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Vers une pacification des rapports entre la sphère punique et le monde grec
Longtemps, les premières lectures relatives aux contacts entre Grecs et Puniques ont donné l’impression de relations essentiellement conflictuelles. En réalité, et alors que les échanges commerciaux entre eux ont toujours existé, il est vite apparu qu’une évolution s’était dessinée dès la première moitié du IVe siècle : à l’intensification du négoce s’est en effet ajoutée une certaine cordialité – dans les rapports autres que commerciaux – entre les deux grandes sphères culturelles. Les perspectives commerciales qu’offrent au monde punique de bons rapports avec la koinè grecque sont progressivement accompagnées du paramètre géostratégique principalement motivé par l’émergence de la puissance romaine. Le monde grec apparaît de plus en plus, aux yeux des Puniques, comme un indispensable allié stratégique, et même, dans certains milieux de la haute aristocratie carthaginoise, comme un modèle politique dans l’optique d’une refonte de la direction exécutive. Cette évolution fonctionnelle de l’image que se faisait le Grec du Punique se matérialise progressivement par l’établissement de véritables liens politiques, tributaires de l’intensité des échanges commerciaux, puis, par l’évolution de la situation géostratégique du monde punique en Méditerranée occidentale. Dans quelle mesure le pouvoir en place, à Carthage, était-il disposé à accepter une évolution catalysée par le modèle grec et qui contenait les germes mêmes d’une révolution politique ?
L’évolution de l’image du Punique dans le monde grec
Longtemps les rapports entre Grecs et Puniques sont restés tributaires de la notion de l’oikouméné telle que développée par la pensée hellénique, qui voulait que les Grecs soient au centre d’un monde dont l’éloignement ne pouvait que signifier la démesure et la dégénérescence ; l’« autre », ainsi défini, est donc jugé en fonction de son aptitude à intégrer les paramètres constitutifs de l’identité et du mode de vie grecs. C’est sur ce principe que la propagande syracusaine, orchestrée par les différentes tyrannies de la cité, a prospéré pour construire l’épouvantail punique dans le cadre des guerres siciliennes. Si la vision nombriliste grecque du monde n’évolue pas vraiment, l’image du « Barbare » commence, progressivement, à être perçue différemment, d’autant que la chute de l’Empire perse a permis au monde grec de se soulager d’une menace qui a longtemps entravé ses rapports avec le monde barbare. Cette époque se caractérise en effet par la maturité atteinte par le foisonnement intellectuel, amorcé depuis le Ve siècle, qui se répand dans le monde grec : la curiosité de l’esprit, le goût de l’aventure et l’intérêt porté aux cultures périphériques et barbares s’épanouissent à travers le développement des sciences humaines, telles la géographie, l’histoire, la philosophie. C’est au début du IIIe siècle, en Egypte lagide, que fut traduite la Torah hébraïque et que Manéthon rédigea l’histoire des pharaons à l’intention de Ptolémée II ; c’est en grec que Bérose écrivit, pour Antiochos Ier, l’histoire de sa région, la Mésopotamie, et qu’Hermippos composa un commentaire de l’œuvre de Zoroastre. On commençait à reconnaître dans le monde grec l’existence d’une « sagesse barbare », même si cette sagesse, au final, n’était apte à s’épanouir, d’après l’intelligentsia grecque, qu’à travers l’excellence hellène.
C’est à l’aune de cette ouverture intellectuelle et culturelle, donc, qu’il convient d’expliquer l’intérêt grec pour la culture et les choses puniques, comme le montrent les intitulés de certaines pièces de théâtre : le prologue du Poenulus de Plaute, vers 53, nous révèle l’existence d’une comédie grecque, sans doute intitulée Καρχηδόνιος, « Karchedonios » ayant précisément pour thème les Carthaginois, et dont se serait inspiré l’auteur latin pour composer sa pièce ; les thèmes puniques ont en réalité fait l’objet de plusieurs pièces de théâtre, distinctes bien que du même nom, œuvres d’auteurs comme les Athéniens Ménandre, Alexis et d’autres encore. On sait également, d’après Athénée, que le sophiste Polémon consacra tout un traité sur les tissus puniques au IIe siècle ; le même auteur nous apprend qu’un certain Hippagoras (IIIe-IIe siècle) composa un traité sur la Constitution des Carthaginois. On a vu, par ailleurs, que les récits historiographiques grecs s’étaient également intéressés aux Puniques. De même, les commentaires élogieux d’auteurs grecs sur les institutions politiques de la métropole africaine se multiplient déjà depuis Isocrate, lequel comparait, dans son œuvre Nicoclès, les Carthaginois à « ceux des Grecs qui sont le mieux gouvernés ». Il est, à ce propos, particulièrement révélateur que ce soit sensiblement vers l’époque qui nous intéresse, à savoir le dernier tiers du IVe siècle, qu’Aristote loua le système punique de gouvernement, le seul non grec qui pût être justement comparé à la Constitution des cités grecques. Cet hommage trouve un écho non moins révélateur, vers la moitié du IIIe siècle, chez Eratosthène : l’auteur cyrénéen, rejetant la traditionnelle séparation entre Hellènes et Barbares, croit bon, d’après Strabon, de considérer dorénavant les Carthaginois comme étant un peuple doté de vertu en raison de leur excellente Constitution, alors que l’on sait qu’ils étaient encore considérés comme des Barbares au temps d’Hérodote et même de Platon.
Cet intérêt intellectuel et culturel a contribué à familiariser le Punique aux yeux des Grecs. Carthage est même perçue, à l’époque hellénistique, comme une polis semblable à celles existant dans le monde grec, bénéficiant même d’un certain statut par l’excellence de sa Constitution1. L’évolution de l’attitude de l’intelligentsia grecque en direction des Puniques semble également avoir été facilitée par la culture matérielle et intellectuelle grecque développée, au moins dans la forme, par les Puniques : l’autre – l’étranger – n’était jugé, justement, par le Grec qu’en fonction de cette culture hellène et, le plus souvent, en fonction de sa capacité à s’y intégrer, conformément à la règle érigée par Isocrate dans son Panégyrique. Cette évolution, enfin, a certainement été facilitée par la familiarité des contacts dynamisés par la présence démographique de Grecs à Carthage et en milieu punique et, inversement, de Phénico-Puniques en milieu grec. L’image du commerçant punique pirate et rapace de l’époque d’Homère, et même d’Hérodote, semble ainsi avoir évolué, comme le montre le ton certes moqueur mais dénué de toute hostilité avec lequel il est présenté dans le Poenulus de Plaute, dont on sait qu’il est inspiré d’une pièce grecque du IVe siècle.
De l’autre côté du miroir, l’attitude punique est plutôt conciliante envers les Grecs installés en milieu punique. Les rapports avec les Grecs semblent en effet avoir été placés sous le signe de la diplomatie, conformément à la politique mercantile carthaginoise : les événements politico-militaires en Sicile ont montré que les Puniques n’agissaient militairement que pour maintenir leur présence dans le tiers ouest de l’île, afin de mener à bien leur politique commerciale. Cette évolution de l’image du Punique dans le monde grec, en même temps qu’elle facilite les échanges culturels et économiques entre les deux sphères, va également permettre l’établissement de véritables liens politiques.
L’établissement de rapports politiques
L’histoire des rapports politiques entre Puniques et Grecs diffère selon que l’on se place en Occident ou en Orient. En Occident, les Grecs ont développé très tôt des liens autres que commerciaux ou diplomatiques avec les Puniques. Cela s’explique évidemment par la proximité géographique et physique qui a, avec le temps, évolué en une proximité conviviale. Le cas échéant, elle se transforme en alliance politique et même militaire. En Orient, la situation est différente. Il faut attendre la guerre du Péloponnèse pour que prennent fin les menaces de la thalassocratie athénienne en direction de Carthage, en même temps que se développe dans le monde grec, dès la fin du Ve siècle, un désir généralisé de paix. La mise en berne de la puissance militaire maritime d’Athènes – du moins de son potentiel offensif à grande échelle – coïncide, d’ailleurs, avec les nouveaux rapports développés entre les cités phéniciennes d’Orient et la capitale attique, lesquels entrent dans le cadre d’une ébauche de droit international qui commence à prendre jour dans les transactions politiques et commerciales en Méditerranée. Un décret émis par Athènes, vers 360, en faveur du roi de Sidon Straton Ier illustre bien ces nouveaux rapports : le roi se voyait offert la proxénie, à lui et à ses descendants, alors que de substantielles levées de taxes étaient accordées aux marchands sidoniens commerçant avec Athènes. Peut-être faut-il lier à ce décret, comme une suite logique, l’hommage rendu conjointement par Sidon – au nom du roi Abdastratos – et Tyr au dieu de Délos, Apollon, puisque l’île est à ce moment du règne d’Abdastratos – la deuxième moitié de la période préhellénistique – définitivement passée sous le contrôle athénien depuis 376/375. D’une manière générale, les cités phéniciennes entretenaient, à cette époque, des rapports cordiaux et suivis avec Athènes, comme le montre l’établissement permanent de Phéniciens (Sidoniens, Tyriens, citoyens de Beirut, d’Arados ou de Tripolis, etc.) en territoire grec. Les solides liens entre Tyr et Carthage ont contribué, au moins, à consolider les rapports entre la métropole punique et la cité d’Athéna, comme le montre un autre décret de proxénie, daté entre 350 et 320, exhumé de l’Acropole d’Athènes2 : il est promulgué en l’honneur de deux citoyens de Tyr, Apsès et son père Hiéron, fils d’Apsès, pour avoir facilité la concrétisation d’un accord entre Athènes et Carthage, en relation avec le commerce de denrées, notamment céréalières, impliquant également la Grande-Grèce et probablement la Sicile. On constate d’autre part que la courbe ascendante des importations de vases attiques en Phénicie centrale (première moitié du IVe siècle) suit la même évolution générale que celle de Carthage, avec laquelle, on le sait, Tyr et Sidon n’ont jamais rompu les liens. L’importance quantitative de céramiques attiques à vernis noir découvertes dans la métropole africaine et plus largement dans le monde punique et la présence de marchands puniques à Athènes3 démontrent que l’essentiel, au moins, des transactions s’était fait de manière directe entre les métropoles attique et africaine. Ces relations sont du reste illustrées par l’existence d’ambassades et d’échanges diplomatiques. Une alliance, conjecturelle certes, avait été nouée entre elles déjà à la fin du Ve siècle, dans le cadre de l’expédition athénienne contre Syracuse. Plus tard, vers 330, une ambassade carthaginoise, composée de Synalos et de Bodmilqart, est honorée à Athènes. La présence punique dans la zone d’orbite athénienne ne se démentira plus jusqu’à la fin de la Carthage punique et bien au-delà4. Ailleurs dans le monde grec, des liens politiques et commerciaux stratégiques sont attestés entre Thèbes et Carthage au IVe siècle : Syracuse, alors en guerre contre la métropole punique, était, rappelons-le, l’alliée d’Athènes et de Sparte, elles-mêmes en conflit avec Thèbes !
Les conquêtes d’Alexandre et l’hellénisation progressive de la Phénicie et de l’Egypte, deux régions avec lesquelles la métropole africaine entretenait des liens culturels anciens et solides, contribuent à renforcer les relations économiques avec le monde grec oriental. Mais si la substitution de l’étalon attique par l’étalon phénicien au sein de l’Empire lagide était de nature à faciliter cette insertion, au moment même où la métropole africaine institua pour la première fois une émission monétaire, les liens politiques entre le monde punique et les monarchies hellénistiques d’Orient furent plus difficiles à établir. Ces liens sont en fait restés tributaires, jusqu’à très tard, de l’esprit d’expansion hellénistique initié par Alexandre le Grand. Mais l’ingérence macédonienne en Afrique, à travers l’expédition d’Ophellas, et la nouvelle perspective régionale lagide orientent plutôt la politique ptolémaïque en Méditerranée centrale vers une volonté d’entente avec les puissances régionales : ce sont des considérations commerciales qui motivent désormais Alexandrie. Conséquence de cette politique, les liens entre Carthage et les Lagides semblent empreints d’une certaine cordialité, au moins depuis le début du IIIe siècle. Même si on ne connaît pas très bien la nature et la mesure des relations commerciales entre Carthage et Alexandrie, la documentation littéraire témoigne de liens politiques suffisamment solides à cette époque pour que Ptolémée Philadelphe refuse toute aide à l’expédition de Pyrrhos contre les Carthaginois. En outre, il fallait avoir de bons liens avec Alexandrie pour que la métropole punique espère obtenir, d’après Appien, un prêt de 2 000 talents pour financer la poursuite de la première guerre punique : le refus essuyé marque néanmoins les limites de cette entente, dans la mesure où les Lagides – qui entretiennent, dès 273, des rapports cordiaux avec l’Urbs – s’efforcent de rester neutres dans le conflit punico-romain. L’introduction de Cyrène dans le giron lagide en 247 – concrétisée par le mariage entre Bérénice et le roi Ptolémée III Evergète – contribue à renforcer la pacification des frontières orientales de la zone d’influence punique.
Cet assainissement des relations avec la sphère hellénistique orientale coïncide avec une période où l’équilibre installé par Carthage en Méditerranée occidentale commence à se désagréger : la métropole punique doit en effet gérer la fin de l’entente cordiale étrusco-punique sur laquelle Carthage a longtemps pu s’appuyer, la transformation progressive de la vieille thalassocratie toscane en une véritable piraterie menaçant même, à terme, l’équilibre commercial punique ; d’autant que les Etrusques, désormais sous le joug romain, n’hésitent pas à venir en aide à Agathocle. D’un autre côté, la menace romaine, justement, se précise tout au long de la seconde moitié du IVe siècle et du premier tiers du IIIe siècle, avec le glissement de ses conquêtes vers le sud de la péninsule italique, à proximité des intérêts puniques. C’est ce qui pousse Carthage à conclure des traités avec l’Urbs destinés à juguler ses prétentions : cette succession de traités, en un laps de temps aussi court – trois (en 348, en 306 et en 279) en moins d’un siècle –, démontre en quelque sorte la volonté des deux parties de délimiter leurs zones d’influence respectives. L’hégémonie romaine a en effet investi l’Italie du Sud, région avec laquelle Carthage entretient d’étroits liens culturels et commerciaux. Concrètement, cette conquête prive la métropole punique de son principal marché de mercenaires, à savoir la Campanie, en même temps qu’elle menace, à terme, le marché commercial que constituait la Grande-Grèce. Cette évolution des rapports de force incite donc Carthage à consolider ses relations avec les Grecs. On voit ainsi la métropole punique accorder à Pythéas, peu après 330, l’autorisation exceptionnelle de franchir le cap, ô combien stratégique pour les Puniques, des Colonnes d’Hercule, alors que les échanges commerciaux punico-grecques tendent à se structurer. Les contingents grecs employés dans les armées puniques vont devenir de plus en plus importants, pour atteindre leur apogée lors de la première guerre punique.
En Sicile, il faut attendre la seconde moitié du IVe siècle pour voir les relations punico-grecques se détendre, alors que les décennies précédentes avaient été marquées par de violents affrontements. Carthage finit par comprendre que les conflits qu’elle supportait sur l’île facilitaient souvent l’accession de tyrans au pouvoir, et donc les « croisades » antipuniques, des guerres de Denys l’Ancien à celles d’Agathocle. La politique « antityrannique » menée par Timoléon, autour du milieu du IVe siècle, permit à Carthage de soutenir à son tour l’émergence politique des aristocraties locales, d’autant que la noblesse carthaginoise avait réussi, presque à la même période, à se débarrasser de la mainmise de la dynastie magonide sur la direction des affaires de l’Etat. C’est probablement dans ce contexte politique qu’il faut replacer l’accueil, par Carthage, des opposants siciliens – et plus particulièrement syracusains – à la politique tyrannique. Et si l’on excepte les expéditions de Pyrrhos et d’Agathocle, qui coïncident d’ailleurs avec le retour du système tyrannique en Sicile, et qui usèrent également du thème mobilisateur de l’unicité et de la liberté grecques contre l’envahisseur barbare, on s’aperçoit que les relations entre Puniques et Hellènes surent faire abstraction de leurs divergences idéologiques et nationalistes pour amorcer un début d’entente politique stimulée par le danger toujours plus précis que représentaient les Italiens de la moitié nord de l’Italie. Car c’est peut-être autant la crainte des tribus belliqueuses d’Italie et des prétentions hégémoniques romaines que la familiarité avec les Puniques qui poussèrent les Grecs d’Occident à reconsidérer leur position par rapport à la présence punique en Sicile. De manière plus large, ce sont les menaces extérieures qui ont contribué au rapprochement entre Grecs de Sicile et Puniques. L’attitude des Grecs de Sicile était d’autant plus compréhensible qu’ils avaient compris que Carthage ne développait pas une politique annexionniste et qu’elle se comportait de telle façon qu’il apparaissait préférable de subir sa présence plutôt qu’une autre. La souplesse avec laquelle Carthage traite les Grecs de Sicile amène d’ailleurs un grand nombre de cités siciliennes à se placer sous la protection des Carthaginois au moment de la première guerre punique, comme nous le verrons. Ainsi, lorsque Rome s’immisce dans les affaires internes de l’île, Hiéron, le tyran de Syracuse, pourtant allié officiellement aux Romains, se tourne d’abord vers les Carthaginois. Son sentiment premier devait être que la présence carthaginoise multiséculaire en Sicile était plus tolérable et plus sécurisante que l’inconnue romaine, le retour de Hiéron dans le giron romain, en 263, s’expliquant, surtout, par un pragmatisme politique face à l’offensive romaine et par l’hostilité des Syracusains à son encontre. En tout cas, on s’aperçoit qu’aucune des villes siciliennes ne développa une quelconque animosité envers les Carthaginois pendant la première guerre punique et que Hiéron ne fit aucun autre effort supplémentaire que d’envoyer du ravitaillement aux armées romaines, toujours par pragmatisme politique. La connivence entre Grecs et Puniques en Sicile est également illustrée par l’existence de partis propuniques dans la plupart des cités grecques de Sicile. On pense notamment à la figure de Philinos d’Agrigente, qui eut à relater la première guerre punique et dont la punicophilie était notoire. Cette connivence gréco-punique peut également être perceptible à travers l’attitude des cités grecques de Sicile et d’Italie méridionale lors de la deuxième guerre punique. Sans pouvoir parler de liens politiques étroits entre Carthage et le monde grec, on peut néanmoins avancer l’idée d’une sorte de maturité atteinte dans les relations entre les deux entités, consolidée par la familiarité des contacts, surtout en Méditerranée occidentale, et par la convergence des intérêts, notamment face à l’inconnue romaine. Longtemps considéré comme une tête de pont de l’avancée phénicienne en Occident, notamment au plus fort du conflit entre Syracuse et Carthage au Ve siècle, le Punique est perçu différemment. On peut expliquer cette évolution, d’une part, par les efforts d’intégration à la koinè hellénistique consentis par les Puniques, ensuite parce que Rome, comme on le verra, s’était progressivement substituée à ces derniers comme la véritable menace contre l’hellénisme, du moins aux yeux de certains milieux influents du monde grec. On est bien loin, à cette époque, des grandes expéditions punitives puniques en Sicile et de la rancœur siciliote cristallisée, notamment, par les massacres d’Hannibal le Magonide vers la fin du Ve siècle, ou encore de la mauvaise réputation des marchands phénico-puniques. Les relations entre Grecs et Puniques en Sicile, désormais, participent plus d’une atmosphère de coexistence et de cohabitation que d’hostilité ou de nationalisme exacerbé, schéma que l’on étendrait volontiers, avec toute la relativité nécessaire, à l’ensemble des relations gréco-puniques à travers la Méditerranée. Néanmoins, quand bien même les Grecs se décident à entretenir des liens diplomatiques ou culturels avec les Puniques, ils ne le font qu’à travers le prisme de la conscience d’une culture supérieure.