« Quel champ de bataille nous laissons là aux Carthaginois et aux Romains », s’était exclamé Pyrrhos au moment de quitter l’Italie en 275, après cinq années de guerre continue en Occident. Le roi d’Epire ne croyait pas si bien dire : le gros siècle qui suit la Méditerranée occidentale au centre de l’affrontement, décliné en trois actes, entre Carthage et Rome, « le plus beau spectacle que l’Antiquité nous ait fourni », croit bon de préciser Polybe pour le deuxième acte. Témoin direct de la troisième guerre punique et du sac de Carthage en 146, l’historien de Mégalopolis, et ami des Scipions, avait saisi plus que tout autre la perspective politique qui était offerte au vainqueur de cette confrontation : le projet initié par Alexandre le Grand – et que ses successeurs et/ou émules tenteront plus d’une fois de réaliser –, à savoir l’unification du monde connu sous la bannière d’une même et seule puissance, trouverait là un élu à la mesure du défi. Il faut dire que, de son côté, le riche Orient hellénistique, embourbé dans des conflits sans fin, tardait à désigner la puissance directrice qui aurait permis de concrétiser le projet du conquérant macédonien. Les guerres incessantes et les multiples prétentions impériales en Méditerranée orientale avaient d’ailleurs contraint Pyrrhos, un des plus ambitieux émules d’Alexandre, à se tourner vers l’Occident, comme pour montrer que c’était de ce côté que se trouvait désormais l’avenir politique de la mer Méditerranée. L’exclamation de Pyrrhos n’insinue pas autre chose ! Les guerres puniques apparaissent aujourd’hui comme l’aboutissement logique d’une assez longue période qui voit s’affirmer la prééminence des deux grandes puissances occidentales au détriment des puissances grecques déclinantes et de la thalassocratie étrusque déjà soumise par l’Urbs. Conditionnée par des traités renouvelés périodiquement, en fonction des aléas économiques et/ou politiques, et préservée par ce que l’on peut appeler un glacis territorial, la coexistence qui prévalait jusqu’alors entre Carthage et l’Urbs n’allait pas résister à l’expansion romaine vers l’Italie du sud et à l’enjeu sicilien.