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L’affirmation de Carthage en Sicile occidentale : l’épicratie punique

La permanence des guerres menées en Sicile, surtout à partir du début du IVe siècle, montre l’importance accordée à l’île dans la stratégie commerciale et politique punique. Idéalement située au centre de la Méditerranée, entre Orient et Occident, la Sicile, particulièrement sa partie ouest, forme avec le nord-est de l’Afrique une sorte de tenaille verrouillant les entrées et sorties de la Méditerranée occidentale. Elle constitue également un excellent point de contact avec les Grecs, dans le cadre d’échanges commerciaux fructueux. Il n’est pas anodin à ce propos de rappeler que c’est d’abord en Sicile qu’est apparu le premier monnayage punique au IVe siècle, pour payer la solde des mercenaires engagés dans les armées puniques, ensuite pour faciliter le commerce avec les marchands grecs. En face, en plus des considérations idéologiques de la tyrannie syracusaine, il ne faut pas omettre la perspective stratégique : d’abord, la volonté d’affirmation de la puissance syracusaine prétendant, déjà depuis Hiéron et surtout avec Denys l’Ancien, contrôler les trafics en mer Tyrrhénienne, ce qui remettait sérieusement en cause les équilibres commerciaux qui s’y étaient créés ; puis la prétention de se poser en protectrice des Grecs d’Occident face aux Barbares, comme le montre l’intense propagande syracusaine visant à présenter ses ennemis puniques et étrusques comme des ennemis naturels de l’hellénisme.

Le traité de paix de 405 et la confirmation de l’hégémonie punique en Sicile occidentale

Il faudra attendre la fin du Ve siècle, après la défaite d’Himère, pour voir la reprise des combats dans l’île avec l’expédition d’Hannibal ben Gisco. Carthage jouit à ce moment d’une réputation de cité riche : Thucydide (VI, 4) raconte qu’en 415, la métropole africaine pouvait se reposer sur un riche stock d’or et d’argent. Déjà arrivé à un certain âge au moment de sa promotion, Hannibal était le petit-fils d’Amilcar, le vaincu d’Himère, et le fils de ce Gisco qui paya la défaite de son père par un exil forcé à Sélinonte. L’expédition sicilienne menée par Hannibal ben Gisco est présentée sous le sceau de la vengeance, puisque ce dernier, animé d’une haine implacable envers les Grecs, d’après Diodore, est censé y laver l’affront d’Himère en 480. Pourtant, là encore, cette campagne carthaginoise se fait sur la demande expresse d’une partie sicilienne : la cité de Ségeste, son alliée, en conflit larvé avec sa rivale de toujours, Sélinonte, laquelle se trouvait en plus renforcée par la victoire de son alliée Syracuse sur les Athéniens. Carthage avait d’ailleurs refusé une première demande d’aide ségestaine en 416, comme elle avait du reste constamment rejeté les nombreuses demandes d’intervention initiées par diverses cités grecques de l’île. D’une manière générale, la métropole africaine ne semble pas particulièrement encline à retourner guerroyer en Sicile, ni même à profiter des différentes occasions qui se sont présentées à elle depuis sa défaite à Himère (480). Pas plus la victoire de Doukiétos – à la tête d’une révolte des Sicules, peuple indigène de l’Est sicilien – sur une coalition syracuso-agrigentine à Motyon (453) que la demande d’alliance athénienne en 416 contre Syracuse n’avaient persuadé les Puniques de saisir ces opportunités politiques et militaires. En outre, la décision d’envoyer une expédition dans l’île n’a été rendue possible qu’après de longs débats à Carthage ; d’autant qu’une tentative diplomatique pour résoudre la crise a été tentée, la métropole punique allant jusqu’à proposer à Syracuse l’arbitrage du différend entre Ségeste et Sélinonte. Le rejet de cette initiative diplomatique par Sélinonte et Syracuse provoque néanmoins le débarquement de l’armée d’Hannibal ben Gisco à Motyé, en 410. Le stratège punique n’arrive au départ qu’avec une troupe de 5 000 Libyens : la guerre ne faisait toujours pas consensus à Carthage ou, du moins, elle ne faisait pas partie de l’agenda politique immédiat. Mais Hannibal ben Gisco sait qu’il peut compter sur les troupes ségestaines et leurs alliés élymes ; d’autant qu’il parvient à enrôler une poignée de Campaniens, initialement engagés dans l’armée athénienne, défaite entre-temps par les troupes syracusaines. Ces compléments suffisent au Magonide pour dégager la pression sélinontaise sur Ségeste. Il faudra attendre l’année suivante pour que le gouvernement central carthaginois se décide enfin à s’investir de manière importante en Sicile : Hannibal ben Gisco reçoit le renfort de nouveaux mercenaires ibères et libyens, recrutés pour la circonstance, très vite renforcés par des Sicules avides de revanche, pour entreprendre le siège de Sélinonte. Il s’empare de la cité au bout de neuf longues et dures journées d’assauts et la détruit. Himère, une fois un détachement syracusain de secours anéanti, est tout bonnement rasée, après une opiniâtre résistance, et 3 000 de ses habitants sacrifiés aux mânes de son grand-père Amilcar (Diodore, XIII 62, 2). Après avoir licencié son armée et s’être assuré de la sécurité de ses alliés sur place, le général carthaginois, chargé d’un immense butin, rembarque pour Carthage. Le stratège punique, en effet, n’avait réussi à obtenir qu’un mandat militaire limité dans le temps et dans l’action. Sa mission, punir Sélinonte et rétablir une forme de statu quo dans l’île, ne devait répondre qu’à un objectif donné. Il n’était pas question en tout cas d’élargir le conflit ou de lui donner des proportions telles que cela aboutirait à une lutte ouverte avec Syracuse. Sur le plan personnel, la destruction d’Himère et les honneurs officiels qu’il reçoit à Carthage permettent à la dynastie des Magonides de tourner la page sombre du désastre d’Himère et de raffermir ses positions politiques.

Le retour d’Hannibal ben Gisco en Sicile se fait pourtant plus vite que prévu. C’est qu’Hermocrate, héros de la guerre contre Athènes et prétendant à la tyrannie syracusaine, a fait du territoire punique en Sicile le tremplin de ses ambitions politiques à son retour de Grèce, où il avait été dépêché au secours de Sparte. Dès 408, et après avoir échoué dans sa tentative de s’emparer du pouvoir à Syracuse, Hermocrate se déporte vers l’ouest, occupe Sélinonte et ravage les campagnes du domaine punique. Les Puniques ne restent pas inactifs : leur activité militaire en Sicile précipite même l’envoi d’une députation syracusaine à Carthage pour demander la fin des hostilités ; la mort de l’aventurier syracusain, suite à sa deuxième tentative de prise du pouvoir à Syracuse en 407, ne change rien à la décision punique d’intervenir. La campagne militaire carthaginoise, contrairement à la précédente, est en réaction directe avec la pression syracusaine sur ses territoires de l’ouest de l’île. Et cette fois, Hannibal ben Gisco n’a aucun mal à obtenir le consensus à Carthage. Cela se traduit d’abord par la levée d’une armée conséquente – près de 120 000 hommes, nous affirme de manière exagérée Diodore –, recrutés en Afrique, en Ibérie et en Italie (Campaniens) ; les alliés maures et numides sont également sollicités. Sur le plan diplomatique, Carthage conclut finalement une alliance avec Athènes vers 407/4061 : elle permet à la cité d’Athéna d’éviter des secours syracusains à Sparte et à celle d’Elyssa ceux de Sparte à Syracuse. Plus concrètement, cette alliance permet la neutralité des cités ioniques de Catane et Naxos en Sicile. Réunie à Carthage, l’armée punique est embarquée par une immense flotte en 406. C’est pratiquement la première guerre frontale entre Puniques et Grecs en Sicile, dans la mesure où lors des précédentes oppositions Carthage intervenait surtout en alliée de puissances locales, même à Himère. Le vieux Hannibal ben Gisco est secondé, sur sa demande expresse, par son cousin Imilcon ben Hannon (Diodore, XIII, 80, 2) ; c’est la première fois que le commandement militaire punique est partagé, même s’il reste encore une affaire de famille. L’expédition débute par un revers : un détachement de 40 navires dirigé par Imilcon ben Hannon est défait au large d’Eryx par la flotte syracusaine ; et seule une initiative salvatrice d’Hannibal ben Gisco, venu au secours de son cousin, empêche l’ennemi de tirer profit de ce faux pas. Ce revers n’empêche pas les troupes puniques de débarquer ; une fois sur le sol sicilien, elles se dirigent vers Agrigente2, pour s’assurer au moins de sa neutralité. Il est impensable pour Hannibal, dont le but ultime est Syracuse, de laisser une telle place forte dans l’alliance syracusaine, d’autant qu’Agrigente peut à tout moment couper les liens puniques avec ses bases de l’ouest. La cité grecque ayant refusé l’amitié punique, Hannibal en décrète immédiatement le siège. La prise de la cité est retardée par la résistance opiniâtre des Agrigentins, renforcés par plus de 1 500 mercenaires étrangers. Dirigés par l’expérimenté Spartiate Dexippe, les assiégés réussissent à annihiler l’efficacité des machines de siège, avant qu’une opportune épidémie ne vienne ravager les rangs de l’armée punique. Le général en chef Hannibal ben Gisco ne résiste pas à cette contagion et finit par y succomber. Bien triste fin pour cet habile stratège, dont l’action énergique avait permis de rétablir une certaine autorité punique en Sicile. Son second et cousin Imilcon ben Hannon lui succède, naturellement.

Celui-ci s’attelle, dès sa prise de fonction, à rassurer les troupes ébranlées par des événements surnaturels que la mort soudaine d’Hannibal ben Gisco a contribué à amplifier : auteur de sacrilèges sur des monuments aux morts – dont celui, célèbre, de Théron, ennemi de son grand-père à Himère (480) –, le vieux stratège punique aurait été victime de la colère divine. Il était temps, car une importante armée syracusaine, renforcée par des corps géléens et camarinéens et dirigée par Daphné, approche d’Agrigente. Cette armée, forte de 30 000 fantassins et de 5 000 cavaliers, commence par bousculer un corps punique envoyé à sa rencontre par Imilcon sur les bords de l’Himère. Composée essentiellement de soldats ibériques et campaniens, l’armée punique défaite n’évite une destruction complète qu’en se réfugiant derrière un camp fortifié, où se trouvait déjà le gros de l’armée. Daphné ne tarde pas à venir l’assiéger et à lui couper toute possibilité de se ravitailler. L’armée d’Imilcon, du reste, n’échappe à la famine et à la sédition des troupes mercenaires qu’après avoir arraisonné en pleine mer une cargaison de blé envoyée par Syracuse à son armée ; l’escorte, composée d’une vingtaine de navires syracusains, est quant à elle détruite. Cet audacieux coup de main change le cours des événements : désormais, ce sont les habitants d’Agrigente et ses défenseurs qui se trouvent à court de vivres. Les troupes de Dexippe et de Daphné doivent se résoudre, la mort dans l’âme, à quitter la ville à la fin de l’année 406, soit huit mois après le début du siège de la cité, suivies, finalement, d’une grande partie de la population qui s’installe à Leontium, abandonnant au pillage les trésors qu’elle recelait. Agrigente est alors une opulente cité grecque connue pour ses monuments et sa richesse. Le butin amassé est d’ailleurs à la mesure de la réputation acquise par la cité. Imilcon fait parvenir à Carthage les œuvres les plus célèbres de la cité. Une, en particulier, retiendra ici notre attention car directement liée à l’histoire de Carthage punique : il s’agit du fameux taureau de bronze que confectionna jadis Périlaos pour le maître d’alors Phalaris (VIe siècle). Réputé pour sa cruauté, ce tyran d’Agrigente utilisait cette œuvre pour rôtir ses victimes. La littérature classique, longtemps suivie par l’historiographie contemporaine, rattache traditionnellement l’usage de ce taureau en bronze au Kronos punique, à savoir Baʽal Ḥammon, et aux sacrifices d’enfants qui accompagnaient prétendument son culte. On connaît la faveur que connut par la suite ce topos littéraire3.

Les événements survenus à Agrigente provoquent à Syracuse une crise politique et finissent par amener au pouvoir le jeune Denys. Familier d’Hermocrate, qu’il a servi, Denys réussit, grâce à la pression populaire, à faire destituer les généraux responsables du drame agrigentin et, par d’habiles discours démagogiques, à s’emparer progressivement des pleins pouvoirs. Il commence par se faire attribuer d’amples prérogatives militaires, justifiées par la menace que ferait peser sur le peuple l’intervention carthaginoise. Puis, s’appuyant notamment sur le retour des bannis, Denys arrive à installer sa dictature par d’efficaces manœuvres faites de menaces et de récompenses. Syracuse venait de passer d’un régime oligarchique à la tyrannie. Cette évolution politique allait changer en profondeur le cours des relations entre cette cité et Carthage, qui, même si elles ne furent pas à proprement parler amicales, n’en furent pas moins empreintes de contours diplomatiques. Les tyrans de Syracuse allaient désormais abuser de la menace barbare pour préserver leur pouvoir. D’où la régularité et la violence des guerres frontales entre les deux cités tout au long du IVe siècle.

La destruction d’Agrigente et le début du siège de Géla par Imilcon offrent à Denys l’occasion de démontrer sa valeur. Renforcée par des Grecs d’Italie et d’autres étrangers, l’armée syracusaine se masse devant la cité assiégée. Mais la triple attaque initiée par Denys contre l’armée punique se solde finalement par un échec et le tyran de Syracuse se voit contraint de se replier à l’intérieur des murs de Géla. L’affaire se termine finalement comme à Agrigente : après avoir été évacuée par les troupes de Denys et par les Géléens vers Syracuse, Géla et, à sa suite, Camarine connaissent le triste sort d’Agrigente. Cet échec faillit être fatal à Denys : le tyran dut faire face à la sédition de sa cavalerie, qui tenta de le destituer à Syracuse. Imilcon ben Hannon n’eut pas l’occasion de tirer parti de ces événements : pendant que Denys reprenait la main à Syracuse, une épidémie décima la moitié des troupes puniques, qui étaient en train de mettre le siège devant Syracuse. Fragilisés, Imilcon ben Hannon et Denys finissent par signer une paix en 405, laquelle conforte les Puniques dans leurs avancées et leurs conquêtes : toute la Sicile occidentale, y compris les villes grecques conquises, Agrigente, Sélinonte et Thermai, se trouve sous domination punique, constituant ainsi une sorte d’aire d’influence face au domaine de Syracuse. Le traité de 405 installe le cadre géopolitique qui va constituer le socle des nombreuses batailles livrées tout le long du IVe siècle, avec une densité jamais atteinte auparavant.

Carthage face à la politique antipunique de Denys l’Ancien (397-373)

La constitution de ce domaine punique en Sicile, au fond, n’est pas pour déplaire à Denys, puisqu’elle lui offre l’argument idéal pour maintenir le peuple syracusain en état de veille et excuser un tant soit peu le poids de sa tyrannie en amplifiant la propagande antipunique ; d’autant qu’il a eu à étouffer vers 404 un énième soulèvement des Syracusains contre son pouvoir. De fait, il se lance dans une restructuration des défenses de Syracuse : l’édification d’une imposante citadelle sur l’île d’Ortygie et d’un fort sur les Epipoles, de manière à dominer la cité, lui permet de se prémunir à la fois de l’hostilité de ses concitoyens et d’une attaque ennemie. Parallèlement, il enrôle des mercenaires et augmente son arsenal militaire : Diodore n’hésite pas d’ailleurs à attribuer à cette période, et à Syracuse, l’invention de la catapulte et de la quinquérème. Denys soumet les cités chalcidiennes de la côte orientale de la Sicile (Naxos, Catane, Leontium) – sur lesquelles s’était appuyée Athènes lors de sa guerre contre Syracuse (dernier quart du Ve siècle) – et une partie des Sicules. Il s’évertue ensuite à consolider ses liens avec les Rhégiens – car parents des cités que vient de soumettre le tyran – et les Messéniens, dont le poids pourrait se révéler décisif pour l’issue de la guerre. Cette activité et ces préparatifs ne semblent pas avoir inquiété outre mesure Carthage, qui ne fait rien qui puisse réfréner l’élan du tyran de Syracuse. C’est même Denys qui prend l’initiative, une fois son armée minutieusement préparée et renforcée par des mercenaires spartiates : profitant des dégâts causés par une épidémie de peste en Afrique et secondé par une nombreuse flotte, il se décide à déclencher les hostilités en 398-397. Le tyran syracusain va jusqu’à user du thème de la liberté des Grecs pour légitimer son action et réussir à convaincre le peuple syracusain de la nécessité de cette guerre. Les propriétés et les biens des Carthaginois sont préalablement pillés et des massacres ont lieu, à Syracuse même, mais également dans les autres villes siciliennes, soumises ou non à la domination punique.

Pendant que les Carthaginois se décident enfin à recruter des mercenaires en Europe, Denys, après avoir reçu la soumission d’Eryx, dirige ses troupes vers Motyé (Mozia). Fort d’une armée de 80 000 hommes, il commence immédiatement le siège de la cité punique. Installée sur une île située à un kilomètre de la côte sicilienne, à laquelle elle est reliée par une étroite chaussée, Motyé posséde toutes les caractéristiques d’une cité punique : un cothon – bassin rectangulaire artificiel – comme port et une aire sacrée à ciel ouvert où sont entreposées des stèles votives. Devenue le centre de l’aire d’influence punique en Sicile, la cité constitue l’étape principale de la campagne de Denys. Confiant dans un premier temps le siège à la flotte syracusaine, dirigée par son propre frère Leptine, Denys, rejoint par les Sicaniens, dirigea ses efforts sur les cités alliées aux Carthaginois : les territoires de Solonte, Panormos (Palerme), Entella et Ségeste sont ravagés. Pris de court, les Carthaginois s’organisent comme ils peuvent. Imilcon ben Hannon dépêche bien une flottille de 10 navires sur Syracuse, avec pour mission de surprendre les navires ennemis dans le port et de les couler. Il espère ainsi détourner une partie des forces navales de Denys afin de soulager le siège de Motyé. L’opération est promptement menée, mais n’a pas le résultat escompté, puisque c’est à ce moment précis que Denys concentra tous ses efforts sur le siège de Motyé. Après avoir comblé l’espace qui sépare la cité de la côte sicilienne, le tyran syracusain fait avancer ses machines de siège. Imilcon décide alors de réitérer son coup de force naval, mais cette fois-ci directement sur la flotte syracusaine postée devant Motyé : 100 trirèmes sont affrétées puis dirigées vers Motyé, après avoir longé la côte sélinontaise. Les navires syracusains qui ne sont pas détruits ou brûlés devant le port sont tirés à terre par les soldats de Denys : la flotte syracusaine n’échappe à la destruction complète que grâce à l’action décisive des catapultes, qui produisirent de gros dégâts, matériels et moraux, sur l’armée carthaginoise. Le succès punique n’est que partiel et la chute de Motyé, dès lors, une question de temps. Les tours mobiles construites par Denys s’avèrent décisives pour franchir le premier obstacle : elles permettent d’abord de dominer les édifices hauts de plusieurs étages qui caractérisaient Motyé, annihilant ainsi toute possibilité de nuire à l’armée assiégeante ; celle-ci, protégée par les abris aménagés en haut des tours mobiles syracusaines, peut alors entreprendre le percement des défenses. La prise de la ville commence par le massacre de la population et l’exécution de tous les Grecs ayant participé à la défense de Motyé ; ceux des Motyens qui en réchappent sont réduits en esclavage et vendus. La cité est ensuite livrée au pillage et à la destruction.

Denys reprend l’initiative en 396, après avoir un temps confié la direction à son lieutenant Leptine ; mais il bute sur le siège de Ségeste qui lui posa beaucoup de difficultés. De son côté, Imilcon ben Hannon, investi de pouvoirs quasi illimités, rassemble une armée considérable, estimée à près de 100 000 hommes, comprenant des forces alliées et des mercenaires enrôlés en Ibérie et en Afrique, et par la suite en Sicile. Une imposante flotte de navires de guerre et de transport est constituée pour l’occasion. Elle est chargée de se diriger vers Panormos ; mais alors qu’ils sont en vue de la Sicile, les premiers navires de transport sont attaqués par une flottille de 30 trirèmes conduite par Leptine : 50 navires sont coulés et avec eux 5 000 hommes. Le reste de la flotte réussit néanmoins à rejoindre Panormos. Et alors que les trirèmes puniques étaient chargés de surveiller les côtes, Imilcon ben Hannon s’empare d’Eryx, avant de mettre le siège devant Motyé. Denys, occupé au siège de Ségeste, opère alors une retraite stratégique vers Syracuse. La Sicile occidentale soulagée de la présence de Denys, Imilcon ben Hannon décide d’accepter la partie orientale comme théâtre de combat. Après s’être emparé de Motyé, il abandonne le site et établit le nouveau centre punique de l’île à Lilybée. C’est de là qu’il entreprend sa campagne de l’Ouest, basée sur un brillant mouvement stratégique destiné à annihiler le centre des forces syracusaines. Pour cela, il lui faut assurer un mouillage sûr pour son imposante flotte et son choix se porte naturellement sur Messine, idéalement située en face du détroit le séparant de l’Italie. De cette position stratégique, Imilcon a la possibilité d’interdire à Syracuse l’enrôlement de troupes mercenaires venant du continent et de barrer la route aux secours envoyés par Sparte. Après s’être emparé de Lipari, Imilcon commence le siège de Messine et, profitant d’une erreur tactique des Messiniens qui s’étaient portés au-devant de l’armée punique sur terre, peut investir la ville, de l’autre côté, par une audacieuse manœuvre navale. Messine prise et entièrement détruite, Imilcon peut alors se consacrer à Syracuse, d’autant que les Sicules ont rejoint en masse l’alliance punique, avant tout par haine des Syracusains. Il charge alors son collègue Magon le Navarque de longer la côte pendant que lui-même se déplace dans la région de Tauroménium avant de retrouver Magon sur le territoire de Catane. Denys, de son côté, s’est préparé à soutenir le siège, après s’être assuré des défenses de sa cité, et de celles d’autres cités à proximité, comme Etna. Il vient ensuite camper près de Taurus, à une trentaine de kilomètres de Syracuse, avec une armée de près de 30 000 hommes et 3 000 cavaliers, renforcée par des mercenaires spartiates. De là, à partir d’une marche combinée avec la flotte de Leptine, il réussit à intercepter Magon avant sa jonction avec Imilcon. Denys venait de profiter du détour, par l’ouest, de l’armée punique imposé par l’éruption de l’Etna qui avait bloqué la route littorale menant vers Catane. Le navarque punique, contraint à l’affrontement au large de la cité grecque, accepte le combat naval contre Leptine, certainement l’engagement naval le plus important entrepris jusqu’alors en Méditerranée occidentale. Leptine, rassuré par la présence des troupes au sol le long du rivage, adopte une tactique audacieuse en se portant au-devant de la flotte ennemie à la tête d’une escadre de 30 bâtiments ; après un succès initial, celle-ci se laisse finalement envelopper et le combat d’ensemble, un moment indécis, tourne à l’avantage des Puniques. Les pertes sont lourdes pour les Syracusains : plus de 100 bâtiments coulés pour 20 000 tués ; des dizaines de trirèmes sont en outre saisies et, une fois radoubées, servirent ensuite de trophées de propagande comme preuve de l’écrasante défaite syracusaine. Magon le Navarque peut alors rejoindre Imilcon à Catane, auréolé de sa victoire potentiellement décisive. De là, ils se dirigent de concert vers Syracuse où l’étalage ostentatoire de leurs forces navales et terrestres dissuade toute tentative de relever l’affront. Toutes les propositions de bataille sont ainsi déclinées par les Syracusains, bien à l’abri derrière l’efficace système défensif établi par Denys.

Imilcon, stationné au sud de la ville, à l’embouchure de la rivière Anapus, et visiblement impuissant devant les défenses de Syracuse, consacre alors son temps à détruire le pays et à engranger des vivres en vue du long siège qui l’attend. Les temples sacrés de Déméter et Koré sont pillés et des tombeaux prestigieux, comme ceux de Gélon et de sa femme, saccagés. Denys, de son côté, s’attelle à reconstituer ses forces, profitant du relâchement de la vigilance punique, trahie sans doute par la certitude du succès. Des renforts de Grèce continentale, sous le commandement du Spartiate Pharacidas, réussissent à lui parvenir alors que sa flotte se charge de se procurer des vivres par des coups de main. L’un d’eux permet en même temps aux Syracusains d’anéantir une flottille de 40 navires puniques. Ce succès a pour effet d’amplifier la volonté des Syracusains de se débarrasser de la tyrannie de Denys, incapable jusque-là de s’opposer aux Carthaginois. Mais le Spartiate Pharacidas demeure fidèle à son engagement et la tentative échoue. Un deuxième événement vient définitivement secourir et consolider l’autorité vacillante de Denys : l’épidémie qui décime, encore une fois, les troupes puniques établies sur un étroit terrain marécageux. Denys sut cette fois-ci saisir l’occasion qui se présentait à lui. Une attaque combinée des forces syracusaines sur terre et sur mer aboutit à la destruction d’une grande partie de la flotte et de l’armée puniques prises au piège. La défaite est totale pour Imilcon ben Hannon, qui est contraint à la négociation. N’ayant pu obtenir la retraite pour l’ensemble des troupes rescapées, il négocie sa liberté et celle de ces concitoyens carthaginois, en échange d’une forte somme d’argent, laissant à leur sort les mercenaires ibères et africains, dont une partie seulement – les Ibères – est enrôlée dans l’armée de Denys ; le reste est fait prisonnier ou massacré. Imilcon ben Hannon, nous raconte Diodore de Sicile, vécut à Carthage dans la honte et la misère, victime, poursuit-il, de ses sacrilèges envers les dieux et de son impiété, avant de se suicider4. Le mode opératoire utilisé par Imilcon pour en finir avec ce monde s’inscrit dans la plus pure tradition, rejoignant ainsi ses illustres aîné(e)s, Elyssa/Didon et Amilcar ben Hannon, dans l’indispensable sacrifice « royal ». Ce revers, par ailleurs, incite Carthage, d’après Diodore de Sicile (XIV, 77, 4-5), à introduire par décret le culte grec de Déméter et Koré : il pensait ainsi atténuer la colère de ces divinités offensées en Sicile par l’armée d’Imilco ben Hannon. En réalité, il s’agissait là d’un acte politique destiné à satisfaire des intérêts étatiques immédiats.

Cette défaite des Puniques, mais aussi l’abandon de leurs troupes en Sicile, encouragent les Libyens à tenter de secouer le joug carthaginois en Afrique. Une armée constituée d’hommes libres et d’esclaves se constitue alors et s’installe, après quelques succès, à Tynès, à quelque 15 kilomètres de la métropole africaine. Magon le Navarque réussit néanmoins à écarter la menace, en soudoyant certains meneurs et en profitant de la diversité ethnique et de l’inexpérience de cette armée de fortune. En Sicile, cependant, la situation n’est pas compromise malgré le désastre subit devant Syracuse. Denys, après s’être emparé de Solonte et d’Enna, échoue vers 393 face aux Sicules de Tauroménium, et cette défaite entraîne la défection des Messiniens et des Agrigentins. Magon le Navarque, le vainqueur de Leptine à Catane, a, de son côté, repris les choses en main et réussit à jouer des inimitiés suscitées par Denys en Sicile. Après s’être allié aux Sicules, il marche contre Messine, tout en déclamant le thème de la liberté des cités grecques, probablement sur le modèle de ce qui se fait alors dans l’Ionie grecque, sous l’impulsion notamment de Lysandre. Il avait pu mesurer l’efficacité de cette propagande initiée en Sicile par Denys lors du conflit précédent. Magon a d’autant plus de raisons d’user de cette redoutable arme diplomatique que la politique agressive et conquérante de Denys contre de nombreux Etats grecs de Sicile et d’Italie avait suscité un grand ressentiment dans le monde hellène, structuré par les témoignages de celui qui fut son hôte et son prisonnier, le philosophe Platon. Le nom du tyran syracusain est même hué lors des Jeux olympiques de 384, et Denys comparé au roi perse ! Une première rencontre entre Magon et Denys a lieu à Abacenum ; les troupes puniques sont alors repoussées par les Syracusains. Ce répit permet à Denys de tenter sa chance contre Rhegium. En vain. L’année suivante, en 392, Magon renouvelle sa campagne diplomatique et réussit à s’adjoindre le soutien de nombreuses cités grecques de Sicile, mais aussi d’Italie qui s’inquiètent des ambitions syracusaines. Des mercenaires italiotes sont même enrôlés, aux côtés des mercenaires sardes et libyens, dans une nouvelle armée constituée par Magon ; suivi d’une petite flotte de trirèmes, le stratège punique vient établir son camp sur le territoire des Agyrinéens, près du fleuve Chrysas. Denys ne tarde pas à l’y rejoindre à la tête de près de 20 000 soldats. Son alliance avec le tyran d’Agyrion, Agyris, va s’avérer décisive : en plus du ralliement des troupes de la cité sicilienne, le Syracusain va pouvoir non seulement bénéficier des provisions du pays et d’une bonne connaissance du terrain, mais va de plus pouvoir couper les vivres à l’armée punique. De fait, Magon est contraint de signer une paix pour éviter la destruction assurée de son armée. Denys obtient la soumission des Sicules et de la cité de Tauroménium, qu’il fait occuper par ses mercenaires les plus fidèles. De son côté, Carthage ne conserve que la côte orientale et le pays des Elymes et des Sicanes. Le tyran syracusain conforte ainsi sa domination sur une grande partie de la Sicile en même temps qu’il entretient la menace punique, contrepoids indispensable à la pérennité de sa tyrannie.

Les nombreuses tentatives de Denys pour exercer son hégémonie en Sicile orientale, mais aussi en Italie même, ont donc pour effet de liguer contre lui les Grecs de la péninsule. Aussi, les années qui suivent la fin de la guerre contre les Carthaginois voient une lutte acharnée entre Syracuse et les cités grecques d’Italie, particulièrement Crotone, alliée à Rhegium. Finalement, Denys réussit à écraser les Italiotes sur les bords de l’Hélorus et à s’emparer enfin de Rhegium, fort de l’appui de Locres, après un long siège de près d’une année (386). Le tyran vient de soumettre la dernière grande cité chalcidienne de la région, atteignant ainsi un objectif lancé en 403. Ce n’est qu’en 383 qu’il se décide à reprendre la guerre contre les Carthaginois, après avoir constitué une armée, et équipé une flotte, grâce au butin amassé lors du pillage du riche temple d’Agylle, en Tyrrhénie. Il peut compter également sur le concours des Gaulois, qui viennent de submerger le nord de l’Italie et de s’emparer de Rome en 386. C’est là assurément un rude coup porté à l’alliance contractée par Carthage et la confédération étruscolatine : l’action gauloise vient de soulager Denys du front nord. C’est donc le moment idéal pour le tyran syracusain d’affronter les forces puniques en Sicile. Le prétexte est une révolte en Sicile des cités soumises aux Puniques, encouragée évidemment par le tyran de Syracuse. Denys s’empresse alors de contracter alliance avec elles, refusant de fait les demandes de paix carthaginoises. Magon le Navarque – devenu entre-temps suffète à Carthage –, à la tête d’une imposante armée constituée de citoyens et de mercenaires, passe en Sicile et en Italie, perpétuant ainsi l’alliance avec les cités grecques de la péninsule italique. On se trouve ainsi en face d’un conflit élargi, dont les limites dépassent désormais le cadre restreint de la Sicile : une coalition punico-italiote fait maintenant face à une alliance syracuso-gauloise. La stratégie punique, en fait, est claire : élargir le front militaire face à Syracuse. Denys est donc contraint de diviser son armée en deux, l’une contre les Puniques et l’autre contre les Italiotes. S’engage alors une longue guerre d’usure et d’observation. L’offensive du tyran syracusain en Italie nécessite l’envoi d’une expédition punique, qui se signale en 379 par le rétablissement dans leur cité des habitants d’Hipponion, dans le Bruttium, chassés auparavant par Denys. Mais Carthage est contrainte ensuite de gérer un énième soulèvement des Africains : ceux-ci comptent bien profiter de l’épidémie qui ravage alors la cité d’Elyssa ; les Libyens installés en Sardaigne se soulèvent à leur tour, entraînant dans leur sillage les indigènes de l’île. Carthage ne parvient à rétablir la situation qu’avec peine avant de revenir sérieusement en Sicile. Après une série d’escarmouches indécises, il faut attendre 375 pour assister enfin à un engagement de grande ampleur. A Cabala, en Sicile occidentale, le stratège Magon est tué ainsi que, nous affirme Diodore de Sicile, 10 000 de ses soldats, alors que 5 000 autres sont faits prisonniers ; le reste de l’armée réussit à se réfugier sur une colline qui offre une fortification naturelle. La défaite n’est cependant pas consommée puisque, dépassant les exigences inacceptables de Denys pour traiter, les Carthaginois parviennent à une trêve : feignant de prendre au sérieux les conditions de paix syracusaines, qui exigent le retrait punique des villes siciliennes et le remboursement des frais de guerre, les commandants carthaginois demandent un délai pour en discuter avec le sénat, délai qui finit par devenir une trêve. Entre-temps, et après avoir rendu les honneurs à la dépouille de leur stratège Magon par de somptueuses funérailles, les Carthaginois investissent son fils, le jeune Imilcon, des pleins pouvoirs militaires. Imilcon ben Magon se distingue aussitôt par un courage et une activité à la mesure de la délicate situation dans laquelle se trouve la position carthaginoise sur l’île. Il consacre le temps de la trêve à préparer les troupes puniques au combat, insistant sur la discipline et l’homogénéité des mouvements de corps d’armée à travers des exercices répétés. Et c’est une armée aguerrie qui se présente face aux forces syracusaines au terme de la trêve. L’affrontement décisif a lieu près du cap Kronion, non loin de Panormos, probablement vers 374-373. Les troupes de Denys sont cette fois-ci balayées par l’armée d’Imilcon ben Magon : la déroute de l’aile gauche, commandée par le propre frère du tyran, Leptine, précipite la débandade de la troupe d’élite de Denys située au centre. Quatorze mille Grecs périssent, ainsi que leur général Leptine. La victoire carthaginoise au cap Kronion se révèle autrement plus décisive que le succès syracusain à Cabala, car elle aboutit à un traité de paix en bonne et due forme. Signé vers 373, sous la direction, côté syracusain, de Dion, beau-frère et diplomate attitré de Denys l’Ancien, ce traité permet aux Carthaginois de fixer la limite de leur domaine sicilien jusqu’au fleuve Halycos, englobant ainsi la ville et le territoire de Sélinonte, ainsi qu’une partie du territoire agrigentin située à l’ouest du fleuve. Mille talents de dédommagement sont en outre exigés, aveu de la défaite finale du tyran de Syracuse.

Hannon le Grand et la consolidation de l’épikrateia punique en Sicile

Cette accentuation de la mainmise punique en Sicile occidentale n’est évidemment pas faite pour calmer la situation dans l’île. Denys met un peu plus de cinq ans avant de reprendre les armes contre les Puniques, profitant de troubles en Afrique et en Sardaigne liés aux ravages causés encore une fois par les épidémies sur le continent et les révoltes des autochtones (Diodore, XV, 24, 2-4). Prétextant d’obscures incursions puniques au-delà du fleuve Halycos, Denys, après d’intenses préparatifs militaires, engage en territoire ennemi une armée de 30 000 fantassins et de 3 000 cavaliers appuyée par une flotte de 300 trirèmes. Après une foudroyante campagne, qui voit le tyran syracusain s’emparer sans coup férir de Sélinonte, d’Entella et d’Eryx en 368-367, le cours des événements s’inverse. Echouant devant Lilybée (Marsala), devenue le centre stratégique punique après le déclin de Motyé, Denys voit près de la moitié de ses meilleurs bâtiments décimée devant le port d’Eryx en 367 par l’attaque inopinée d’une flotte punique de 200 trirèmes dirigée par le futur Hannon le Grand. Le tyran syracusain, mal informé, pensait que cette flotte avait été détruite après un incendie lors du siège de Lilybée et avait par conséquent renvoyé à Syracuse plus de la moitié de sa flotte initiale. C’est en entrant, confiant, dans le port d’Eryx qu’il se fit surprendre. Denys ne survit pas longtemps à ce désastre et, après la conclusion d’une trêve avec les Puniques, il meurt à Syracuse la même année, sans avoir eu le temps de signer la paix avec ses ennemis héréditaires. Cette trêve est reconduite par son fils et successeur Denys le Jeune, qui choisit toutefois de reprendre la guerre contre Carthage malgré les tentatives de négociation de l’énergique Dion. Sans succès. Un pacte stratégique entre Carthage et Thèbes, alors au sommet de sa puissance en Grèce, avait en effet permis d’annihiler toute aide importante venant des alliés grecs de Syracuse, Athènes et Sparte, dominées militairement par la cité d’Epaminondas : la flotte constituée par ce dernier dès 364, sans doute grâce à l’aide carthaginoise, perturbait l’hégémonie maritime d’Athènes5. Hannon le Grand perpétue ainsi, avec succès, la stratégie d’envergure qui n’avait pu totalement aboutir sous la direction de son initiateur Magon le Navarque.

Denys le Jeune est donc contraint de signer un traité de paix vers 362, lequel reprend dans ses grandes lignes les clauses de celui de 373. Le nouveau tyran de Syracuse avait, du reste, consacré une grande partie de sa vie à consolider son pouvoir ou à tenter de reprendre son sceptre, notamment face aux prétentions de Dion, qui gouverne la cité entre 356 à 354. Dion a entretenu des liens soutenus avec des responsables carthaginois du temps où il fut envoyé en ambassade par Denys l’Ancien. C’est la raison pour laquelle il choisit, à son retour d’exil, de débarquer à Héracléa Minoa, en territoire punique, où il entrepose ses armes avant de partir à la conquête du pouvoir à Syracuse. D’autres prétendants, tel Callipe, arriveront provisoirement au pouvoir suprême dans des conditions tumultueuses. Cette instabilité politique dura encore une dizaine d’années, avant que les Syracusains ne se décident à réclamer un chef capable de stabiliser la cité. Et c’est vers sa parente Corinthe que se tourneront les doléances des Siciliens. Le choix se portera sur le noble Timoléon, d’abord pour ses compétences, mais aussi pour lui éviter une accusation de fratricide, à peine atténuée par le mérite d’un acte tyrannicide. Dépêché à Syracuse, où Denys le Jeune avait entre-temps repris le pouvoir en 346, le stratège grec finit par chasser définitivement le tyran de Syracuse en 343. Nous y reviendrons.