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La guerre d’Italie méridionale (215-211)

La Campanie, au cœur de la lutte

Au printemps 215, Hannibal doit désormais faire face à 3 armées : celles des consuls Fabius Maximus, basée à Calès, et de T. Sempronius Gracchus, à Sinuessa, fortes de près de 25 000 hommes chacune, ce dernier disposant en outre de quelque 8 000 esclaves enrôlés. Le propréteur Claudius Marcellus, pour sa part, est à la tête des troupes campées à Nola. Enfin, Marcus Valerius Laevinus, à la tête de 2 légions et d’une flotte de 25 navires – auxquels s’en ajoutent très vite 30 autres, après que l’accord entre Carthage et la Macédoine eut été éventé –, a pour mission de défendre l’Apulie et la côte calabraise et, si nécessaire, de porter la guerre en Macédoine. La stratégie romaine consiste donc à contenir les avancées puniques et à maintenir la Campanie sous pression. Rome choisit même de ne pas envoyer d’armée en Gaule Cisalpine, après le désastre subi près de Modène, afin de mieux se concentrer sur ses objectifs en Italie méridionale, mais aussi en Sicile.

La stratégie punique, pour sa part, a pour but de s’emparer des ports situés sur la mer Tyrrhénienne. Pour cela, elle sollicite même l’aide des Capouans. Une armée de 14 000 soldats, dirigée par un haut magistrat de Capoue, se laisse néanmoins surprendre par T. Sempronius Gracchus à Hamae, d’où elle espérait s’emparer, par ruse, de la cité de Cumes. Suite à ce succès, le consul romain opère une retraite rapide, anticipant la prochaine venue de l’armée punique. Hannibal vient effectivement mettre le siège devant Cumes, où s’est réfugié T. Sempronius Gracchus. En vain. Pendant ce temps, l’autre consul romain, Fabius Maximus, attaque et punit les cités qui ont épousé la cause punique dans la région de Capoue. De son côté, Marcus Marcellus s’attelle, en cet été 215, à désoler les territoires des Hirpiniens et des Samnites de Caudium, alliés à Hannibal. Ces ravages obligent ce dernier à les secourir, puis à se porter devant Nola, base des incursions de Marcellus. Entre-temps, Hannon Barca est vaincu à Grumentum par T. Sempronius Longus, le consul défait à la Trébie. Cette défaite, qui lui coûte 2 000 hommes, contraint le Barcide à se retirer de Lucanie et à se réfugier dans le Bruttium. Le préteur M. Valerius Laevinus en profite pour prendre d’assaut et punir trois cités des Hirpiniens, Vercellium, Vescellium et Sicilinum, qui avaient pris le parti carthaginois. C’est à ce moment que parvient à Hannon Barca des renforts de Carthage : le ralliement d’une grande partie du Bruttium a encouragé le sénat carthaginois à soutenir les efforts puniques dans la région. Après avoir échappé à la vigilance d’Appius Claudius Pulcher, basé à Messine, le navarque Bomilcar débarque à Locres (été 215) 4 000 cavaliers numides, 40 éléphants, en plus de ravitaillement et d’argent. Hannon Barca fait parvenir ces renforts auprès d’Hannibal, qui vient de mettre le siège devant Nola, à l’automne 215. Mais Marcellus fait plus que résister et les combats devant les murs de la ville se soldent par des pertes importantes pour les troupes puniques. L’hiver approchant, Hannibal renvoie Hannon, et les renforts qu’il a amenés avec lui, dans le Bruttium et se retire en Apulie, où il prend ses quartiers d’hiver, près d’Arpi. Fabius Maximus, établi à Suessula, profite de cette retraite pour se ravitailler auprès de son collègue Marcellus et ravager le territoire de Capoue. L’autre consul, T. Sempronius Gracchus, s’installe pour sa part à Luceria, ne conservant que les effectifs d’esclaves, ses légions étant laissées à la disposition de Marcus Laevinus pour la surveillance de la Macédoine.

Rome passe l’hiver 215-214 à collecter les fonds nécessaires au colossal effort de guerre consenti. L’entretien des flottes de guerre et des nombreuses légions disséminées en Italie, dans les îles tyrrhéniennes, en Espagne et en Adriatique nécessite de lourdes et douloureuses contributions chez les alliés et les citoyens romains. Le doublement de la fiscalité en 215 ne suffit plus et, lorsque les Scipions demandent un soutien financier pour leur campagne victorieuse en Espagne, des sociétés de publicains sont sollicitées pour répondre à cette urgence, avec à la clef des intérêts importants en cas de victoire. Ces avantages ne vont pas sans provoquer d’inévitables tensions avec les publicains, que le peuple soupçonne parfois de frauder : le procès instruit à Rome contre le contrôleur des finances M. Postumius au printemps 212, suivi par une foule nombreuse et excitée, nécessite même l’intervention des plus hautes autorités romaines. Ces soucis de trésorerie peuvent être également illustrés à travers les économies réalisées dans l’émission massive du numéraire : les dévaluations et les réformes du système monétaire témoignent des difficultés à financer la guerre.

Les élections consulaires de 214 portent au pouvoir Marcellus et, encore une fois, Fabius Maximus : celui-ci a réussi à casser l’élection d’Otacilius Crassus, qui se trouve être son neveu, et d’Aemilius Regillus, après un brillant plaidoyer sur la nécessité de maintenir une continuité dans la direction des affaires militaires. Déjà une concession en ce sens avait été réalisée après Trasimène, en 217 : le délai légal de dix années entre deux exercices du consulat était devenu caduc. La stabilité du commandement punique est l’argument présenté par le vieux consul, qui l’illustre par la faveur militaire d’Hannibal, qui ne ferait que recueillir ainsi les bienfaits de cette politique. C’est la raison pour laquelle on verra dorénavant plusieurs commandants romains prorogés dans leurs fonctions les années suivantes, comme c’est le cas, cette année, pour T. Sempronius Gracchus, Marcus Valerius Laevinius, Q. Mucius, Otacilius Crassus et Terentius Varron. Le préteur P. Cornelius Lentulus hérite du commandement en Sicile, Q. Fulvius Flaccus de l’Apulie, pour la deuxième année consécutive, et M. Pomponius, celui de la Gaule. Dix-huit légions sont par ailleurs mobilisées en Italie, en Sicile et en mer Adriatique, soit 200 000 hommes, si l’on compte les troupes alliées qui leur sont habituellement associées, et 150 navires composent la flotte romaine. Chaque consul hérite de deux légions, ainsi que les responsables militaires de Sicile, de Sardaigne, de Gaule, d’Apulie et de la défense de Rome. T. Sempronius Gracchus dispose des deux légions composées d’esclaves près de Luceria. Laevinus et Varron ne disposent que d’une seule légion chacun.

A l’annonce de cette formidable mobilisation, Hannibal, sur les prières des Capouans, quitte Arpi (début du printemps 214) et se réinstalle sur le mont Tifate, dominant Capoue. Des corps numides et espagnols sont laissés pour la défense du camp et de la cité, alors que lui-même, à la tête du reste de l’armée, s’emploie à surprendre Putéoli, au sud de Cumes, et sa garnison. Vainement. Hannibal, après avoir ravagé le territoire de Naples, retente une attaque contre Nola, où la population locale manifeste des velléités d’indépendance vis-à-vis des Romains. Mais après d’infructueux combats contre M. Marcellus, il lève le camp et part tenter sa chance à Tarente, où des sympathisants promettent de lui ouvrir les portes de la cité. Marcellus en profite pour se déplacer, avec le gros de ses troupes, à Casilinum et appuyer sur place son collègue F. Maximus, qui vient de commencer le siège de la cité. Celle-ci ne tarde pas à tomber. Les combattants puniques et campaniens qui ne sont pas tués sont envoyés prisonniers à Rome. Entre-temps, Sempronius Gracchus s’était porté sur Bénévent, en Campanie, près de laquelle l’armée d’Hannon Barca dévastait les campagnes alentour. Face aux deux légions romaines, et leur équivalent en troupes alliées, Hannon aligne 17 000 fantassins, essentiellement des Bruttiens et des Lucaniens, et 1 200 cavaliers, en majorité numides et maures. Composée d’esclaves, motivés par la promesse d’être affranchis, l’armée romaine, après un combat longtemps indécis, parvient à mettre en fuite les troupes ennemies. Là encore, Tite-Live exagère les pertes puniques – 15 000 hommes – puisque Hannon, d’après l’auteur latin, est en mesure, quelque temps plus tard, d’infliger à l’ennemi « une défaite égale, à peu près, à celle qu’il avait essuyée lui-même près de Bénévent ». Le général punique parvient en effet à surprendre au début de l’été 214 une partie des troupes de Sempronius Gracchus, occupées à piller les campagnes de Lucanie, avant de se refugier aussitôt dans le Bruttium. Marcellus retiré à Nola, malade, Fabius Maximus s’attelle à ravager les campagnes du Samnium et s’empare de plusieurs cités de Lucanie tandis que le préteur Flaccus emporte Acura en Apulie. Hannibal, déçu de son expédition vers Tarente (automne 214) – défendue par le préteur Q. Fulvius Flaccus –, se retire à Salapia vers la fin de l’été 214 pour ses quartiers d’hiver, après y avoir stocké le fruit de ses pillages.

Hannibal sécurise la Lucanie et l’Apulie (fin 213-212)

Les élections consulaires de 213 portent aux commandes Fabius Maximus fils et T. Sempronius Gracchus. Chacun hérite de deux légions avec pour mission de combattre Hannibal Barca, le premier, secondé de son père, en Apulie, et le second en Lucanie. Le préteur M. Emilius Lepidus prend en charge les deux légions de Q. Fabius Maximus père, à Luceria. Les préteurs, Sempronius Tuditanus et Cn. Fulvius Centimalus, se voient également confier deux légions, respectivement à Ariminum et Suessula. Les commandants de Sicile, Appius Claudius, Otacilius et Lentulus, sont quant à eux prorogés dans leurs fonctions, de même que Varron, avec sa légion dans le Picenum. Fabius Maximus père commence la campagne par la prise d’Arpi au printemps 213, grâce, en partie, au ralliement à sa cause des habitants de la cité. La garnison punique, forte de 5 000 hommes – moins les 1 000 soldats espagnols qui rejoignent le camp romain –, obtient de se retirer auprès d’Hannibal à Salapia. De son côté, Sempronius Tuditanus s’empare d’Atrinum, alors que Consentia, dans le Bruttium, rallie Rome. Ces pertes sont compensées par un important succès remporté à l’automne 213 par Hannon Barca sur une armée romaine, en partie composée d’esclaves et de paysans. Leur chef, Pomponius Veientanus, est fait prisonnier en même temps que plusieurs de ses soldats.

De son côté, Hannibal consacre ses efforts, depuis l’été 213, à tirer parti des intelligences qu’il compte à Tarente. Le massacre d’otages tarentins à Rome, après une tentative d’évasion avortée, va précipiter la défection de la cité lucanienne, lorsqu’une partie de la notabilité locale décide de la livrer aux Puniques. Campé à trois jours de marche de la cité, Hannibal, à la tête d’une troupe d’élite de 10 000 soldats, se rend au début de l’hiver 213-212 devant Tarente le jour fixé avec les conspirateurs – un jour de festin pour faciliter l’opération. Puis, la nuit venue, ces derniers s’arrangent – de concert avec Hannibal – pour ouvrir les portes aux troupes puniques. Celles-ci prennent rapidement le contrôle de la cité, à l’exception de la citadelle, où parvient à se réfugier ce qui reste de la garnison romaine. Située sur une presqu’île, la citadelle de Tarente – défendue, de surcroît, par un mur et un fossé du côté de la ville et de gros rochers du côté de la mer – présente des arguments défensifs suffisamment dissuasifs pour contraindre Hannibal à abandonner toute idée de siège pour le moment. Mais il fait creuser un retranchement parallèle aux défenses de la citadelle, l’isolant ainsi du reste de la cité : le but est de protéger les Tarentins de toute attaque venant des Romains. Anticipant une offensive romaine contre ces travaux, le stratège punique a prévu pour la circonstance une petite cohorte qui, feignant de reculer, est destinée à aspirer l’ennemi vers des forces puniques plus importantes. Le piège, ainsi refermé, décime une partie de la garnison romaine. Les Tarentins sont désormais en mesure de se défendre seuls, surtout après qu’un énorme fossé et un rempart eurent complété le retranchement initial. Du moins en théorie. Car les assiégés ne le sont que partiellement, la citadelle communiquant avec le port : les Romains peuvent ainsi recevoir des renforts et du ravitaillement de Métaponte. Ils réussissent ainsi à détruire le rempart que les Tarentins et les Puniques ont élevé. Las, Hannibal ne voit d’issue qu’à travers un blocus effectué à terre comme sur mer. Il fait tirer de l’eau la petite flotte tarentine enfermée dans le port et, par terre, lui fait rejoindre la haute mer afin de compléter le blocus à l’entrée du golfe de Tarente, l’actuelle Mare Grande. Rassuré sur le blocus de la citadelle et la défense de Tarente, Hannibal peut alors se retirer à Salapia.

Les élections consulaires de 212 voient les consécrations d’Appius Claudius et de Q. Fulvius Flaccus, chargés de contenir Hannibal Barca. Vingt-trois légions sont mises sur pied. Deux pour chaque consul, mais aussi pour les préteurs de cette année : Cn. Fulvius Flaccus à Luceria, C. Claudius Néron dans le Picenum et M. Junius Silanus en Etrurie. Pratiquement tous les autres commandants sont prorogés dans leurs zones d’activité à la tête de leurs troupes. En Lucanie, la chute partielle de la cité de Tarente entraîne celle des cités voisines dans les premiers mois de 212. Des sympathisants d’Hannibal contribuent de manière décisive à livrer Métaponte à Hannon Barca, profitant de défenses romaines dégarnies, suite aux renforts envoyés à la citadelle de Tarente. Thourioi ne tarde pas à lui emboîter le pas, après que Magon le Samnite, avec l’aide d’intelligences intérieures, eut défait la petite garnison romaine devant les murs de la cité. Hannibal Barca, de Salapia, s’est de son côté porté sur Bénévent dès les premiers mois de 212, avant de camper près de Capoue. Cette initiative ne débouche que sur un engagement partiel de cavalerie contre les Romains, légèrement à l’avantage des Puniques. Pour éloigner Hannibal de Capoue, les consuls décident de lever le camp et de prendre chacun une direction. Hannibal choisit de poursuivre Appius Claudius, qui se dirige vers la Lucanie. En vain. Cette équipée offre toutefois l’occasion au chef punique de démontrer encore une fois ses talents de stratège aux dépens d’un certain Centenius Paenula. Centurion distingué, ce dernier était parvenu à convaincre Rome, crédule, de lui confier une armée de 8 000 hommes, qu’il réussit à pratiquement doubler, par l’enrôlement de volontaires, en arrivant en Lucanie. Se faisant fort de vaincre Hannibal, le Romain ne refuse pas le combat qui lui est proposé près de Silarus. Le bouclage de toutes les issues du champ de bataille par Hannibal a néanmoins échappé au malheureux Romain. La témérité du centurion coûte à Rome près de 15 000 hommes, auxquels la nasse punique mise en place par Hannibal n’a laissé pratiquement aucune chance. Le stratège punique porte ensuite son attention sur le préteur Cn. Fulvius Flaccus, qui, à la tête de ses deux légions, vole de succès en succès en Apulie : nombre de cités ralliées à Hannibal Barca sont reprises et les prises de guerre sont abondantes pour le Romain. Le Barcide, pourtant préoccupé par le sort de Capoue, choisit néanmoins de profiter de la confiance acquise par les troupes de Cn. Fulvius Flaccus et se porte en Apulie. Entraîné et pratiquement contraint par ses soldats, le préteur romain se décide à affronter les puniques près d’Herdonae à l’automne 212. Comme à Silarus, le stratège punique a fait fermer les chemins partant du lieu de l’affrontement : 2 000 cavaliers, sous les ordres de Magon le Samnite, se tiennent ainsi prêts à couper toute retraite aux soldats romains. Puis, il fait disposer 3 000 fantassins légers aux alentours, avec ordre d’agir au premier signal. A l’aube, Hannibal présente son armée en parfait ordre de bataille. En face, les soldats romains sont disposés en une seule ligne, avec un front inhabituellement élargi, sans rang d’appui. La bataille tourne très vite au carnage, après que l’armée romaine eut été enveloppée : ses pertes s’élèvent à près de 16 000 soldats. Ces victoires puniques contribuent à soulager les cités apuliennes de la pression romaine. En même temps, elles libèrent Hannibal, qui peut se consacrer à la Lucanie. Ses tentatives pour s’emparer de la citadelle de Tarente et de Brundisium (Brindisi) se soldent néanmoins par un échec.

La chute de Capoue (211)

En Campanie, l’action romaine s’est concentrée sur Capoue, où les consuls sont parvenus à priver la cité de toute récolte. Cette délicate situation contraint Hannon Barca à passer en Campanie : du blé est réquisitionné et stocké, près de Bénévent, pour ravitailler les Campaniens assiégés. Q. Fulvius Flaccus, alors positionné dans le Samnium, se décide à agir : profitant de l’absence d’Hannon, qui ce jour-là est parti fourrager avec une partie de son armée, le consul romain attaque ce qui reste des troupes puniques, tout occupées qu’elles sont à aider les Campaniens à charger le ravitaillement. Un temps repoussée, grâce à la position en hauteur du camp punique, l’armée romaine finit par l’emporter. Dix mille hommes, entre soldats de l’armée punique et Campaniens, périssent et 7 000 autres sont faits prisonniers. Ainsi affaiblis, Hannon et ses troupes se voient contraints de regagner le Bruttium. Capoue est désormais à la merci des consuls romains, qui, de Bénévent, s’empressent de porter le ravage dans le territoire de la cité campanienne. Hannibal, alors occupé au siège de Tarente, ne peut faire parvenir à celle-ci que 2 000 cavaliers. Les consuls romains ont, entre-temps, fait appeler T. Sempronius Gracchus et ses troupes de Lucanie afin de garder Bénévent. Mais le propréteur n’a pas le temps de s’acquitter de cette tâche : il se laisse attirer dans un guet-apens tendu par Magon le Samnite, grâce à la complicité d’un chef lucanien, et y est tué, à la tête d’un escadron de sa cavalerie. De là, le chef punique se porte dans le territoire de Capoue et, de concert avec les Capouans, tombe à l’improviste sur une troupe consulaire occupée à piller. Mille cinq cents Romains sont tués.

Entre-temps, Appius Claudius, qui s’était joué d’Hannibal en Apulie, a rejoint son collègue en Campanie. Le siège de Capoue peut commencer. Tout est minutieusement préparé à cet effet. Des stocks de blé sont emmagasinés à Casilinum, en prévision de l’hiver, mais également à l’intérieur de forts établis à l’embouchure du Vulturne et du côté de la mer. De plus, le temps consacré à l’élimination de deux armées romaines à Silarus et Herdonae, et au siège des ports lucaniens, a éloigné Hannibal de Capoue et privé la cité campanienne de son précieux soutien. Celle-ci est désormais bloquée par près de six légions, si l’on prend en compte celles du préteur Claudius Néron, appelé à la rescousse. Encerclée par un double fossé et une double palissade renforcée de forts, Capoue voit toutes ses tentatives de sortie repoussées par les Romains. Un engagement devant les murs de la cité, au printemps 211, annihile même une partie de la cavalerie campanienne. Seule une intervention d’Hannibal Barca peut désormais sauver Capoue. Le stratège punique, justement, se résigne enfin à quitter le siège de la citadelle de Tarente pour porter secours à son alliée. L’enjeu est d’importance, dans la mesure où le sort final de la cité aura des répercussions importantes sur la stratégie des deux belligérants. Laissant l’infanterie lourde et les bagages de l’armée dans le Bruttium, Hannibal se déplace à la tête de l’infanterie légère et de la cavalerie pour accélérer la marche vers la Campanie. Ayant assuré ses arrières avec la prise de Calatia, il vient se positionner derrière le mont Tifate. Le stratège tente bien une attaque combinée avec la garnison punique et les troupes campaniennes de Capoue, mais elle est vigoureusement repoussée par les troupes romaines. Les tentatives pour attirer celles-ci dans une bataille rangée n’aboutissent pas non plus, malgré un harcèlement continu des positions romaines. La contrainte du ravitaillement oblige finalement Hannibal à abandonner les lieux – ravagés de surcroît par les troupes romaines – de peur qu’une autre armée ne vienne couper ses sources d’approvisionnement. Mais cette retraite n’en cache pas moins un ultime artifice : celui de se rendre dans les parages de Rome dans l’espoir d’attirer une partie des troupes romaines retranchées devant Capoue, avertie au préalable de la manœuvre du Punique. Il lui serait alors plus aisé de vaincre les forces romaines ainsi séparées. Les proconsuls ne tombent pas dans le piège et, pendant qu’Appius Claudius dirige le blocus de Capoue, Q. Fulvius Flaccus, à la tête de 15 000 hommes, part rejoindre Rome par la voie la plus directe, la via Appia. Il y parvient avant Hannibal, qui a choisi la voie intérieure, à travers le Samnium. Parvenu devant Rome, le stratège punique ne peut que constater son impuissance face aux défenses de la cité, d’autant que les deux consuls de l’année, Cn. Fulvius Centumalus et P. Sulpicius Galba, viennent tout juste de lever deux légions. Ce raid lui offre néanmoins l’occasion de piller les campagnes, qui ne s’attendaient pas à une telle présence. Le retour de l’armée d’Hannibal vers le sud, alourdie par les butins et le ravitaillement, n’échappe au harcèlement ennemi que grâce à la dissuasive cavalerie punique. Le stratège parvient même, de nuit, à tomber à l’improviste sur le camp adverse et à refouler les ennemis vers les hauteurs, après en avoir tué un grand nombre. Puis, longeant la Daunie, avant d’arriver au Bruttium, il est à deux doigts de s’emparer de Rhegium.

Ce détour d’Hannibal, cumulé au retour de Q. Fulvius Flaccus devant Capoue, est mal interprété par les Campaniens, qui y lisent une résignation du stratège punique à la chute de la cité assiégée. Aussi, la notabilité capouane, abattue, se décide-t-elle à ouvrir les portes aux Romains, tandis que les plus farouches des nobles choisissent de se suicider plutôt que de subir l’humiliation d’une reddition. La suite des événements leur donne raison : des dizaines de notables capouans sont exécutés, la structure politique et administrative détruite, tandis que la cité elle-même est vidée de sa population et son territoire déclaré propriété de Rome.