— Tous mes serviteurs m'ont abandonné et je ne puis vous offrir ni à boire ni à manger. J'espère que vous me pardonnerez car je suis ordinairement un homme hospitalier.
Blade s'accroupit devant l'entrée.
— Vous savez mon nom. Comment se fait-il?
L'homme rit et se laissa retomber sur la paille.
— Il n'y a là aucune magie, sir Blade. A Cath et en Monglande tout le monde connaît votre nom. Nous avons entendu parler de vous bien avant que vous soyez fait prisonnier. Et lorsque vous avez tenu tête à Sadda et au couteau, votre célébrité n'a fait que croître. Ce n'est pas bon, naturellement, car à la fin il faudra payer.
Son instinct souffla à Blade de se fier à cet homme sans jambes, du moins dans une certaine mesure; son humour acide avait quelque chose de sympathique. Blade entra et s'assit sur la paille.
— Pour un homme célèbre, je ne suis pas aussi bien nourri et logé que je le voudrais.
L'homme rit encore et se redressa péniblement pour s'asseoir.
— Soyez reconnaissant, sir Blade. Vous êtes vivant. C'est déjà un miracle. Et il paraît que vous avez attiré l'attention de Sadda, ce qui pourra faire votre bonne fortune, pour un moment du moins... si vous êtes suffisamment homme au lit.
Blade gratta sa barbe embroussaillée qui le démangeait perpétuellement et considéra ce singulier compagnon de captivité. Le visage aquilin, la couleur de la peau avaient quelque chose de familier qu'il ne tarda pas à reconnaître. Cet homme ressemblait vaguement à Rahstum. Ce n'était sûrement pas un Mong.
L'infirme avait soumis Blade au même examen. Ses yeux, comme ceux du capitaine, étaient d'un gris pâle. Soudain il tendit une main.
— Je m'appelle Baber. Comme vous l'avez deviné, je ne suis pas un Mong. Je fais partie de la tribu des Caucas. Et vous trouvez que je ressemble à Rahstum, le capitaine?
— Je l'avoue.
— Rahstum est aussi un Cauca. Nous étions tous deux des soldats, sir Blade, et j'étais son commandant. Le croirait-on à me voir à présent?
Blade, qui s'était ennuyé, seul dans sa prison- chariot, fut heureux de cette nouvelle compagnie. Il s'appliqua à apprendre tout ce qu'il pourrait, surtout sur son sort probable. Et Baber ne demandait pas mieux que de parler. Au bout d'un moment, Blade n'eut plus grand-chose à apprendre des intrigues, des inimitiés entre les Mongs, de la lutte entre Sadda et son frère le Khad, qui avaient été amants incestueux autrefois et qui maintenant se haïssaient et complotaient constamment. Il apprit aussi que les soldats murmuraient, qu'ils en avaient assez de cette guerre interminable et des milliers de morts causés par l'idée fixe du Khad fou qui tenait à s'approprier le grand canon de Cath.