Dermech, P. Gauckler, 1915, p. 121, pl. XXXI, reproduit le dieu à la manière phénicienne : vieux nain difforme à la barbe abondante, coiffé de plumes dressées, G. Perrot et C. Chipiez, 1885, p. 419. Le thème du tympanon remonte à la fin du IIIe millénaire, en Mésopotamie, et vers le milieu du IIe millénaire à Ugarit, J. Ferron, 1969, p. 19 sq. Quant au thème de la colombe, on le rencontre dès le Ve millénaire en Mésopotamie, M. T. Barrelet, Figurines et reliefs en terre cuite de la Mésopotamie antique, 1958, p. 58, et il devient, plus tard, l’attribut, en Phénicie et à Chypre, de la déesse Aštart-Aphrodite, G. Perrot et C. Chipiez, 1885, p. 200-201, note 2 et J. Ferron, 1969, p. 27. L’Egypte, particulièrement, garde une grande influence sur le répertoire des terres cuites puniques, et ce, jusqu’à basse époque tardive : les thèmes (le dieu Bès, le sphynx : P. Gauckler, 1915, pl. LCXXIX, p. 122), les vêtements (vêtement en ailes croisées), la technique utilisée (type momiforme), et le traité du visage et de la chevelure (yeux grands ou en amande, nez large, coiffure large descendant sur les épaules en boucles ou en tresses, parfois séparées ou liées par des liens) sont autant de domaines dans lesquels on retrouve des caractéristiques nilotiques.
20. Les stèles votives archaïques, à Carthage, P. Bartoloni, 1976, peuvent se résumer, en deux grandes parties : les cippes-trônes et les cippes en forme d’édicule à naiskos. Les stèles votives n’apparaissent qu’au VIIe siècle, alors qu’on avait affaire, avant, aux stèles aniconiques avec des représentations géométriques telles que le bétyle, le losange ou l’idole-bouteille, H. Benichou-Safar, 2004, p. 137-140. Ces cippes carthaginois baignent dans une atmosphère égyptisante incontestable. On ne compte qu’une vingtaine d’exemplaires du signe de Tinnit à cette époque. Concernant le débat sur l’origine de ce symbole, il est encore ouvert, DCPP, p. 416-418. Les représentations anthropomorphiques ne rassemblaient qu’une quarantaine d’exemplaires. On a, en particulier, un personnage nu, aux bras allongés le long du corps et aux jambes jointes, placé entre deux bétyles en forme de colonne ou sur un autel ; sur certains exemplaires on voit le klaft, ce qui nous ramène à l’origine orientale du thème, S. Moscati, 1971, p. 212. Les thèmes d’origine orientale du personnage masculin en marche et de la femme posant la main sur la poitrine sont plus rares, S. Moscati, 1997, p. 366. Le centre artistique de Nora, en Sardaigne, est, dans l’ensemble, totalement rattaché à celui de Carthage : comme dans la métropole africaine, le répertoire figuratif privilégie aussi les bétyles, simples ou multiples, les idoles-bouteilles, les losanges, et plus tard les signes de Tinnit, ce qui ne l’empêche pas de diversifier les détails (bétyle ou losange arrondi, humanisé), S. Moscati, 1997, p. 373. Hadrumète, tout en ayant des motifs semblables à Carthage, présente certaines particularités : les colonnes cannelées qui encadrent les bétyles, voir S. Moscati, 1971, ill. 23. D’autres figures typiques de l’iconographie carthaginoise, tel le losange, n’apparaissent pas à Hadrumète, S. Moscati, 1997, p. 367. Mais c’est à Mozia que l’on relève la plus grande autonomie artistique par rapport à l’art de Carthage, ibid., p. 370-372.
21. Sur le sanctuaire bâti de Salammbô, Carton, 1929 et N. Ferchiou, 1987, p. 13-16 ; sur celui de Sidi Bou Saïd, A. Merlin, 1919, p. 177-196 et G.-C. Picard, 1946-1949, p. 678. Sur le schéma tripartite et en enfilade, Carton, 1929, p. 4 sq., A. Lézine, 1959, p. 251, HAAN IV, p. 390-396, et C. et G.-C. Picard, 1982², p. 38-39, même si dans ces cas, c’est le temple de Jérusalem qui continue, à tort, d’être cité comme référent. On trouvera dans B. S. J. Isserlin, 1973, un inventaire des sanctuaires puniques reposant à la fois sur les travaux de Lézine, précédemment cité. Sur le maintien des plans de type sémitique dans l’architecture religieuse phénico-punique, E. Lipiński, 1995, p. 427-438. Sur le caractère sémite de la cour centrale, HAAN IV, p. 392-393 ; G.-C. Picard, 1959, p. 19 ; S. Moscati, 1971, p. 76 et 80. Les fouilles de l’équipe allemande, près de la mer, ont mis en évidence une surface aplanie, vraisemblablement la cour d’un grand édifice, F. Rakob, 1990, p. 34 ; id., 1992, p. 35. C. Picard, 1976, p. 200, a reconnu, sur l’iconographie d’une stèle de l’aire sacrée de Salammbô appartenant aux collections du Louvre, sous le no AO 23280 et visible dans le catalogue de M. Hours-Miédan, 1951, pl. VII, 3, une cour associée à la chapelle et à l’autel. Dans le sanctuaire de Sidi Bou Saïd, la cour n’est pas attestée mais on a découvert, en face de la chapelle, une table d’offrande, A. Merlin, 1919, p. 179-180 ; mais, dans ce cas comme dans celui du sanctuaire de Carton, les rapports de fouilles ne dissertent que sur les chapelles. La banquette est attestée à Carthage, dans la chapelle Carton, L. Carton, 1929, p. 6 et celle de Sidi Bou Saïd, A. Merlin, 1919, p. 179. En Phénicie, les temples de Milkaštart et celui dit « de l’Est », du sanctuaire d’Oumm el-Amed, datés des IIIe-IIe siècles, conservent un plan au sol de type sémitique dans lequel le naos est isolé dans une cour fermée et bordée d’édifices annexes et de portiques. Concernant la toiture plate, toutes les hypothèses de restitution d’élévation de temples puniques, effectuées à partir des restes de ruines, proposent cet aménagement : c’est le cas à Carthage pour le temple monumental découvert sous la rue Ibn Chaâbat par l’équipe allemande de F. Rakob, 1990, ainsi que, dans le territoire de Carthage, de la chapelle de Zaroura, près de Thizika, N. Ferchiou, 1987, p. 30-32 et fig. 9-10, p. 44-45.
22. M. Sznycer, 1978, p. 557.
23. On a un temps envisagé une origine africaine à Tinnit – hypothèse ayant eu sa très éphémère heure de gloire avec l’ouvrage de F. O. Hvidberg-Hansen, 1979 – avant que des attestations épigraphiques et archéologiques archaïques ne ramènent définitivement la genèse de la déesse en Orient, J. Ferron, 1986 ; id., 1995, p. 199 sq.
24. Pline l’Ancien, VII, 57, 8-9, va même jusqu’à leur attribuer l’invention du commerce. Un passage célèbre de la Bible, Ezéchiel 27, 3-15, résume parfaitement cette réputation à travers une allégorie où il décrit Tyr comme un navire et les bois qui ont servi à sa construction : « […] Tu diras à Tyr : Toi qui habites les avenues de la mer, toi qui fais du commerce avec les peuples, avec les îles nombreuses […] toi dont le territoire est au cœur des mers, tes constructeurs ont achevé ta beauté. En genévrier de Senir, ils avaient construit tout ton bordage, d’un cèdre pris au Liban ils avaient fait le mât qui te surmonte […]. » Ce passage montre également que leur renommée devait également beaucoup à l’avance technique acquise dans le domaine naval sur leurs rivaux, surtout qu’ils prenaient le relais des puissances égéennes, dont les redoutables Mycéniens, alors en net retrait aux environs de 1200, conséquence probable de l’invasion des Peuples de la mer à cette époque.
25. Sans atténuer la profondeur stratégique de l’axe punico-étrusque, qui était une réalité comme le montre le passage d’Aristote, l’entente militaire entre les deux peuples semblait répondre avant tout aux activités de piraterie grecque menaçant le fructueux commerce tyrrhénien, d’autant qu’Etrusques comme Puniques étaient présentés par la littérature grecque comme des Barbares hostiles à l’hellénisme, D. Briquel, 2010. En réalité, il apparaît évident, au vu de la documentation littéraire et archéologique amassée sur le sujet, que les considérations maritimes et commerciales sont au centre des traités entre Puniques et Etrusques, comme le démontrent également les articles des traités romano-puniques (infra), dont on a des raisons de penser qu’elles en sont une émanation directe ou indirecte. La dimension politique et militaire de ces traités apparaît dès lors comme une conséquence directe des échanges qui se sont établis entre les deux peuples dans le cadre de l’intense commerce tyrrhénien. Les interventions conjointes contre la piraterie grecque, notamment, doivent donc être appréhendées à travers la perspective des intérêts commerciaux des deux puissances maritimes.
26. Sur cette question, S. Lancel, 1992, p. 119-122 ; DCPP, p. 345. Sur la thèse Cerné/Mogador, M. Euzennat, 1994. La copie (IXe siècle ap. J.-C.) de la version grecque du récit d’Hannon est conservée à Heidelberg sous le registre Cold. Palat. 398, fol. 55r-56r.
EN MÉDITERRANÉE CENTRALE AU IVe SIÈCLE
1. L’étude de la céramique relevée sur le site punique de Carthage a montré la quasi-absence de pithoi ou dolia, vaisselle de stockage (caractéristique) des aliments, dans la couche archaïque. Il faudra attendre la fin du VIe siècle pour atteindre un nombre intéressant de cette vaisselle. Une étude, R. F. Docter, « Carthage and its Hinterland », S. Helas et D. Marzoli [éds.], « Phönizisches und punisches Städtewesen » [= Akten der internationalen Tagung in Rom vom 21. bis 23. Februar 2007], sur les amphores de transport a montré la prédominance des amphores d’importation dans une période comprise entre 760 et 675, ce qui démontre que la Carthage archaïque dépendait de l’extérieur pour son alimentation. De 675 à 530, les amphores de transport localement produites constituent plus de la moitié de la documentation recensée, ce qui prouve une augmentation de la production agricole locale ; entre 540 et 530, seulement 15 à 20 % des amphores trouvées ont été importées hors du territoire immédiat de Carthage. Cela démontre une exploitation toujours plus importante de l’arrière-pays africain de Carthage. La mission archéologique allemande dirigée par F. Rakob a du reste indiqué que 25 % des tessons recueillis sur le site de Carthage punique dans les habitats du VIIIe siècle proviennent de poteries modelées libyques, ce qui tend à prouver que les premiers colons carthaginois entretenaient des relations plus ou moins étroites avec les populations locales.
2. Une inscription latine dédicacée à Trajan en l’an 113 ap. J.-C., découverte sur le forum romain de Maktar (nord-ouest de la Tunisie) au milieu des années 1960, mentionne les soixante-quatre ciuitates du pagus Thuscae et Gunzuzi, G.-C. Picard, A. Mahjoubi et A. Beschaouch, 1964. D’autres pagi, Muxsi, Zeugei et Gurzensis, sont attestés par les sources latines du Haut-Empire. Mais de ces cinq circonscriptions d’époque romaine, seule l’existence du pagus Thuscae est attestée épigraphiquement pour l’époque préromaine : une borne punique découverte en 1940 au Djebel Massoudj, près de Zama, et datée de la vingt et unième année du souverain numide Micipsa (128-127), mentionne l’érection d’une pierre par un certain WLBḤ, lié à la famille royale de Massinissa et gouverneur des ʼrṣt tškʽt, « territoires de la Tuskhat » ; on peut aisément retrouver cette circonscription territoriale dans le passage d’Appien sur la chôra Thusca et ses cinquante villes qui furent annexées par Massinissa en 152, Appien, Libyca, 68-69. L’inscription du Djebel Massoudj permet en outre de préciser la localisation géographique de ce district administratif punique que l’on situera donc dans cette partie du Haut Tell, avec pour chef-lieu Zama, ce qui corroborerait une assertion de Salluste (Bellum Iugurthinum, LVI, 1, 57, 1) présentant cette cité comme étant la plus importante de sa région.
3. Voir note précédente.
4. La documentation sur les statuts civiques des populations africaines avant 146 demeure insuffisante pour avoir un tableau convenable de la situation pour l’époque qui nous intéresse. On doit en plus tenir compte du fait que cette documentation repose sur les témoignages littéraires gréco-latins, lesquels reportent sur le monde africain des réalités juridiques et militaires propres à leur mode de pensée, S. Crouzet, 2010. La situation se trouve compliquée, en outre, par la quantité de termes utilisés par la littérature gréco-latine pour désigner les différents peuples vivant en Afrique du Nord : Afri, Libyens, Libyphéniciens, Numides ou encore Gétules sont les appellations les plus utilisées par les auteurs grecs et latins.
5. Libyphénicien est un terme peu utilisé par la littérature classique et nous n’en avons aucune attestation épigraphique. Cette appellation revêt surtout un caractère géographique et ethnique, notamment chez des auteurs grecs comme Diodore de Sicile, XX, 55, 4, qui distingue « les Phéniciens qui habitaient Carthage, les Libyphéniciens possédant de nombreuses cités littorales et unis aux Carthaginois par l’épigamie ce qui leur a valu le nom qu’ils portent ; les Libyens ou l’ancienne race indigène, la plus nombreuse, animés d’une haine implacable contre les Carthaginois qui leur ont imposé un joug pesant ; les Numides qui habitent une grande partie jusqu’au désert ». Le caractère ethnique se retrouve chez Tite-Live, XXI, 22, 3, alors que le caractère géographique est relayé par Strabon (sur le littoral entre Carthage et Cephalae, près de Leptis Magna), Pline l’Ancien (Byzacène), et Ptolémée (au nord du Byzacène). La documentation archéologique amassée lors des nombreuses fouilles dans la région a en effet mis en exergue sa spécificité culturelle si l’on compare avec le faciès des régions voisines. Il en ressort une culture métissée – particulièrement visible dans le domaine funéraire – où les traditions libyques et puniques s’entremêlent, H. Ben Younès, 2010.
6. Sur la population autochtone proprement dite, que la littérature classique nomme Libyens et/ou Africains, on s’est retrouvé en face d’une multitude de réalités juridiques et/ou civiques. Ces dénominations peuvent désigner l’ensemble des populations africaines comme elles peuvent représenter une population donnée : Numides, peuple de Cyrénaïque, habitants vivant près de Carthage. Elles peuvent revêtir également une réalité juridique donnée : des populations sujettes ou indépendantes de Carthage, parfois chez un même auteur ; ainsi, chez Diodore, les Libyens sont présentés tantôt comme des alliés, tantôt avec un statut juridique inférieur.
7. Les Libyens sont distingués des Gétules, Salluste, Guerre de Jugurtha, XVIII, et des Numides et se retrouvent sujets de Carthage, Polybe, XV, 11, 2. Le récit de Polybe sur la guerre des Mercenaires (seconde moitié du IIIe siècle), notamment, montre les Africains/Libyens triplement exploités par Carthage à travers la collecte d’impôts, le recrutement de mercenaires et le pillage des ressources agricoles locales. Cette réalité ethnographique se trouve du reste confirmée par l’épigraphie punique, G. Halff, 1965, p. 119 ; Rés II, 662 et 943. Le vocabulaire néopunique semble également avoir repris le terme ethnique « libyen », bšd lwbym, qui d’après M. G. Angeli Bertinelli, « Romana-Punica minima », in Afrique du Nord, actes du coll. int. (Perpignan, 1981), 1983 p. 256 et note 16, aurait été formé à partir du grec ; ce terme a notamment été utilisé pour servir de légende, en caractères grecs, ΛΙΒΩΝ, aux insurgés de la guerre des Mercenaires, comme on le verra.
8. Le préaccord signé entre Hannibal et le roi macédonien Philippe V, en 215 (voir annexe), nous apporte le témoignage d’une distinction réalisée entre « ceux qui sont dans la dépendance des Carthaginois et qui possèdent les mêmes lois » et « toutes les cités et tous les peuples sujets des Carthaginois ». Même si, ici, le texte concerne l’ensemble des régions appartenant à l’aire d’influence punique en Méditerranée occidentale, il nous confirme indirectement une distinction juridico-politique appliquée au territoire africain. L’occupation des sols à l’époque punique offre un angle de vision intéressant pour cette problématique. On peut distinguer en gros trois grands secteurs de domination punique, dont les délimitations ont peu ou prou évolué avec le temps : l’Etat carthaginois proprement dit (supra), à l’intérieur de la fossa regia ; les territoires environnants, intégrés (les territoires de la Tushkat et de Gunzuzi) ou non (territoires des emporia) au territoire précédent lors des IVe et IIIe siècles ; et enfin les territoires au-delà, qui ont échappé au contrôle punique, comme les régions sahariennes. A l’intérieur de cette organisation territoriale peuvent être envisagées les distinctions juridico-politiques évoquées plus haut : « ceux qui sont dans la dépendance des Carthaginois et qui possèdent les mêmes lois » se trouveraient ainsi compris dans le territoire proprement carthaginois, à l’intérieur de la fossa regia, alors que « toutes les cités et tous les peuples sujets des Carthaginois » concernerait plutôt les territoires non intégrés au domaine de Carthage. Les territoires de la Tushkat et de Gunzuzi pourraient très bien être passés du deuxième statut au premier : c’est ce que tendrait à montrer l’adoption dans ces pays des cultes religieux et des systèmes politiques puniques à une époque comprise entre le IVe et le IIIe siècle. Concernant le statut intermédiaire de la population sujette mais égale sur le plan juridique aux Carthaginois, il a été rapproché de celui envisagé à travers le terme ʽm qui désigne dans l’épigraphie phénico-punique « le peuple » – autre que celui carthaginois – dans sa pleine souveraineté politique locale, que ce soit en Afrique, en Sardaigne ou encore en Sicile, M. Sznycer, 1975. On y verrait alors l’attestation d’un groupe d’individus représentant l’autorité de Carthage sur son Etat ou sur les terres qu’elle contrôle directement ; ce groupe serait alors chargé d’administrer les peuples assujettis. Les Libyphéniciens pourraient avoir joué ce rôle, M. I. Mandredi, 2010.
1. SEG, X, 136.
2. Une inscription punique d’époque archaïque, CIS 5510, découverte en 1936 par le père Lapeyre dans la zone de Salammbô à Carthage, mentionne, dans les lignes 7 à 11, les noms des généraux Hannibal ben Gisco le Rab et d’Imilcon ben Hannon le Rab qui se sont emparés d’Agrigente, C. Krahmalkov, « A Carthaginian report of the battle of Agrigentum 406 B.C. (CIS, I, 5510.9-11) », Riv. di S Fen., 2, 1974, p. 171-177. L’éminent épigraphiste F. Bron, consulté, émet des réserves quant à la traduction qui aurait donné le nom d’Agrigente. Il reste que les noms et la généalogie présentés correspondent bien à la réalité historique décrite chez Diodore.
3. Ce rapprochement entre la statue et le culte de Baʽal Ḥammon s’est surtout fait sur la base d’un passage de Diodore de Sicile, XX, 14, 6, rapportant « qu’il y avait à Carthage une statue de Kronos en bronze, les mains étendues, la paume en haut, et penchées vers le sol, en sorte que l’enfant qui y était placé roulait et tombait dans une fosse pleine de feu ». Aujourd’hui très contesté, le dossier sur les sacrifices d’enfants à Carthage fut notamment popularisé par le roman de Flaubert, Salammbô, lequel met en scène cette fameuse machine à rôtir dans une atmosphère anxiogène que ne renierait pas la propagande syracusaine. On retrouve la trace du taureau en bronze à l’issue de la destruction de Carthage en 146. On sait en effet que le vainqueur de la métropole punique, Scipion Emilien, s’évertua à rendre à leurs propriétaires les œuvres que les Puniques avaient confisquées aux cités grecques lors des guerres de Sicile ; parmi elles, le fameux taureau de bronze qui fut restitué, donc, à Agrigente, Diodore, XIII, 90 et XXXII, Excerpt. de Virt. et Vit., p. 591 ; Cicéron, Discours, seconde action contre Verrès. Livre quatrième : les œuvres d’art, XXXIII, 73 (sur cette imitatio Alexandri, J.-L. Ferrary, 1988, p. 578-588). Le rapprochement entre le taureau de Phalaris et les sacrifices d’enfants à Carthage a été opéré sur la base du seul passage de Diodore de Sicile, XX, 14, 6, rapportant qu’il y avait dans la métropole punique « une statue de Kronos en bronze, les mains étendues, la paume en haut, et penchées vers le sol, en sorte que l’enfant qui y était placé roulait et tombait dans une fosse pleine de feu ». Si la plupart des historiens gréco-latins et chrétiens ont évoqué, à un moment ou à un autre, le rite des sacrifices des enfants, ce n’est pas le cas pour cette statue de Kronos. Hormis Diodore de Sicile – dont on connaît le goût pour le merveilleux et le sensationnel – et sa très probable source, Clitarque, Schol. Hom. Od. XX, 302, cité par A. Simonetti, 1983, note 10, p. 97 (qui rapporte que les victimes sacrifiées à Kronos étaient placées sur les mains de la statue avant de tomber dans un bassin de feu. Le récit de Diodore ressemble étrangement au récit de Clitarque), aucun autre auteur n’en parle, pas même Polybe qui a pourtant assisté physiquement à la prise et au sac de la métropole africaine. Historien considéré comme le plus crédible de tous, il ne mentionne à aucun moment un sacrifice rituel d’enfants à Carthage – tout comme Tite-Live d’ailleurs –, même s’il faut reconnaître qu’une grande partie de son œuvre a disparu. Il s’est avéré également que les commentateurs de la Bible s’étaient inspirés de l’auteur sicilien pour matérialiser le dieu Moloch de l’Ancien Testament sous les traits de Baʽal Ḥammon. En réalité, il semble bien que l’on soit en présence ici d’un de ces topos que la littérature antique a l’habitude de diffuser : A. Simonetti, 1983, a montré que le récit de Clitarque sur le rôle de cette statue s’était plus inspiré du mythe de Thalos (Thalos était une statue animée, créée par Epheste et offerte par Zeus à Europe. La particularité de cette statue était de punir les étrangers qui osaient fouler le sol crétois en les serrant contre elle après s’être « baignée dans le feu », Simonetti, 1983, p. 97) que d’une quelconque réalité rituelle carthaginoise. On trouvera à ce propos chez H. Benichou-Safar, 2004, p. 159-163, un résumé de la remise en cause de la thèse des sacrifices d’enfants sous la forme rituelle.
4. Il apparaît en fait que l’auteur sicilien écrivait avec des motivations personnelles. L. Maurin, 1962, p. 27-29, a bien montré la familiarité du récit relatant le désastre de 396 avec celui d’Amilcar, à Himère en 480 ; dans les deux cas, on retrouve des thèmes rhétoriques courants comme ceux de la peste ou de l’histoire moralisatrice. L’historiographie contemporaine a bien mis en évidence, par ailleurs, le goût de l’auteur sicilien pour les thèmes de clémence, de vengeance et de justice, D. Ambaglio, 1995, p. 109-118. Pour Diodore de Sicile, la peste qui décime les Carthaginois est la conséquence de leur impiété envers les divinités locales. L’auteur grec savait pourtant qu’une forte concentration d’hommes près des marécages qui entouraient Syracuse, dans la zone du grand port, favorisait toujours, en fin de période estivale, le développement de pestilences, Diodore, XIV, 70. Ces objectifs moralisateurs trouvent leur source dans la foi religieuse de l’auteur qui se manifeste dans « le rappel du respect dû aux dieux et des châtiments qui frappent les impies », introduction de F. Chamoux, dans P. Bertrac et Y. Vernière, 1993, p. XII ; c’est cette même foi qui le pousse également à opérer, implicitement, une sorte de « guerre des dieux », Diodore, XIV, 74, 4, pour mieux mettre en exergue la suprématie des divinités grecques sur les divinités puniques. Cela se traduit donc, dans le texte de l’auteur sicilien, par le suicide du Magonide qui serait la conséquence d’un état de profonde crise religieuse, Diod. (respectivement) XIV, 77, 4-5 et XIII, 86, 3.
5. Une inscription à Thèbes, datée d’environ 365 et ayant valeur de décret, atteste de la présence d’un proxène carthaginois, Hannibal, fils d’Asdrubal, IG VII 2407 ; HAAN IV, p. 153 : il y est précisé que cet Hannibal serait chargé de représenter les intérêts de la colonie béotienne installée à Carthage. Sans doute cette nomination vient-elle en récompense pour son aide dans la construction d’une flotte de trières, pour la Thèbes d’Epaminondas, destinée à s’opposer à l’hégémonie maritime athénienne, Diodore, XV, 78-79 ; P. Carlier, Le IVe siècle jusqu’à la mort d’Alexandre, Paris, 1995, p. 60-68 et surtout p. 67-68. Les rapports commerciaux entre les deux cités sont attestés par la présence à Carthage d’une documentation coroplathe béotienne d’importation, composée notamment des fameuses terres cuites de Tanagra.
1. Cette abondance et cette diversification sont également signalées à Leptis Magna, T. H. Carter, Western Phoenicians at Leptcis Magna, AJA, 69, 1965, p. 126 et fig. 6, pl. 33, et en Sardaigne, G. Pesce, 1960. Nous entendrons par céramique les « vases-marchandises » tels que les a définis M. Bats, 1989, p. 197, c’est-à-dire « ceux qui sont acquis pour eux-mêmes et non pour leur contenu, récipients culinaires, vaisselle de table, vases d’ornement ou d’offrandes », par opposition aux « vases-conteneurs », c’est-à-dire essentiellement les amphores.
2. M. Brouillet, 1972, a déjà eu l’occasion de constater la concordance particulièrement évidente entre l’évolution de pratiquement toutes les formes de vases puniques en pâte de verre et celles des autres régions de la Méditerranée : la documentation punique suit assez fidèlement les formes de ces poteries grecques. D’ailleurs, et bien que la morphologie soit originellement égyptienne, c’est aux fabriques rhodiennes que D. B. Harden, 1981, attribue la confection de ces objets – hormis l’alabastre – en se basant d’abord sur leur grand nombre, trouvé sur l’île, et sur la forme grecque de ces vases.
3. Dans le même temps, la céramique d’importation grecque se fait sporadique à Kerkouane. Cet état de fait est d’autant plus logique qu’il s’est avéré, en fait, que les exportations de céramique attique vers Carthage au Ve siècle étaient sinon plus importantes, au moins aussi fréquentes que dans la majorité des cités méditerranéennes concernées par ces exportations, contrairement à ce qu’on a longtemps cru. La révision des datations de certaines nécropoles, C. Picard, 1965, et les découvertes de céramiques réalisées lors des fouilles allemandes sur le site de Carthage ont en effet permis d’attribuer au Ve siècle plusieurs nécropoles puniques de Carthage, permettant ainsi de réviser les datations du matériel présent, S. Lancel, 1992a, p. 271 sq., notamment par rapport à celle magnogrecque dont la présence a été surévaluée : J.-P. Morel, 1980 et 1983, p. 731-736, se basant sur les travaux de C. Picard, 1965, a révisé le matériel que l’on donnait souvent comme d’origine magnogrecque ou sicilienne pour, en fait, y reconnaître, dans la majorité des cas, des produits attiques, certains datant du Ve siècle. Pour la Sardaigne, C. Tronchetti, 1994.
4. On peut citer également quelques autres vases magnogrecs d’importation comme ce lécythe aryballisque à panse ovoïde ou cette œnochoé à embouchure trilobée à figures rouges découverte dans la nécropole de Sainte-Monique, A. Boulanger, 1913, respectivement no 2 et 4, p. 68-70, pl. X, 2 et 4.
5. Une figurine punique représentant la Dame assise portant un pectoral, découverte dans une nécropole d’Arg el-Ghazouani, près de Kerkouane, est identique aux exemplaires du Ve siècle du sanctuaire de la Malophoros à Sélinonte : on remarque cependant que l’ornementation du deuxième collier, au milieu du pectoral de la statuette punique, et celle du kalathos diffèrent de celles de Sélinonte : la présence d’un élément en forme lunaire sur la figurine punique démontre que celle-ci est une production locale, M. L. Uberti, 1997, p. 181.
6. Sur stèles : M.-H. Fantar, « Stèles inédites de Carthage », Semitica, 24, p. 20 et pl. II, 1 et II, 2. Sur scarabées, J. Vercoutter, 1945, no 603-605.
7. J. Boardman, 1995, fig. 241, p. 236. Sur l’exemplaire de Douïmès, elle proviendrait d’après M. Mortens-Horn, 1994, p. 50 et note 13, d’Agrigente dont un exemplaire présente la même face, avec le voile retombant verticalement sur le côté.
8. Jamais on ne rencontre, dans la métropole africaine et ailleurs dans le monde punique, de sarcophages dont la décoration présenterait des scènes historiées sculptées sur la cuve ou sur le couvercle comme c’est le cas à Sidon, J. Ferron, 1992-1993, sarcophages dits Lycien, des Pleureuses ou d’Alexandre-Abdalonyme, respectivement fig. 77, 78-79 et 83, ou celui du roi Ahiram de Byblos ; les sarcophages en forme de boîte à momie égyptienne, de leur côté, ne sont attestés, en milieu punique, qu’en Espagne, à Malte et en Sicile, S. Frede, 2000, Die Phönizischen Anthropoïden Sarkophage, vol. 1 : Fundgruppen und Bestattungskontexte (= Forschungen zur Phönizisch-Punischen und Zyprischen Plastik I, 1), Mayence, Philipp von Zabern, tableau 1.
9. Cette représentation se retrouve aussi sur la quasi-majorité des stèles funéraires puniques africaines et sur certains ossuaires carthaginois. Le fait que ce type de sarcophages à statue – reproduit, d’ailleurs, dans le monde punique à plusieurs exemplaires et sur des supports de différentes natures (marbre, pierre, bois) – n’ait été découvert qu’à Carthage et dans sa zone de domination immédiate (Kerkouane, Lilybée) confirme la métropole africaine dans le rôle d’un atelier qui se serait spécialisé dans la production de ce type particulier de sarcophage ou plutôt dans la réalisation de la statue allongée sur le couvercle d’un sarcophage. D’ailleurs, un sarcophage en marbre, avec un couvercle en forme de toit en tuiles réalisé en relief, identique à ceux de Cerveteri et de Carthage, se retrouve sur un autre site punique, à Palerme, NSA, 1941, p. 264-265, cité par H. Benichou-Safar, 1982, p. 132. L’exemplaire étrusque, du moins le couvercle-statue, a donc été produit par l’art punique. J. Ferron, 1966, p. 704-706. Il ne diffère des modèles puniques que par les figurations picturales propres à la mentalité toscane et par l’absence du port des anneaux aux oreilles qui caractérise au contraire les statues-sarcophages carthaginoises, J. Carcopino, 1921. Pour la thèse étrusque, F. W. von Bissing, « Karthago und seine grieschieschen und italischen Bezeihungen », Studi Etruschi, 7, 1933, p. 84-134. Les stèles funéraires figurant le personnage en adoration sont propres à ce que J. Ferron, 1975, p. 61, a délimité, géographiquement, comme étant le « complexe de Carthage », c’est-à-dire toutes les cités comprises entre Carthage et Utique, plus les presqu’îles longeant le cap Bon et Bizerte. Sur les exceptions découvertes en dehors de cette aire, H. Benichou-Safar, 1982, p. 78 et notes 80-82. La documentation sulcitaine présente un thème proche de celui du complexe de Carthage à la différence que le personnage porte, à la main droite, le signe ‘nk, S. Moscati, 1985a, ou le signe de Tinnit, selon les interprétations données, et la main gauche repliée sur la poitrine pour retenir une « étole » posée sur l’épaule gauche. Des sarcophages en bois ont également représenté cette attitude, comme celui découvert à Kerkouane, M. H. Fantar, « Un sarcophage en bois […] », CRAI, 1972, fig. 4, p. 349. Les stèles funéraires figurant la scène du banquet funéraire, quant à elles, se rencontrent un peu partout ailleurs dans le monde punique et en Méditerranée, J. Ferron, 1975, p. 18-20 et 32-35.
10. Le pédoncule en forme de col d’oiseau, cygne ou ibis, qui apparaît est justement destiné à accueillir une décoration : cette forme vient se substituer à celle des premiers rasoirs puniques qui se présentaient sous l’aspect d’une petite hache de forme bifide, pratiquement sans décor. Les décors des rasoirs sont néanmoins plus complexes et moins artistiques à mesure que l’on descend dans le temps : sur ces transformations, C. Picard, 1967a. Si les rasoirs puniques sont d’inspiration nilotique, par leur aspect général, en bronze et sans manche, ils constituent néanmoins une originalité de la sphère punique, comprenant Carthage, la Sardaigne et la péninsule Ibérique, F. W. von Bissing, 1933, p. 117, J. Vercoutter, 1945, p. 345 sq. ; apparus timidement dans les dispositifs funéraires, dès la fin du VIIe siècle, C. Picard, 1967a, p. 56-57, les rasoirs puniques ne comportent pas de manche métallique très court se recourbant vers le tranchant, caractéristique des modèles égyptiens ; les exemplaires puniques sont pourvus d’un pédoncule en forme de tête de canard. De plus, le rasoir égyptien ne comporte jamais de gravure, J. Vercoutter, 1945, p. 302-303 et pl. XXVII-XXVIII.
11. Seules les stèles funéraires vont conserver, malgré une grosse influence de la stylistique grecque, une iconographie centrale d’essence phénico-punique avec le thème du personnage en adoration. Le thème du banquet funéraire, en nombre restreint à Carthage, est connu depuis longtemps en Egypte ancienne et en Asie occidentale, J. Ferron, 1975, p. 28-32 ; Archeologia, janvier-fevrier 2003. Par ailleurs, J. Ferron, 1975, p. 24, attribue au courant étrusque l’atmosphère bachique qui semble régner dans le banquet carthaginois. Les images thiasiques, occupant un rôle auxiliaire, ne sont utilisées que pour véhiculer les anciennes croyances orientales.
12. Leur commerce était certainement plus économique et plus pratique. La question a été, dès lors, de savoir si ces statuettes de style hellène ont été importées ou si elles ont été produites localement. Entre ces deux tendances vient s’intercaler le commerce des matrices et des moules dont on sait qu’ils circulaient à travers la Méditerranée. Et le fait que la majorité des figurines puniques hellénisantes a été façonnée au moule, M. L. Uberti, 1997, p. 165, n’arrange pas la résolution de la problématique. Il est à relever, à ce propos, que les figurines représentant le prêtre criophore, la femme debout à la chevelure volumineuse, bouclée et coiffée en tresses, et Europe sur un taureau, typiques des productions béotiennes – dans lesquelles on a, d’ailleurs, retrouvé les exactes répliques des exemplaires puniques – illustrent toute la complexité du problème posé. Ont-elles été importées finies ou ont-elles été conçues à Carthage à partir de matrices importées ? (On a volontairement écarté ici l’hypothèse, souvent avancée en pareil cas, de la présence d’artisans grecs à Carthage. Bien que probable, elle demeure très difficile à prouver vu l’état de la documentation.) Seule une étude scientifique sur l’argile utilisée pour la confection des produits puniques permettra le cas échéant de trancher. C. Picard, 1967a, avait déjà posé comme critère d’importation grecque, la présence – ou non – de « parcelles de mica contenues dans la terre » des figurines soupçonnées. Si l’importation des figurines en terre cuite à l’état fini est probable, comme tend à le démontrer la présence de ce type de marchandise dans la cargaison d’une épave phénicienne découverte non loin de la côte syro-palestinienne, J. Pritchard, Sarepta. A preliminary Report on the Iron Age, 1975, p. 108, l’emploi de moules grecs reste la solution la plus pratique et la plus économique, d’autant que la technique du moulage était très en vogue chez les coroplathes puniques. Là encore, l’étude de l’argile utilisée peut se révéler intéressante, les Carthaginois utilisant une pâte qui devient rouge ocre après cuisson : c’est par ce moyen qu’A. Boulanger, 1913, p. 65, notamment, arrive à déterminer l’origine punique des œnochoés à vernis blanc découverts à Carthage ; de nombreuses pièces à mouler ont, par ailleurs, été découvertes rien que sur le site carthaginois, P. Gauckler, 1915, p. 26 et 120-123. Existaient-ils des règles économiques régissant ce commerce de moules grecs analogues à nos « droits d’auteur » contemporains ? Très peu probable, bien sûr, vu la difficulté de la tâche et le fait que tout ce qui était en terre cuite était extraordinairement bon marché à l’époque antique ; il est remarquable, à ce propos, de constater que les textes classiques n’évoquent pratiquement jamais ce type d’objets. Cette problématique démontre la sensibilité punique aux modèles et à l’esthétisme des productions en terre cuite grecques. C’est déjà une réalité autant pour les exemplaires trouvés en milieu funéraire que pour ceux trouvés en zone d’habitat.
13. Silhouette élancée, panse s’élargissant vers le haut, décorée de godrons ou de pseudo-godrons, col haut et mince, pied assez haut. Les petites œnochoés se distinguent par une panse s’élargissant vers le bas, avec un pied plus bas. D’ailleurs, la forme des petites cruches semble s’inspirer d’exemplaires puniques en bronze, Boucher-Colozier, 1953, p. 470-471.
14. Si les figurines modelées avec les bras écartés, en croix, des nécropoles puniques – autres que celles de Carthage –, notamment celles de Sicile, s’inspirent des types courants dans les sanctuaires siciliens consacrés aux cultes d’Eleusis, de Déméter et de Koré, la composition des deux thèmes que sont le thuriféraire et la déesse aux bras étendus apparaît comme une production originale de l’art punique autant par sa nature en terre cuite que par le port d’un brûle-parfum. Un exemplaire carthaginois, aujourd’hui au musée du Louvre, est d’ailleurs le résultat de retouches effectuées par le coroplathe punique à partir d’une matrice grecque connue du sanctuaire de la Malophoros. Le thème du cavalier est certes présent dans l’art grec, à Rhodes et surtout en Egypte ptolémaïque, où il incarne généralement le dieu Harpocrate. Mais alors que ce dieu est parfois représenté la main droite sur la croupe du cheval et l’autre tenant une patère, il existe, à Carthage, toute une série de ce type, ce qui en fait bien une originalité. D’ailleurs, des moules imprimant des personnages à cheval ont été découverts dans la documentation funéraire de la métropole punique. Enfin, outre la coiffure (bonnet conique) et la technique de fabrication (moulée sur une seule face et le dos arrondi à la main) orientales, l’attitude du cavalier, une main sur la croupe du cheval et l’autre tenant les rênes, rappelle celle de la déesse phénicienne Aštart sur un cheval.
15. Les thèmes hellénistiques eux-mêmes, comme l’acteur comique ou les masques grimaçants d’acteurs comiques, semblent avoir été réinterprétés par l’eschatologie punique. Les Carthaginois semblent avoir donné au rire une dimension prophylactique funéraire, car ils l’associaient souvent à l’idée de la mort, comme pour les masques grimaçants : ces représentations comiques avaient sans doute pour fonction d’amuser le mort et de contrarier le mauvais sort. C’est peut-être pour une raison analogue que sont enterrées des statuettes de satyres et de silènes aux traits grotesques. Même les prototypes des protomés-masques féminins de type hellénisant, dont les plus proches modèles étaient magnogrecs ou siciliens, viennent de Lindos où les protomés locaux ont tous, sans exception, été retirés de sépultures de type cypro-phénicien, R. W. Smith, « A Godess from hebadeia », in Commemorative Studies in honor of T. L. Sheer, 1949, p. 353-354. Il semblerait d’ailleurs que l’archétype de cette forme très particulière qu’est le protomé-masque soit apparu à Chypre, C. Picard, 1967a, p. 53. Donc, même si les masques carthaginois reprennent une esthétique grecque, le message symbolique et spirituel demeure fidèle aux traditions locales. De façon plus générale, l’influence grecque sur les traits ou les ornementations des terres cuites puniques n’a semble-t-il aucune influence sur la valeur symbolique et fonctionnelle originelle de ces dernières ; C. Picard, 1967a, p. 88, constate que jusqu’à la fin des temps puniques, les masques demeuraient installés à côté du défunt, à l’intérieur des tombes, alors que les Egyptiens et les Grecs les moulaient sur le visage du mort. Sur l’hypothèse selon laquelle les masques restaient consacrés à des divinités du panthéon punique ou assimilées comme telles, id., p. 90-107.
16. Cela a été rendu possible en dépit de l’état ruineux des sites et des relevés approximatifs des premiers inventeurs : c’est le cas, notamment, de la maison punique au sud de Sidi Bou Saïd, entre l’ancien palais Baccouche et le Dar Naceur-Bey, A. Merlin, 1919, p. 193-194. Sur le quartier « Hannibal », des premières fouilles avaient été effectuées par C. Picard, 1953, puis par J. Ferron et M. Pinard, 1955 et 1960-1961. Mais ce sont surtout les fructueuses fouilles effectuées par les missions françaises, sur la colline de Byrsa (quartier dit « Hannibal »), dirigées par S. Lancel, Byrsa I et II, et allemandes, près du rivage, non loin de l’ex-palais de Lamine Bey (quartier dit « Magon »), patronnées par l’Unesco dans le cadre de la campagne internationale pour la sauvegarde de Carthage, et enfin françaises puis tunisiennes à Kerkouane, qui ont permis de se faire une idée plus ou moins cohérente des plans d’aménagement dans l’architecture domestique punique. La qualité de conservation du site archéologique de Kerkouane, M. H. Fantar, 1984, 1985 et 1986, nous permet, néanmoins, une bien meilleure lecture que sur les quartiers d’habitation de la Carthage punique. On a ainsi pu constater l’adoption à Carthage de structures architecturales et architectoniques de type grec. Sur l’état ruineux des sites : la maison punique de Dermech, fouillée par M. Vézat, G.-C. Picard, 1946-1949, p. 679 ; la villa punique de Gammarth, située dans le faubourg immédiat de Carthage, M. H. Fantar, 1984a ; la maison fouillée par F. Chelbi, 1984, sur le flanc sud-est de la colline de Byrsa. Sur le peu de renseignements à collecter des habitats puniques d’Algérie et du Maroc, M. H. Fantar, 1985, p. 30-32.
17. La cuve à siège, vulgarisée par la culture hellénistique, a été ici adoptée. L’utilisation des baignoires à siège à Carthage et à l’intérieur de son territoire montre que la région a bien suivi la vogue du bain par affusion qui semble avoir gagné l’ensemble du monde hellénistique : on assiste en effet un peu partout dans la sphère grecque à l’édification de grands établissements thermaux (Gortys, Géla) dans lesquels les baignoires à siège – disposées en rotonde – sont fréquemment installées (pl. LVII, 2), R. Ginouvès, 1962, p. 151-182. Sur l’usage de baignoires à siège, ce dernier, p. 37 sq. et p. 151-182, a bien montré, en effet, l’évolution que connaissent les baignoires dans le monde grec : une partie antérieure surélevée par rapport à l’avant, le plus souvent dotée d’un siège, leur est progressivement ajoutée, marquant ainsi le passage progressif du bain d’immersion au bain par affusion. Car bien que la forme de la baignoire avec une partie surélevée fût déjà connue depuis la haute époque antique du Grand Orient (Mésopotamie, Egypte, Levant syro-palestinien), Ginouvès, 1962, p. 160-161 et note 2 ; M. H. Fantar, 1985, p. 353, 357 sq. (R. Ginouvès, 1962, p. 102, n’exclut pas que le développement de cette forme de baignoire dans le monde grec ait été facilité par « l’imitation de modèles orientaux »), leur développement dans le monde punique paraît accompagner celui en cours en Méditerranée hellénistique.
18. L’opus signinum a longtemps été et continue parfois à être considéré comme étant originaire de l’Afrique punique, C. et G.-C. Picard, 1982², p. 50-51, et plus récemment M. Gaggioti, 1988, cette conviction ayant été, notamment, renforcée par l’usage du terme pauimenta poenica dans la glose de Sextus Pompeius Festus, De verborum Significatu, s. v. Pavimenta Poenica, apud HAAN IV, p. 50 (fin IIe-milieu du IIIe siècle ap. J.-C.), où l’auteur latin rapporte la diatribe de Caton contre cet aménagement luxueux. Mais la remise en cause, par P. Bruneau, 1982, du lien établi entre ce type de sol et l’expression employée par Festus ne permet plus d’être aussi catégorique sur le sujet, d’autant que l’opus signinum est attesté dans l’habitat domestique grec depuis au moins l’époque classique, D. M. Robinson et W. Graham, 1938, p. 175 ; R. Ginouvès, 1962, p. 106 et 129.
19. L’état intact des différentes couches puniques retrouvées au carrefour du decumanus maximus et du cardo X constitue à ce propos un éclairage important sur l’évolution des techniques de construction domestique. On peut en effet y suivre l’histoire du développement d’un habitat punique du VIIIe à la moitié du IIe siècle : vers la fin du VIe et le début du Ve siècle, les parois de la pièce principale sont revêtues d’un crépi imperméable, auquel se superpose, dans la phase suivante, (fin du Ve et le début du IVe siècle), après adjonction d’un mur, « un enduit à la chaux plus fragile », A. Rindelaub et K. Schmidt, 1996, p. 49. Certains tombeaux construits de la colline de Junon et de Dermech avaient leurs parois revêtues d’un enduit blanc de qualité : P. Gauckler, 1915, p. 397, évoque « un stuc éclatant de blancheur, qui se détache en lamelles épaisses d’un centimètre », en parlant des parois de caveaux funéraires voisins de la nécropole de Dermech ; id., 1915, p. 3 et 411 ; A. Merlin, 1918, p. 296, parle d’« un enduit de stuc blanc fin et mat » qui ornait un caveau funéraire situé sur la colline de Junon. Sur l’usage de l’enduit en Orient, O. Aurenche, 1977, p. 80-81 ; dans le monde punique, M. H. Fantar, 1984, p. 361 et 371. A Délos, sur les murs exposés aux contraintes extérieures, EAD, VIII, p. 87, 358 et note 3.
20. Le dossier des décors mosaïques figurés du territoire de la métropole punique n’est toutefois constitué, à ce jour, que de signes à valeur apotropaïque, la célèbre mosaïque de Mozia (fin IVe siècle) – entièrement réalisée en galets de pierre – représentant une scène de chasse constituant un unicum dans le monde punique.
1. L’épisode, relaté par un Justin toujours aussi approximatif dans ses récits, contient de telles invraisemblances que l’identification de cet Hannon comploteur avec le vainqueur de Denys a été remise en cause. On peut se demander en effet comment un aussi brillant stratège a pu aussi naïvement échouer dans ses tentatives répétées pour éliminer les sénateurs et ensuite pour réunir à lui les forces nécessaires au succès d’un coup d’Etat visiblement mal préparé et sans soutien citoyen autre que celui de sa propre famille. S’il ne nous semble pas possible d’envisager deux aussi « grands » Hannon distincts – le vainqueur de Denys et l’auteur du coup d’Etat – dans un laps de temps aussi court entre les deux périodes, il reste que le récit en lui-même est à prendre avec précaution. Retenons donc la tentative avortée d’Hannon le Grand pour prendre le pouvoir à Carthage où existait encore un contre-pouvoir suffisamment structuré pour mettre en échec toute tentative de pouvoir personnalisé, fût-elle l’œuvre d’un personnage aussi imposant que le vainqueur de Denys l’Ancien.
2. D’ailleurs, les trois grands derniers stratèges puniques, à savoir Magon le Navarque, son fils Imilcon et donc Hannon le Grand, n’appartiennent pas à la famille magonide. Ils ont chacun à leur manière contribué à redresser une situation militaire parfois compromise en Sicile ; il est dès lors légitime de se demander si le succès de leurs actions militaires ne répond pas en écho à la disparition de la dynastie magonide. Sont-ce les désastres subis en Sicile, par Imilcon ben Hannon notamment, qui ont entraîné la chute de cette famille ? Un passage d’Aristote dans son Politique (livre II, 8, 2) ne laisse aucun doute puisqu’il y indique que Carthage « ne demande pas ses rois (comprendre suffètes) à une famille unique ; elle ne les prend pas non plus dans toutes les familles indistinctement ; elle s’en remet à l’élection, et non pas à l’âge, pour amener le mérite au pouvoir ».
3. C’est pour cette raison que cet organisme a été rapproché du Conseil des Cent, évoqué par Justin à partir du milieu du Ve siècle, dont les prérogatives étaient pourtant cantonnées au droit public : ses membres étaient chargés de contrôler les généraux à la sortie de leur charge, avec pour but de juguler toute ambition politique pouvant menacer le régime oligarchique. M. H. Fantar, 1993, t. 1, p. 244, s’interroge sur la filiation de ces deux magistratures dont l’évolution aurait abouti à une forme adaptée de la Haute Cour, représentée par la magistrature des Cent-Quatre qui voyait ses compétences judiciaires étendues. L’historien tunisien va plus loin, puisqu’il voit dans le Conseil judiciaire, le ordo iudicum de Tite-Live, XXX, 46, la continuité institutionnelle des deux précédentes magistratures, avec des modes de recrutement et des durées de mandat différents.
4. La mention d’hétairies par Aristote, et les banquets auxquels participaient leurs membres (les syssities), a permis d’avancer comme hypothèse l’existence à Carthage de sections de vote, semblables aux phratries athéniennes ou aux curies romaines, dans lesquelles étaient répartis les votants ; d’autant que la documentation romaine en Afrique regorge d’attestations de curies latines, T. Kotula, « Les curies municipales en Afrique romaine », Wroclaw, 1968. Contra, M. Sznycer, 1975, p. 49-50.