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L’expédition africaine de Regulus
De la défaite navale d’Ecnome au débarquement romain en Afrique (256-255)
Le projet romain pour 256, en réalité, n’est rien de moins que de porter la guerre en Afrique, raison pour laquelle le plus capable des consuls de l’année, Regulus, prend la tête de la flotte. Le consul peut ainsi concentrer près de 330 navires et une troupe de 40 000 hommes à Ecnome. Anticipant la stratégie romaine, une flotte punique de 350 navires, sous la direction d’Hannon ben Hannibal et du stratège Amilcar, se déplace à Lilybée et, de là, à Héracléa Minoa : le but est d’empêcher le débarquement romain en Afrique en coupant la route à la flotte romaine. L’affrontement a donc lieu au large d’Ecnome. La flotte ennemie s’organise en trois lignes, disposées en triangle : la ligne de front, face aux Puniques, est présentée en forme de coin ; les flancs sont dirigés par les deux consuls, Regulus et Manlius Vulso. La flotte punique est également disposée en trois lignes, mais avec un front plus large : Hannon ben Hannibal dirige l’aile droite, Amilcar l’aile gauche. L’objectif punique est l’enveloppement par les ailes. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Le centre punique ne réussit pas à aspirer son vis-à-vis romain, tandis qu’Hannon ben Hannibal et Amilcar échouent à déborder les flancs romains. Le centre romain finit par rompre la ligne ennemie, et porte secours aux lignes en difficulté. Prises en tenaille, les lignes puniques subissent de grosses pertes : 30 navires coulés pour 64 autres capturés. Les Romains n’ont à déplorer que la perte de 24 vaisseaux.
Le chemin vers l’Afrique est désormais grand ouvert, malgré les efforts d’Hannon ben Hannibal pour stopper les Romains. Le Punique a juste le temps de rallier la métropole africaine pour organiser sa défense. Rassemblée au cap Hermès (Ras ed-Drek, près d’El Haouaria), la flotte romaine longe ensuite la côte pour stationner près d’Aspis, à l’été 256 : la cité punique est prise d’assaut. Puis, les forces romaines s’attellent à ravager les riches campagnes du cap Bon. Kerkouane, entre Clypéa (Kélibia) et le cap Bon, est entièrement détruite. Plus de 20 000 captifs sont réduits en esclavage. Regulus a d’autant plus le loisir d’agir que Carthage ne dispose d’aucune force armée dans le territoire carthaginois, hormis les débris rescapés de la défaite d’Ecnome, ni d’aucun commandement militaire sur place. Il faut attendre la nomination, par décret, de deux magistrats avec pouvoirs militaires, Asdrubal ben Hannon et Bostar, pour opposer à Regulus une force crédible. Amilcar, à la tête de 5 000 fantassins et 500 cavaliers, est rappelé en Afrique pour encadrer les nouveaux stratèges et la nouvelle armée punique levée pour la circonstance. Entre-temps, Rome rappelle en Sicile un des deux consuls, pendant l’hiver 256. Regulus se maintient en Afrique avec une armée de 15 000 fantassins, 500 chevaux et 40 vaisseaux.
Pour le contrer, l’armée punique – cavalerie et éléphants compris – vient camper au début de l’année 255 sur une colline dominant les environs d’une place forte, Adis (Uthina ?), alors assiégée par les Romains. Regulus décide de saisir l’occasion, en attaquant l’ennemi sur la colline même : il annule ainsi l’avantage de la cavalerie et des éléphants, autrement plus efficaces en plaine ! Assaillie des deux côtés de la colline, l’armée punique réussit, dans un premier temps, à mettre en fuite la première légion. Mais elle finit par se laisser encercler et doit battre en retraite. Cette victoire ouvre le chemin vers Carthage : l’armée romaine ravage les cités qu’elle rencontre sur son passage et s’installe à Tunis, aux portes de la métropole. La famine commence à se faire sentir dans les villes où se sont entassés les paysans fuyant les pillages des Romains, mais aussi les bandes numides en maraude. C’est le moment que choisit Regulus pour traiter. Carthage dépêche auprès du consul trois de ses plus illustres citoyens, dont Hannon ben Amilcar. Mais les conditions posées par le consul – abandon de la Sicile et de la Sardaigne et paiement d’un tribut annuel – sont si dures qu’elles suscitent l’indignation des Carthaginois. La métropole punique choisit alors de poursuivre la guerre.
La victoire de Tunis (255)
Une campagne de recrutement de mercenaires est lancée et l’enrôlement d’éléments grecs accentué. L’expertise spartiate est particulièrement sollicitée : la réputation de l’école militaire lacédémonienne était alors reconnue autour du bassin méditerranéen et ses compétences très recherchées. Aussi Carthage s’adjoint-elle les services d’un brillant officier spartiate, Xanthippos, qui se distingue par son expérience et sa bonne connaissance des structures militaires romaines. D’autant qu’il a déjà exercé au sein de l’armée punique, comme le laisse entendre Polybe. La gravité de la situation pour laquelle on le fait venir et les moyens mis à sa disposition pour contrer Regulus reflètent incontestablement la dimension du stratège lacédémonien. Placé sous les ordres du commandement punique, Xanthippos, à la tête d’une petite escadre grecque, s’attelle à former les soldats puniques aux dernières tactiques de la disposition en phalange. Un jeune officier carthaginois d’une vingtaine d’années, du nom d’Amilcar ben Hannibal, évolue alors dans l’armée punique à ses côtés. On le retrouvera plus tard sous le surnom de Barca.
Les troupes puniques sont dirigées vers la plaine de Tunis une fois jugées aptes au combat, en 255. Douze mille fantassins, 4 000 cavaliers et 100 éléphants viennent se déployer en face de l’ennemi, sous la direction des stratèges Amilcar et Asdrubal ben Hannon. La phalange punique, composée de citoyens carthaginois, est disposée au centre, précédée sur une même ligne par les éléphants ; les mercenaires et la cavalerie occupent les ailes. Regulus fait adopter à son armée le déploiement habituel : les vélites, fantassins armés légèrement, en première ligne, devant le reste des légions, avec les cavaliers sur les ailes. Seul changement notable : les rangs des légions gagnent en profondeur, alors que la ligne de front perd en longueur. Si cette disposition est la meilleure possible pour contrer la charge des éléphants, elle rend toutefois l’armée romaine vulnérable sur les côtés, face à la cavalerie ennemie, largement supérieure. De fait, les premiers temps de l’engagement voient le centre romain contrer efficacement l’attaque des éléphants ; l’aile gauche parvient même à culbuter les mercenaires de l’armée punique, qu’elle poursuit. Mais, très vite, la bataille prend une autre tournure : la cavalerie punique prend logiquement le dessus sur son vis-à-vis et se rabat sur le flanc de l’armée romaine, fragilisant ainsi l’équilibre des légions, qui finit par rompre face aux éléphants. Quant aux vélites qui avaient réussi à passer, ils sont écrasés par la phalange punique encore intacte et bien ordonnée. Sur les 15 000 hommes de l’armée romaine, seuls 2 000, sur l’aile gauche, échappent au massacre et vont trouver refuge derrière les murs d’Aspis. Regulus et 500 de ses hommes sont faits prisonniers et emmenés à Carthage.