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La guerre de Sicile

Le ralliement de Syracuse

Une fois l’alliance conclue avec les Puniques, le roi de Syracuse Hiéronyme attaque les intérêts romains sur l’île. Le préteur Appius Claudius, anticipant cette offensive, avait installé son armée à la frontière du domaine de Syracuse. Pendant qu’Epicyde et Hippocrate, à la tête de 2 000 hommes, tentent de s’emparer des petites cités disposant de garnisons romaines, l’armée syracusaine, dirigée par le roi en personne et forte de 15 000 soldats, se porte à Leontium. Mais Hiéronyme y est assassiné, au printemps 214, par des opposants à sa politique. Les conjurés tentent de profiter de la confusion qui s’ensuit pour reprendre la main à Syracuse. Ayant un temps réussi à contrôler le sénat et les principales magistratures, ils doivent néanmoins accepter la nomination d’Hippocrate et d’Epicyde comme préteurs devant la pression du peuple, révolté par le meurtre d’une partie de la famille royale. Ce n’est que par ce compromis qu’un semblant de légitimité politique peut maintenir Syracuse dans le calme. Les officiers d’Hannibal Barca saisissent néanmoins l’occasion de servir la cause punique de l’intérieur, alors que Syracuse traite en parallèle avec Rome. Hippocrate, chargé par le sénat syracusain de protéger Leontium à la tête d’une troupe de 4 000 hommes, en profite pour ravager les franges de la province romaine, ainsi que les territoires alliés, excitant ainsi l’animosité romaine contre les Syracusains. Après avoir réussi à annihiler les forces d’Hippocrate, les Romains exigent de Syracuse le départ des officiers d’Hannibal. Marcus Marcellus, débarqué en Sicile depuis le début de l’automne 214, brandit même la menace d’une guerre. Epicyde, acculé, quitte Syracuse et se porte volontairement vers Leontium. Il parvient à y faire fructifier le ressentiment antiromain et à soulever la cité contre la métropole grecque. La réaction romaine ne se fait pas attendre. Marcus Marcellus et ses deux légions, appuyés par la flotte d’Appius Claudius, comptant 100 navires, concentrent leurs forces contre la cité rebelle, qui ne tarde pas à céder. De leur côté, Hippocrate et Epicyde parviennent à se réfugier à Herbesus. L’armée syracusaine, en marche vers Leontium, reçoit alors des informations erronées faisant état de pillages et de massacres de la population de la cité. Sous la pression des soldats indignés, les chefs syracusains proromains Dinomène et Sosis – qui se trouvent être, de surcroît, les auteurs du massacre de la famille royale syracusaine – se voient contraints de s’arrêter à Mégara Hybléa, eux-mêmes tentant, à la tête de la cavalerie, de profiter du tumulte pour s’emparer par trahison d’Herbesus. En vain. Ils reviennent ensuite avec toute l’armée pour emporter la cité de force.

Sans ressources, Hippocrate et Epicyde n’ont plus qu’à tenter de retourner en leur faveur la colère des troupes syracusaines, et à leur tête 600 Crétois qu’Hannibal avait libérés après Trasimène. Reconnaissants, ces derniers participent même à une ruse des officiers d’Hannibal : ils s’arrangent, de concert, pour accuser Dinomène et Sosis de les avoir encouragés à les débarrasser des mercenaires de leurs propres troupes, mais aussi d’avoir félicité les Romains pour le prétendu massacre de Leontium. Dinomène et Sosis ont tout juste le temps de se réfugier à Syracuse, où Hippocrate et Epicyde s’étaient empressés de faire diffuser la fausse information par l’intermédiaire d’un soldat de la garnison de Leontium. Le témoignage d’un « survivant » du massacre réussit à retourner Syracuse contre les Romains. Les Syracusains s’attellent même à la défense de leur cité en prévision de son inévitable siège. Toutes les forces vives sont sollicitées, esclaves et prisonniers compris. Tous les principaux ou nobles qui tentent de s’opposer à l’entrée d’Hippocrate et Epicyde et de leurs troupes sont massacrés : les officiers d’Hannibal sont nommés dirigeants de Syracuse.

La reconquête de la Sicile occidentale (213-212)

Les Romains ne tardent pas à assiéger Syracuse, par mer et par terre. Mais les défenses de la cité, parmi les plus imposantes de l’époque, et les machines de guerre du génial Archimède, héritier d’une longue tradition syracusaine dans ce domaine, annihilent tous les efforts ennemis. Marcellus doit se résoudre à suspendre le siège et à adopter une autre tactique, tant les pertes deviennent importantes. Après conseil, il est décidé qu’Appius Claudius dirigera un blocus par terre et par mer de la cité dans le but de l’asphyxier. Cette nouvelle stratégie, huit mois après le début du siège, permet à Marcellus, à la tête du tiers des effectifs romains, de se consacrer à la pacification du royaume de Syracuse : Helorus, Herbesus se rendent et Mégara Hybléa est prise et détruite pour l’exemple. Au même moment, la flotte punique d’Imilcon, qui stationnait jusqu’alors au large du cap Pachynum (l’actuel cap Passaro), décide de mener sur terre, à la fin du printemps 213, les renforts envoyés par Carthage : la cité punique, encouragée par les nouvelles parvenues de Syracuse, a en effet dépêché 27 000 fantassins, 3 000 cavaliers et 12 éléphants.

Débarquée à Héracléa Minoa, port traditionnel des Puniques pendant la première guerre punique, l’armée d’Imilcon s’empare rapidement d’Agrigente, ce qui a pour effet d’exciter les autres cités de la Sicile occidentale. Laissant la défense de Syracuse sous la direction de son frère Epicyde, Hippocrate, à la tête d’une armée de 10 000 fantassins et 500 cavaliers, part appuyer la campagne d’Imilcon contre Marcellus. Mais il est surpris par ce dernier alors que ses troupes sont occupées à établir leur camp près d’Acrillae. Ayant échoué à surprendre Imilcon, Marcellus se rattrape, de manière inespérée, avec Hippocrate. Si la cavalerie du Syracusain parvient à s’échapper, avec quelques soldats, et à rejoindre les forces d’Imilcon, son infanterie est enveloppée et décimée par les Romains. Ce succès permet à Marcellus de dissuader les cités siciliennes tentées par le ralliement à Carthage. Pour l’instant. Imilcon et Hippocrate tentent bien d’affronter Marcellus avant qu’il n’augmente ses forces. Las. Une flotte romaine débarque tranquillement une légion à Panormos, malgré les efforts d’Imilcon pour l’intercepter. Cette légion parvient, en longeant les côtes, à rallier Appius Claudius, qui a pris les devants avec une partie des troupes romaines. La jonction a lieu au niveau du promontoire de Pachynum et l’ensemble rejoint rapidement le camp romain devant Syracuse.

Imilcon consacre alors ses efforts à soulever les cités contre la domination romaine. Il s’empare ainsi de Morgantina, à l’automne 213, de sa garnison romaine et des stocks de blé entreposés là par l’ennemi. Cette défection entraîne celle d’autres cités, qui n’hésitent pas à livrer ou à chasser leurs garnisons romaines. Le chef de celle d’Henna se voit contraint de massacrer une grande partie de la population pour ne pas voir cette position inexpugnable livrée aux Puniques et laisse ses soldats piller la cité. La nouvelle de ce massacre, dans une cité vénérée pour son temple dédié à Koré, a pour effet d’encourager les autres cités siciliennes, indignées, à épouser la cause punique. Après avoir échoué devant Henna, les généraux puniques partent prendre leurs quartiers d’hiver, Imilcon à Morgantina et Hippocrate à Agrigente, alors que Marcellus installe son camp à quelques kilomètres de Syracuse.

La chute de Syracuse (212)

Prorogé dans sa fonction pour l’année 212, Marcellus nomme T. Quinctius Crispinus à la tête de la flotte et du premier camp romain, en lieu et place d’Appius Claudius, parti briguer le consulat à Rome. Conscient de la difficulté de venir à bout des défenses de Syracuse, approvisionnée par Carthage, Marcellus hésite un temps à s’attarder sur le siège de la cité. Il tente alors une ultime parade : celle de la trahison. Une précédente conjuration avait été découverte et sévèrement punie à Syracuse, au printemps 212. Mais un transfuge vient révéler à Marcellus qu’une fête de trois jours va être consacrée à Artémis dans la cité assiégée. Le point névralgique de l’attaque romaine est préalablement déterminé : le mur qui défend le plateau des Epipoles, à une hauteur accessible avec des échelles moyennes, près du port de Trogylium et de la tour dite « Galéagre ». Attendant que la garde soit bien assoupie, le consul parvient, en cet été 212, à faire franchir la défense par une petite troupe ; celle-ci se porte alors vers l’Hexapyles, puissante forteresse qui commande l’entrée principale, et permet à l’armée romaine de s’engouffrer à l’intérieur de l’enceinte. Les Romains ne tardent pas à prendre le contrôle du quartier des Epipoles. Epicyde, de peur que ses arrières ne cèdent à la panique et se livrent – et le livrent – à l’ennemi, est contraint de se retrancher dans l’Achradine et l’île d’Ortygie, qui possèdent leurs propres défenses depuis Denys l’Ancien. Les Romains sont désormais maîtres de la ville haute de Syracuse.

Mais la situation romaine se trouve menacée par le fort d’Euryale, encore aux mains des Puniques : en saillie à l’intérieur des terres, à l’opposé de l’Achradine, cette défense est donc susceptible d’accueillir les forces d’Imilcon et d’Hippocrate en campagne et d’encercler l’armée romaine. Marcellus est donc contraint d’accepter, sans conditions, la retraite de la garnison punique du fort d’Euryale vers l’Achradine. L’acquis est certain pour les Romains, et ils peuvent tranquillement lancer le siège de l’Achradine sur trois fronts. Même l’arrivée, tardive, des forces d’Imilcon et d’Hippocrate ne change rien à la situation : une attaque combinée avec les troupes d’Epicyde est vigoureusement repoussée par les Romains. Mais ce sont les maladies contagieuses qui contribuent de manière décisive à accélérer la fin du siège. Bien qu’elles aient sévi sans distinction dans les deux armées, c’est celle d’Imilcon et d’Hippocrate, plus exposée, qui paie le plus lourd tribut. Les deux chefs succombent également à la maladie et ce qui reste de l’armée punique se retire dans les villes voisines, stockant du ravitaillement en prévision d’un siège. Entre-temps, le navarque Bomilcar parvient à s’échapper du port de Syracuse, à la tête d’une partie de la flotte punique, et à rejoindre Carthage. Avertie de la situation dans laquelle se trouve Syracuse, la métropole punique dépêche en Sicile, sous la direction du navarque, une flotte de 130 quinquérèmes et 700 navires de charge. Empêché par des vents contraires de doubler le cap Pachynum, Bomilcar est sur le point de retourner en Afrique lorsque Epicyde, qui est parvenu à l’atteindre, le décide à tenter le sort des armes, dernier espoir pour le salut de Syracuse. Avantagés par le sens du vent, les Romains n’en demandent pas tant. Marcellus, du reste, n’a pas le choix, s’il ne veut pas se retrouver assiégé dans Syracuse par terre et par mer : les Siciliens ont en effet réussi à mettre sur pied une considérable armée. L’audace avec laquelle Marcellus – décidé à empêcher les navires puniques d’entrer dans le port de Syracuse – présente sa flotte face à celle de Bomilcar, pourtant supérieure en nombre, contribue à intimider le navarque punique. Ce dernier rompt le contact et fait voile vers Tarente, pendant que les navires de charge regagnent l’Afrique. Résigné, Epicyde choisit de rejoindre Agrigente plutôt que de s’attarder dans une vaine résistance à Syracuse. La notabilité syracusaine n’a d’autre alternative que d’engager des pourparlers pour la reddition de la cité, sacrifiant sur l’autel de l’entente les lieutenants d’Epicyde. Mais les mercenaires de l’armée punique, méfiants, sont restés sur leurs gardes et massacrent tous ceux qu’ils soupçonnent d’intelligence avec l’ennemi. Seule la trahison d’un officier espagnol permet à Marcellus de prendre enfin le contrôle de l’île d’Ortygie et de l’Achradine. C’est au cours du pillage de ce quartier qu’est tué le savant Archimède, occupé, nous raconte la tradition historique, à dessiner des figures géométriques. La prise de Syracuse arrive à point nommé : les navires de ravitaillement amenés d’Afrique par le propréteur Otacilius, après une razzia menée dans le port d’Utique et ses campagnes, permettent en effet à l’armée romaine – et à la population syracusaine – d’éviter la famine. Le butin amassé dans l’Achradine est à la mesure de la renommée de la cité. Marcellus transfère à Rome nombre d’œuvres d’art renommées : les Romains pourront longtemps les admirer dans des temples dédiés par le chef romain, près de la porte Capène, au sud de la cité.