Avec la décisive intervention de Gisco ben Hannon en Sicile, Carthage réussit à préserver le statu quo en Sicile. Le traité de 338 ne fait finalement que confirmer ceux de 373, 366 et 362, mais aussi la frontière de l’épicratie punique sur le fleuve Halycos. Plus d’un quart de siècle d’accalmie suit, au cours duquel les échanges commerciaux et les interactions culturelles entre Grecs et Puniques s’intensifient sur l’île, complétant ceux qui ont déjà contribué, les décennies précédentes, à faire évoluer le faciès culturel et politique de la métropole africaine, ainsi que ses perspectives politiques et militaires. Il faut dire que la géopolitique méditerranéenne n’évoluait pas dans un sens très encourageant pour Carthage. Des réformes de fond étaient indispensables pour faire face aux nouveaux défis constitués par le monde né des conquêtes macédoniennes. La soumission de l’Orient par Alexandre le Grand et la destruction de la cité mère, Tyr, par le roi macédonien en 332 allaient en effet durablement influer sur le cours de l’histoire politique et militaire de la métropole africaine. Les Carthaginois eurent l’occasion de rencontrer le Macédonien. Une députation carthaginoise, envoyée comme de coutume à Tyr pour la traditionnelle cérémonie du sacrifice annuel en l’honneur de Milqart, assista, de l’intérieur, au siège de la cité. Celui-ci dura huit mois et Tyr ne put compter que sur elle-même, les autres cités phéniciennes et Carthage ayant refusé de s’impliquer plus avant dans le conflit. Une partie non négligeable de la population tyrienne fut néanmoins autorisée à se réfugier dans la cité d’Elyssa. Alexandre le Grand épargna les théores carthaginois et leur confia qu’il avait pour projet de porter la guerre en Afrique. Rien n’autorise à infirmer ces projets de conquête. Ceux-ci se trouvent quelque part confirmés par l’envoi d’une délégation punique à Babylone. Justin ajoute même que Carthage, effrayée de l’envergure prise par la puissance gréco-macédonienne, dépêcha un certain Amilcar le Rhodien à la cour d’Alexandre le Grand afin de sonder les projets du conquérant. Introduit par Parménion, cet Amilcar réussit à s’établir durablement dans l’entourage du roi et ne quitta Babylone qu’après sa mort, en 323. Mais, outre les menaces de guerre proférées, sans suite, par le conquérant à l’égard de Carthage1, c’est surtout l’esprit d’expansion hellénistique initié par Alexandre le Grand qui constituera un danger direct pour la métropole africaine. Ainsi, l’activité de Thibron en Cyrénaïque, mais surtout l’expédition d’Agathocle – appuyée par celle d’Ophellas – contre Carthage, à la fin du IVe siècle, doivent-elles être rattachées à la volonté de reproduire l’action du conquérant macédonien en Afrique. Car seule cette volonté farouche a pu animer l’unique expédition militaire grecque d’envergure – et la première de ce genre – sur le sol même du territoire de Carthage.