SIXIÈME PARTIE
1. Tite-Live, XXV, 40, 5. D’une manière générale, l’origine libyphénicienne de Muttinès le rapproche singulièrement de l’obédience barcide dans la mesure où cette grande famille aristocratique disposait de vastes domaines en Byzacène, qui apparaît dans les textes gréco-latins comme un foyer ethnique de cette population.
2. Si Xénophon, L’Hipparque ou le Commandant de la cavalerie, V, 13, déjà, amorce d’importantes réformes au profit de la cavalerie, ce sont surtout les rois de Macédoine, Philippe et son fils Alexandre le Grand, qui vont autonomiser et renforcer le rôle de la cavalerie : à Chéronée (338) et au Granique (334), c’est la charge décisive de la cavalerie conduite par Alexandre le Grand qui, à chaque fois, décide de l’issue de la bataille, P. Ducrey, 1999², p. 78-80 et 84.
3. A ce propos, l’onomastique de l’éléphant que montait Hannibal Barca, Syros, « le Syrien », trahit incontestablement la provenance séleucide de cet animal. Il est également significatif que Syros ait été le seul éléphant à avoir survécu à l’hiver italien, montrant ainsi qu’il était plus résistant et plus grand que les autres. C’est d’ailleurs du haut de ce pachyderme qu’Hannibal réalisera la pénible traversée des marais étrusques en 217.
4. Tite-Live, XXI, 44, 3.
1. Hannibal disposait d’hoplites dans son armée, Polybe, III, 53, 1, et il apparaît bien qu’il ait dans un premier temps, au moins à la Trébie, disposé son armée en phalange : chez Polybe, III, 2, 72, le centre punique est disposé sur « une ligne droite continue ».
2. Les effectifs d’une légion comptent, pour la circonstance, 1 000 fantassins et 100 cavaliers supplémentaires. Si l’on considère qu’une légion en temps normal comprend 4 000 fantassins et 200 cavaliers – Polybe, IV, 25, avance même le chiffre de 300 cavaliers –, ses effectifs s’élèveraient donc en temps de crise à 5 000 fantassins et 300 à 400 cavaliers, les 8 légions réunies totalisant donc 40 000 fantassins et des forces montées comprises entre 2 400 et 3 200 cavaliers, auxquels il faut ajouter les 1 000 archers et frondeurs fournis par Hiéron II de Sicile.
3. Polybe et à sa suite Tite-Live s’évertuent à attribuer à Varron la responsabilité de l’engagement de la bataille de Cannes le 2 août 216. Or, les faits relatés ne concordent pas avec la logique. D’abord parce que la plaine, sur les bords de l’Aufide, offre toutes les garanties de sécurité à l’armée romaine face aux embuscades d’Hannibal : elle pourra, au contraire, y optimiser sa supériorité numérique sur tous les plans. Ensuite parce que le jour de la bataille, Paul Emile est à la tête de la cavalerie romaine, alors que Varron commande les forces montées alliées, un poste moins prestigieux et moins honorifique : ce qui signifie que le jour de la bataille, c’est à Paul Emile – et non Varron – que revient le commandement des opérations, Seibert, 1993, conformément à la pratique de l’alternance au plus haut sommet de l’état-major romain. D’autant que Paul Emile refuse de quitter le champ de bataille alors que la cause romaine y était déjà fortement compromise, à l’inverse de Varron dont la fuite n’est pas réprimandée au sénat et qui continuera après le désastre de Cannes à occuper des fonctions militaires. Cette distorsion de la réalité s’explique par le lien qui unit l’historien qui relate les faits, Polybe, et la famille des Aemilia. Polybe est proche du cercle des Scipions, notamment de Scipion Emilien qui se trouve être le petit-fils du consul Paul Emile. En le dédouanant de la responsabilité du désastre de Cannes, l’historien apporte sa contribution au prestige de la famille qu’il sert. Il a d’autant moins de scrupules à le faire que Varron est présenté comme prétentieux et démagogue, ambitieux et impulsif, alors que Paul Emile incarne au contraire la prudence et la sagesse. Tite-Live reprend à son compte la version polybienne et en profite pour régler son compte à Varron, le « fils du boucher », qui incarne à ses yeux le symbole des prétentions politiques plébéiennes honnies.
1. Le parti pris propunique de l’œuvre de Philinos a souvent été épinglé par Polybe, I, 14, 1-9 ; I 15, 1 sq. et III, 26, 3-4. L’historien, I, 14, 8, critique notamment « la mentalité et les sympathies de Philinos (qui) lui font trouver toutes les actions des Carthaginois judicieuses, admirables, héroïques, et celles des Romains toutes contraires ». Polybe, afin d’éviter la responsabilité de la guerre aux Romains, développe une thèse opposée, affirmant qu’aucun des traités ne stipule une quelconque logique de prépondérance territoriale, P. Pédech, 1964, p. 188-189. Voir également M. Chassignet, 1996, Frgt 27, p. 51. Des écrits de Silénos, liés à la seconde guerre punique, seuls quelques passages ont pu être repérés à travers la littérature classique, du songe d’Hannibal aux passages ayant pour thème Héraclès, Pline l’Ancien, N. H., IV 120 ; Strabon, III, 5, 7 ; Sol., I, 14-15. D. Briquel, 2000, p. 124, arrive à harmoniser ces fragments en les insérant « dans la perspective d’un rapport étroit et voulu entre le chef punique et le héros vainqueur de monstres » : les exploits d’Hannibal, attestés par un papyrus, FGH, 175, semblent avoir été largement consultés par Coelius Antipater comme le laisse entendre le passage de Cicéron, De la divinitation, I, 24, 29 (« hoc item in Sileni, quem Coelius sequitur »), sur le songe d’Hannibal. D’après Diodore de Sicile, XXVI, 4, 1, Sosylos rédigea une Histoire d’Hannibal en 7 livres ; mais seul, jusqu’à présent, un papyrus narrant la bataille navale de l’Ebre en 217, et maintenant conservé à Würzburg, G. Zecchini, « Ancora sul papiro Würzburg e su Sosilo », in Archiv für Papyrusforschung und verwandte Gebiete, 1997, p. 1061-1067, nous atteste de son œuvre. D’autres auteurs grecs propuniques ne nous sont connus, de nom, qu’à travers de simples passages littéraires, comme ce Chaireas, mentionné par Polybe, III, 20, 5, en même temps que Sosylos, et un certain Xénophon présenté comme étant un historien d’Hannibal, Diog. Laërce, 59 (= FGH 179). Polybe, III, 6, 1 (= FGH 180 F 1), évoque, par ailleurs, des historiens d’Hannibal sans aucun autre détail : ailleurs, Polybe, III, 32, 2-3, parle d’historiens qui se seraient consacrés à chacune des questions que l’auteur grec a en revanche rassemblées en une seule œuvre, des guerres italiques aux guerres macédoniennes en passant par les guerres puniques. Parmi ces historiens, on peut certainement inclure Sosylos ou Chaireas qui ont écrit sur la seconde guerre punique. Athénée, Deipnos., XII, 577a (Phlegon, Mir. 18 = FGH 178), mentionne – et il est le seul – Eumaque de Naples qui aurait été un des historiens d’Hannibal, sans que l’on puisse préciser la chronologie de son œuvre. M. Chassignet, 1996, p. L-LIV ; id., 1998, p. 56 sq. Sur l’assimilation et la transmission de la littérature classique grecque à Rome, E. Fantham, Roman Literary Culture. From Cicero to Apuleius, Londres, 1996.
2. Cornelius Scipion accusa ainsi le stratège punique, avant l’engagement du Tessin, de vouloir se présenter comme l’émule d’Héraclès, Tite-Live, XXI, 41, 7 ; Cornelius Nepos, Hann., III, 4 ; Polybe, III, 47, 8-9, fidèle à sa ligne proromaine, au moment du récit de la traversée des Alpes, se moque des historiens d’Hannibal qui font intervenir des dieux, des fils de dieux ou des héros, faisant une allusion directe au rôle dévolu à Héraclès dans la propagande hannibalienne ; un passage de Tite-Live, qui évoque Bellovèse, s’évertue à atténuer la portée du passage des Alpes par Hannibal en remettant en cause le précédent mythologique constitué lors de la geste d’Héraclès, Tite-Live, V, 34, 6. Une tradition littéraire latine s’évertua même à disputer à Hannibal, via Sagonte, la protection du héros à la massue : la cité ibérique aurait été fondée avec l’aide d’Hercule/Héraclès par des descendants de colons rutules – donc d’origine italique – conduits par Zacynthos, Sil., I, 293 ; 584. Voir également, à ce sujet, Strabon, III, 4, 6 et Appien, Iber. 7, l’homonymie jouant un rôle évident dans la constitution de ce récit. Les cultes religieux jouèrent d’ailleurs un rôle primordial dans la guerre de propagande que se livrèrent Carthage et Rome pendant la seconde guerre punique et dont les faveurs du monde grec constituaient l’enjeu stratégique. C’est dans cette perspective politique et propagandiste qu’il convient d’insérer le dépôt, par Hannibal, du récit de son expédition au temple d’Héra, près de Crotone, au crépuscule de son épopée italienne : G. Brizzi, 1983, p. 245-246. Cicéron, De Div., I, 24, 28, témoigne de l’existence d’autres traditions sur le passage liant Hannibal au trésor du sanctuaire d’Héra. On a même interprété cet épisode comme une tentative de joindre la vieille haine de l’Héra grecque contre les Troyens – qui, on le sait, sont considérés, via Enée et la cité qu’il fonda dans le Latium, Albe la Longue, comme étant à l’origine de la fondation de Rome – à celle de son équivalent punique Aštart-Tinnit contre la cité de Romulus, R. Bloch, « L’alliance étrusco-punique de Pyrgi et la politique religieuse de la République romaine à l’égard de l’Etrurie et de Carthage », actes du Ier congrès int. des étud. phén. et pun. (Rome, 1979), 1983, CNR, p. 399-400. Cette séduisante interprétation aurait ainsi le mérite d’expliquer les nombreux honneurs rendus par les Romains, Tite-Live, XXI, 47, 8-9, aux différentes Junon installées à Rome et dans le Latium par les Etrusques en 396, de peur que cette déesse ne rejoigne son homologue carthaginoise Aštart que le traité de Pyrgi nous a présentée comme étant très liée à la déesse étrusque Uni/Junon, id. L’introduction du culte de la Vénus Erycine à Rome, P. Grimal, 1975², p. 124, procède de la même politique puisqu’elle était destinée, notamment, à s’assurer la fidélité de Ségeste mais également de la Sicile occidentale. Il est évident en tout cas qu’en s’abritant derrière le culte d’Héra Lacinienne, Hannibal était parfaitement conscient de la portée de son acte dans le monde grec.
3. Polybe, VII, 2, 3-5. Les traditions grecques permettaient la transmission de la grécité par le père, M.-F. Baslez, 1984, p. 72 sq. Cette « double citoyenneté politique » d’Hippocrate et Epicyde était rendue possible par l’existence, à cette époque, de la sympolitie qui permettait à un homme de culture hellénistique de concilier sa citoyenneté à la prise en charge d’une fonction ou d’une mission politique au nom d’une autre polis, F. Chamoux, 1981, p. 250 et 287.
4. On retrouve, notamment, cette attitude chez Appien qui en plus d’omettre de relater la prise de Tarente s’évertue à minimiser le châtiment romain réservé à Capoue ; en relativisant la sanction romaine, Appien, VII 43, 186-187, évite une mesure de la défection de la cité grecque : à ce sujet, D. Gaillard, 1998, p. XXXIV. Sur la sympathie de la plèbe pour Hannibal, Tite-Live, XXIII, 7, 9 (Capoue) ; XXIII, 14, 7 (Nola) ; XXIV, 1, 7 (Locres) ; XXIV, 2, 8 (Crotone) ; XXIV, 13, 3 (Tarente).
5. E. J. Bickerman, 1944 (se référer, également, à l’étude de M. L. Barré, 1983), dans un article qui fait toujours autorité, du moins en ce qui concerne la structure du traité, a en effet montré que ce document ne pouvait être qu’une reproduction d’une traduction grecque d’un original rédigé en punique dans la mesure où il contient des formes de construction et des formules caractéristiques des traditions diplomatiques proche-orientales ; R. Weil, 1982, p. 12, reconnaissant l’existence d’un original punique, admet d’ailleurs une douzaine de hiatus à partir de la traduction grecque de ce traité. Il est apparu, d’autre part, que la 3e triade divine mentionnée dans le traité, à savoir Baʽal Hadad (Arès), Baʽal Malagê (Triton) et Baʽal Saphon (Poséidon), est similaire à celle invoquée dans le traité, datant du VIIe siècle, conclu entre le roi de Tyr et Asarhadon (à ce sujet, C. Bonnet, 1988, p. 40 sq., pour le traité tyrien, et p. 179 sq. et 182) ; de manière générale, l’énumération du panthéon des deux parties contractuelles rappelle la formulation des adê assyro-araméens, A. Lemaire et J.-M. Durand, « Les inscriptions araméennes de Sfiré et l’Assyrie de Shamshi-ilu », Hautes Etudes orientales, Paris, 1984, apud A. Lemaire, 1986, p. 221 et note 46. C’est donc bel et bien un traité de structure orientale que nous a fait parvenir Polybe, ce qui confirme, par ailleurs, que c’est une copie écrite par les Puniques qui est parvenue aux mains de l’historien grec ; c’est ce que laisse entendre, en tout cas, l’historique du document. La question a été, dès lors, de savoir à quel traité correspondait le passage que nous a laissé Polybe. A celui du premier traité, en possession des Romains, ou au second ? La logique voulant que Polybe ait eu plus de facilité à accéder aux archives de Rome, où était conservé l’original du premier traité conclu entre Carthage et la Macédoine, plutôt qu’à ceux du royaume de Macédoine, où pouvait se trouver le second traité, semble cependant emporter l’adhésion générale (à ce propos, R. Weil, 1982, p. 12-13. Polybe, XVIII, 33, 3, nous apprend d’ailleurs qu’une partie des archives macédoniennes a été détruite en 197) ; d’autant que le nom de Xénophanès apparaît dans le traité rapporté par Polybe alors qu’il apparaît improbable qu’il puisse avoir représenté le camp macédonien dans le second traité puisqu’il était à ce moment probablement encore prisonnier des Romains.
1. Aurelius Victor, De Caesaribus, 37, 3.
2. La présence de 80 éléphants, qui auraient été disposés le long du front punique, selon Polybe, est invraisemblable, puisqu’on ne voit pas leurs traces lors des batailles engagées contre P. Scipion en 203. Carthage n’a pu, en si peu de temps, capturer et former des éléphants de guerre. Il est également affirmé chez Polybe que les éléphants, qui n’ont pas été canalisés par les couloirs aménagés au sein même des troupes romaines, se sont retournés contre les troupes puniques et y auraient causé de gros dégâts ; or, l’on sait que les Puniques avaient trouvé la parade à cette situation : à la bataille du Métaure, le cornac éliminait l’éléphant incontrôlable, à l’aide d’un marteau et d’un burin, avant que celui-ci ne devienne dangereux pour le camp punique (Tite-Live, XXVII 49).
3. La cavalerie romaine, lors des batailles de la première moitié du IIe siècle contre les armées hellénistiques, ne prendra jamais le dessus sur son vis-à-vis, M. Roux, 1993, p. 453.
1. On constate, en outre, que l’histoire grecque et celle de l’Afrique sont dès lors irrévocablement liées chez Polybe, P. Pédech, 1964, p. 101. Tite-Live, Liv., XXX, 26 et 33, 5, repris par Frontin, strat., II 3, 16 et Silius Italicus, XVII, 418, évoque néanmoins l’envoi en 203 d’une unité macédonienne de 4 000 hommes : placée sous le commandement d’un certain Sôpatros, cette unité aurait participé à la bataille de Zama. Mais quel crédit accorder à ce passage alors que l’on sait qu’en 203 Rome avait déjà pris un avantage décisif dans son conflit avec Carthage ? Philippe V de Macédoine aurait-il pris le risque de s’aliéner Rome à une époque où il avait déjà fort à faire en Grèce continentale ? D’autant que le souverain avait auparavant conclu un traité avec l’Urbs à Phoinikè (205). Rien n’empêche toutefois d’émettre l’hypothèse que cette troupe se soit mise au service de la métropole punique sous les ordres d’un condottiere avant l’établissement de ce traité. En réalité, il se pourrait bien que l’on soit là en présence d’un épisode que l’annalistique romaine aurait gonflé dans le cadre de sa politique de propagande en faveur de la guerre contre Philippe V de Macédoine, T. A. Dorey, 1957. Reprenant à leur compte les craintes formulées par les Grecs à la suite du traité de Phoinikè, Tite-Live, XXX, 26, 2-4, les partisans de la guerre, à Rome, se seraient laissé persuader de la duplicité du souverain macédonien dans cette affaire, Tite-Live, XXX, 42, 4, porte-parole, en fait, de cette propagande, raconte comment fut dénoncée l’ambassade venue réclamer la libération de Sôpater et des mercenaires macédoniens faits prisonniers, arguant en ce sens que le condottiere était parent de Philippe V de Macédoine. En ce qui nous concerne ici, cette troupe macédonienne devait être, dans le meilleur des cas, suffisamment insignifiante pour qu’elle ne soit pas évoquée par Polybe au moment de décrire le dispositif punique à Zama.
2. Polybe, XV, 22, 3 ; XVI, 34, 5.
3. La contribution d’intellectuels phénico-puniques à la philosophie grecque a certainement joué dans l’orientation de l’opinion publique grecque. Les écrits de Zénon et d’Asdrubal/Kleithomachos ont certainement appuyé la cause punique.
4. Le chantre de l’hellénisme lui-même, Isocrate, A Nicoclès et Philippe, n’a t-il pas considéré Nicoclès de Chypre comme l’idéal de l’homme d’Etat et du conquérant le plus apte à organiser l’union et la défense du monde grec, avant de se tourner vers cet autre demi-barbare qu’était Philippe II de Macédoine. Denys l’Ancien fut lui-même, un temps, envisagé pour tenir ce rôle, à ce propos, G. Mathieu, 1966, p. 101 sq. Cet esprit survivra encore longtemps puisque plus tard, au Ier siècle, un autre barbare hellénisé, Mithridate, roi du Pont, s’érigera de son propre chef en défenseur de l’hellénisme face à l’hégémonie romaine. Sur la définition du Grec, Isocr., Pan., 50.
5. Isocrate, R. Merkelbach, Griechische Papyri der Hamburger Stoats und, Univesity Bibliothek, Hambourg, J. J. Augustin, Papyrus Hant, 29, p. 51-73.
6. S. Mazzarino, 1966, p. 155-160, a d’ailleurs vu, à travers l’expédition du roi asiatique narrée par le texte d’Antisthène, un écho au plan conçu par Hannibal depuis sa retraite bithynéenne, à un moment où Rhodes, en froid avec Rome, envisage la possibilité d’une vaste alliance hellénistique antiromaine. D’autre part, le pamphlet cité plus haut légitime, dans une certaine mesure, la place attribuée au Punique dans le texte d’Antisthène, pour illustrer, dans le monde grec, l’espéré fléau des Romains. De plus, l’inimitié des Grecs envers la puissance séleucide ne permet pas de retenir l’hypothèse représentée par Antiochos III. Enfin, le qualificatif royal appliqué à Hannibal semble émaner d’une tradition littéraire grecque que l’on retrouve encore au VIe siècle ap. J.-C. dans l’œuvre de Jean Malala d’Antioche, G. Brizzi, 1986, particulièrement p. 130-131. Dans un passage assez décousu de l’auteur byzantin, Chronique, VIII, 209-210 – dans lequel il raconte la coalition antiromaine réalisée entre Hannibal et Antiochos –, le Punique est présenté comme rex afrorum. Sur une remise en cause de l’option hannibalienne, F. Martelli, « In marginne ad un Grammento di Antisthène : FGrHist, 257 F 36 », RS 8, 1979, p. 123-132.
7. On sait en effet que Scipion Nasica, gendre de l’Africain, opposa à la volonté catonienne de détruire Carthage la nécessité, au contraire, de maintenir un metus hostilis suffisamment crédible pour empêcher un ramollissement du dynamisme romain, Diodore, XXXIV, 33, 4 ; Appien, Lib., 69, 315 ; Plut., Cat., 27, 1-2. On rappellera d’ailleurs que Scipion l’Africain lui-même s’était opposé à la traque d’Hannibal. Il est particulièrement révélateur, à ce propos, que cette ligne d’opposition se soit greffée autour du clan des Scipions connu pour son penchant pour l’hellénisme, P. Grimal, 1975, et partisan d’une politique modérée à l’égard de Carthage. L’attitude de cette aile modérée du sénat romain était moins guidée par un philopunicisme que par un souci de préserver l’image politique de l’Urbs aux yeux de l’opinion grecque ; c’est d’ailleurs le même groupe politique qui fit traduire le traité agronomique de Magon en 146 alors que le vieux sénateur, décédé depuis trois ans, avait déjà composé une œuvre sur le même thème, probablement pour manifester une opposition posthume à la politique menée par l’irréductible sénateur, J. Heurgon, 1976, p. 447-451.
8. Cf. Y. Le Bohec, 1996, p. 179-281. Sur les rapports entretenus entre Puniques et Numides et, accessoirement, sur le rôle joué par la civilisation punique dans l’hellénisation de la Numidie, G. Camps, 1979. Sur l’existence d’un parti numide à Carthage, Ap., Lib., LXVIII, 304-305. Ces rapports pouvaient également compter sur des alliances matrimoniales entre la haute aristocratie carthaginoise et la dynastie régnante numide : une nièce d’Hannibal a été l’épouse d’Oezalcès et de Mazaetulle, Liv., XXIX, 29, 11. On rappellera également le danger, pour Rome, constitué par le mariage entre Sophonisbe et Syphax, Pol., XIV, 7, 6 ; Liv., XXIX, 23.
9. Sur les manifestations hellénistiques de la culture numide à travers l’architecture funéraire, F. Rakob, 1983a, et F. Coarelli, Y. Thébert, 1988 ; à travers la numismatique, J. Alexandropoulos, 2000. On sait d’autre part que le fils de Massinissa, Mastanabal, concourra aux Panathénées, IG, II², 2316 (l. 41-44). Sur le plan politique, on sait, à travers Athénée, Deipnos., VI, 15 (229 d), que Ptolémée VIII, qui ne gouvernait alors que la Cyrènaïque, fut accueilli à Cirta par Massinissa aux alentours de 160/155. Sur les exportations de blé numide vers Délos, lesquelles furent commémorées par l’érection d’un monument en l’honneur de la famille royale numide, M.-F. Baslez, 1981.
1. V. R. Grace, 1956, p. 89, fig. 6, no 2-3 (amphores de type Ramon T-7. 2. 1. 1 = type Cintas 312/313) et pl. XII, 9-11 (timbres de type Ramon 1-A3) ; J. Ramon Torres, 1995, p. 147 et p. 205-206 et fig. 172-173.
2. Il est difficile d’attribuer à ces deux formes un atelier précis. La première est traditionnellement attribuée à la production de l’Orient grec : les lampes s’élargissant aux extrémités caractérisent les lampes dites cnidiennes, P. Bruneau, 1965, p. 33-37. La seconde forme pose plus de problèmes dans la mesure où elle est attestée sur plusieurs sites en Sicile et en Grèce : à Athènes, R. H. Howard, 1958, p. 211 sq. et pl. 58 ; à Délos, P. Bruneau, 1965, p. 41 sq., pl. 20-21. La lampe représentant les Eros affrontés se retrouve, néanmoins, en série à Athènes, R. H. Howard, 1958, pl. 55, fig. 2 et 4, et à Délos, P. Bruneau, 1965, chap. X, p. 87-88, no 4144-4201, pl. 21, au IIe siècle, ce qui tendrait à ramener l’atelier de ces lampes vers l’Orient grec ; l’une d’entre elles, à son tour, semble clairement d’importation grecque, comme le montre la marque en relief en caractères grecs qu’elle porte, R. P., J. Delattre, 1906, p. 36, fig. 85.
3. E. Pottier, Vases hellénistiques à fond blanc, Mon. Piot, XX, 1912, p. 163-179, pl. XI-XII., p. 174 sq. Sur la fréquence des guirlandes et des motifs à festons sur les vases d’Hadra, G. Leroux, Lagynos. Recherches sur la céramique et l’art ornemental hellenistique, 1913, p. 96-97. Ce type de vase est également attesté à Lilybée, Kokalos XXII-XXIII, 1976-77, p. 774, pl. CLXXX, fig. 2, cité par A. M. Bisi, 1984, note 42, p. 838.
4. Outre à Eleusis, Daremberg-Saglio, 1954 (voir Cérès), p. 1073, on le rencontre à Taras, en Cyrénaïque, R. A. Higgins, 1954, fig. 1276, p. 176, mais aussi en Sicile, à Agrigente, M. Sguaitamatti, 1984, no 115, pl. 32 et no 143 et 145, pl. 41. Concernant l’exemplaire d’Eleusis, sans voile de conque entourant le buste, c’est un bacchos qui est associé à une torche, d’après S. Mollard-Besques, 1954, no C 20, p. 85.
5. Cet encensoir, dans lequel les matières consumées étaient placées sur la partie supérieure de la cuvette, est rarement attesté dans le monde grec : sur l’usage du kernos dans le culte éleusinien, voir P. Cintas, 1950, p. 534 sq. : le kernos était porté sur la tête et recevait les prémices des fruits du sol. L’utilisation devait en être différente : les Grecs l’utilisaient comme un kernos dans lequel étaient consumés les prémices des fruits du sol. D’après Athénée, Deipnos., XI, 478c, dans le texte de Polémon, le kernos est un ustensile en argile dans lequel sont disposées un certain nombre de cupules accolées les unes aux autres servant à contenir toutes sortes de matières consommables (froment, orge, pois, lentilles, miel, huile, vin, lait, etc.). Les Puniques l’utilisaient comme brûle-parfums, A. M. Bisi, 1966, p. 48-49.
6. J.-P. Thuillier, « L’habitat punique tardif à Carthage », Cahiers des Etud. Anc., 19, 1986, p. 105. Ce dernier explique l’absence de cour à péristyle dans les habitations du quartier Hannibal, sur la colline dite de Byrsa, J. Chamonard, 1922, p. 114 sq. par l’exiguïté de ces maisons, hypothèse d’autant plus probable que c’est un cas de figure que l’on rencontre dans les maisons de Délos présentant des mesures équivalentes à celles de la colline de Byrsa, J. Chamonard, 1992, p. 144 sq. L’auteur précise même que ce cas de figure est majoritaire à Délos. Il est particulièrement intéressant de remarquer, à ce propos, que la cour à trois portiques est absente des plans initiaux des maisons déliennes, les rares cas recensés dans l’île étant, en fait, issus de péristyles réduits, J. Chamonard, 1922, p. 159. Les quelques cas de péristyles considérés comme complets recensés dans la sphère hellène le sont surtout en Sicile : ainsi, une riche et luxueuse maison découverte à Mégara Hybléa, et abusivement dénommée « maison à péristyle », R. Martin et G. Vallet, 1980, p. 344, avec plan, ne présente de portique que sur trois côtés, G. Vallet, F. Villard et P. Auberson, 1983, p. 46-47 et note, fig. 34. De même, les pseudo-péristyles de la maison dite « de l’Officiel » à Morgantina, qui est datée du milieu du IIIe siècle, ne comportent de portiques que sur trois côtés, celui de la moitié sud étant collé au mur est de la maison, R. Martin et G. Vallet, 1980, fig. 38, p. 345.
7. De manière générale, comparer les profils moulurés de Carthage et d’Utique avec les profils de moulures grecques présentés par L. T. Shoe, 1952, pl. XIV, 2-9 : A. Laidlaw constate, en effet, des similitudes avec des techniques en cours en Campanie, à Pompéi, 1997, p. 218, notes 10 et 11, fig. 11 et 12, notamment dans la façon d’encastrer séparément des pétales de fleurs moulurés dans des trous – percés à intervalles réguliers – dans la plaque du décor appartenant au profil en Lesbian cymatium, A. Laidlaw, 1997, no 24, p. 227, fig. 22, pl. 135f. J. Ferron et M. Pinard, 1960-1961, notes 1 et 2, p. 128, rapprochent certains stucs peints et moulurés découverts sur le site de Byrsa avec ceux de Délos, J. Chamonard, 1906, p. 525-527 ; pour la Sicile, il n’y a qu’à parcourir les planches réunies par W. von Sydow, 1979, pl. 43-46, sur les fragments stuqués de Sicile, plus précisément ceux de Marsala-Lilybée, pour constater une certaine analogie avec nos exemplaires. De manière plus large, les oves et les denticules moulurés d’Utique et de Carthage présentent des types en usage dans toute la koinè hellénistique, N. Ferchiou, 1995, p. 64-69, notes 15-16 et fig. 19-25. En ce qui concerne les profils en Lesbian cymatium de certaines corniches puniques, ils trouvent sans peine leurs correspondants hellénistiques en Sicile, notamment à Solonte, W. von Sydow, 1979, no 29, p. 203-204, fig. p. 203, pl. 46, 5 ; id., p. 230, pl. 48, 4. Quant aux corniches stuquées peintes, A. Laidlaw, 1997, no 9, p. 226, beaucoup moins fréquentes que celles moulurées, c’est en Sicile que se retrouvent les exemplaires les plus proches : H. Benichou-Safar, 1982, p. 164, note 504, propose un décor architectonique découvert à Camarina, alors que W. von Sydow, 1979, p. 197, fig. 22, cite un profil en lesbian cymatium peint de Marsala. Leur composition ressemble aussi à celle relevée dans la maison de Dionysos à Délos, J. Chamonard, 1906, p. 524.
8. N. Ferchiou, 1989, p. 443, comparant les exemplaires puniques avec ceux de l’aire hellène, constate d’ailleurs que la forme fleurie des rais de cœur de nos profils en lesbian cymatium, si elle émane bien de canons magnogrecs, n’en demeure pas moins caractéristique du répertoire punique par la nervure axiale « accentuée par une bordure qui ourle les entailles » ; A. Laidlaw, 1997, no 24, fig. 22, pl. 135f, III, 1 et p. 221, va jusqu’à attribuer à l’atelier punique un profil en lesbian cymatium, pl. LXIII, 2, i : elle rapproche d’ailleurs la séquence en fleurs blanches située dans des trous sur fond bleu à un exemplaire de Lilybée.
9. La valeur décorative des pavements puniques est notamment illustrée par un large panel de couleurs utilisées dans la composition des sols résultant d’un « jeu très large des variations chromatiques », S. Lancel, 1985. Cependant, le rouge reste toujours la couleur dominante dans ces pavements puniques polychromes et en cela « dovevano essere parte integrante dell’originario linguaggio artistico nelle sue espressioni figurative e decorative di antica tradizione orientale », G. Pisano, « La pittura e il colore nell’Occidente punico… », in G. Pisano (éd.), Nuove Ricerche Puniche in Sardegna, 1996, p. 138. La diversité des compositions proposées par les sols puniques démontre non seulement une réelle volonté décorative, mais « autorise également à examiner ces pavements dans une perspective fonctionnelle » permettant ainsi de définir « les distributions et les finalités des différents composants » de la structure habitative punique, S. Lancel, 1985, p. 157.
10. A. Mezzolani, 1999, p. 107, précise qu’à Kerkouane « les signes apotropaïques et des lignes continues de tesselles blanches ou de différentes couleurs signalent le seuil ». C’est le cas pour le pavement du seuil du vestiaire d’une salle à Kerkouane, dont la recherche décorative est indiquée par une alternance de tesselles blanches et rougeâtres ; on a également le fond d’une baignoire, présentant deux parties pavées distinctes séparées par une ligne de décoration dans laquelle alternent de remarquables tesselles blanches et verdâtres, alors que les signes apotropaïques de Kerkouane, réalisés en opus tessellatum, sont invariablement situés au niveau du seuil d’entrée.
1. L’influence qu’exerça la culture classique en Grande-Grèce, en Sicile et surtout à Alexandrie se manifesta, en effet, par le développement d’une culture plus en harmonie avec l’homme dans toute son individualité.
2. La fonctionnalité de la personnalité d’Ešmoun est en mesure, en effet, de permettre au pouvoir en place à Carthage de canaliser les aspirations et les inquiétudes populaires concernant le bien-être physique et le devenir dans l’au-delà : par son caractère iatique, guérisseur, cette divinité arrive, plus que toute autre, à établir une relation privilégiée, individuelle avec le dévot, outrepassant ainsi le cadre fonctionnel de la divinité polythéiste. Ainsi, le caractère rassembleur, fédérateur du facteur thérapeutique permet la régulation de la dévotion privée et donc le renforcement du contrôle étatique.
3. Justin, XX, 5, 13.
4. Un colloque, qui s’est tenu à Toulouse (avril 2004) sur le thème « L’hellénisation en Méditerranée occidentale au temps des guerres puniques (260-180 av. J.-C.) », S. Péré Noguès, P. François et P. Moret, 2006, a abordé le sujet.