Si la guerre survient, la meilleure chose à faire est de rester en vie, renforçant ainsi le nombre des gens sensés.
George Orwell, Archives de la Mnefmothèque.
La masse de Vashon était assez proche dans l’obscurité pour que Brett pût distinguer les lumières de ses parties hautes. Il se trouvait à côté de Scudi aux commandes de l’hydroptère et entendait derrière lui des conversations tenues à voix basse. La plupart des nefclones avaient été déposés dans l’avant-poste parmi les « Capucins verts » médusés et repentants. Le principal problème était maintenant de nourrir toute cette troupe de nouveaux arrivants. Seuls quelques-uns des plus représentatifs étaient restés à bord de l’hydroptère. Parmi eux, le clone appelé Bickel se tenait en ce moment derrière Brett, observant les lumières de Vashon qui scintillaient dans la nuit.
Ce Bickel attirait la curiosité de Brett. Il émanait de lui une aura de puissance et d’autorité. Comme il était massif! Tous ces nefclones avaient une stature de géant. Ce n’était pas cela qui allait faciliter les problèmes de ravitaillement!
Quelqu’un s’approcha de l’avant de la cabine et s’immobilisa derrière Brett à côté du grand clone. La voix de Kareen Ale se fit entendre :
- Il va y avoir pas mal de choses à dire au rapport collectif, quand nous serons arrivés.
Brett entendit Twisp qui toussait à l’arrière de la cabine.
Un rapport collectif? Pourquoi pas, après tout? Certaines procédures anciennes peuvent avoir encore leur utilité.
L’expérience de Twisp entre les tentacules de la gyflotte devait être ajoutée à toutes leurs nouvelles données similaires.
Bien-aimée Scudi Wang…
Brett regarda le profil de Scudi qui se détachait à la lumière pâle du tableau de bord. Dès qu’il pensait à elle, quelque chose lui étreignait la poitrine.
Ma Scudi bien-aimée.
Le double alignement de lumières bleues qui marquait l’entrée du port principal de Vashon venait d’apparaître droit devant eux. Scudi laissa l’hydroptère redescendre sur sa coque.
- Une équipe médicale est prête à s’occuper de Bushka dès notre arrivée, dit-elle. U faudrait le porter tout de suite devant la sortie.
- Je m’en occupe, dit Kareen Ale en s’éloignant.
- C’est la terre ferme qu’on aperçoit derrière l’île? demanda Bickel.
Brett avait sursauté. Les nefclones parlaient si fort!
- C’est bien la terre ferme, déclara Scudi.
- La falaise doit faire au moins deux cents mètres de haut, ajouta Brett en se rappelant que personne d’autre à bord ne pouvait en distinguer les contours dans la nuit.
L’hydroptère se trouvait maintenant à l’abri dans le sein de Vashon. Brett ouvrit le panneau de sécurité de son côté de la cabine et pencha la tête à l’extérieur. Il sentit le vent sur sa figure et vit les contours familiers de ce havre qu’il connaissait si intimement. Et pourtant… il lui semblait qu’il y avait une éternité qu’il n’avait pas revu ces lieux.
Du haut de la cabine, il put suivre en détail les opérations d’accostage. Les Iliens sur le quai accoururent pour fixer les amarres tandis que Scudi coupait les réacteurs et que l’hydroptère s’alignait contre la bordure de grumelle. Il y eut à peine une secousse quand ils se collèrent aux souples organiques. Scudi alluma les lumières de la cabine.
Des visages familiers étaient levés vers Brett. Des visages d’Iliens qu’il avait croisés des milliers de fois. Et la vieille puanteur de Vashon était là elle aussi.
- Pfff! s’écria Bickel. Ça sent mauvais, ici! Brett sentit la main de Scudi sur sa nuque. Elle colla sa bouche à son oreille pour murmurer :
- L’odeur ne me dérange pas, mon chéri.
- Nous assainirons tout ça quand nous irons sur la terre ferme, dit Brett.
Il regarda la falaise qui se découpait dans le ciel noir derrière Vashon. Etait-ce là qu’il s’établirait avec Scudi, ou bien retourneraient-ils sous la mer pour faire surgir d’autres terres semblables à celle-ci?
Une voix lui cria d’en bas :
- C’est bien vous, Brett Norton?
- C’est moi!
- Vos parents vous attendent à la Maison des Arts. Ils ont hâte de vous revoir.
- Voulez-vous leur dire de nous rejoindre à la Coupe des As? lui cria Brett. Je leur présenterai mes amis.
- Doux Jésus! fit à ce moment-là la voix sonore de Bickel derrière lui. Regardez-moi toutes ces difformités! Comment ces gens font-ils pour vivre?
- Ils vivent heureux, lui dit Brett. Il faut en prendre votre parti, nefclone. Pour nous, ces gens sont beaux.
Il se pencha vers Scudi pour lui indiquer qu’il désirait se lever. Ensemble, ils quittèrent leurs sièges et levèrent les yeux vers la silhouette massive qui les dominait.
- Comment m’avez-vous donc appelé? demanda Bickel.
- Nefclone. Tous les humains que Nef a amenés sur Pandore étaient des clones.
- Ouais… fit Bickel en se frottant le menton et en regardant sur le quai la foule assemblée où ceux qui débarquaient dépassaient les Iliens d’une tête au moins… Ouais… répéta-t-il à voix basse. Que Jésus-Christ ait pitié de nous… Quand nous avons créé Nef, nous ne pouvions pas soupçonner que…
Il secoua la tête sans achever sa phrase.
- A votre place, lui dit Brett, je ne parlerais pas ainsi des origines de Nef devant n’importe qui. Il y a certains Vénefrateurs à qui cela risque de ne pas plaire.
- Que ça leur plaise ou pas, je m’en fous, grogna Bickel. Nef a été créée par des hommes comme moi. Notre objectif était de donner conscience à une machine.
- Et quand vous avez… fabriqué cette… conscience, continua Scudi, elle…
- Elle a pris le contrôle. Elle nous a dit qu’elle était notre dieu et que nous devions décider de quelle manière nous allions la vénérer.
- C’est vraiment étrange, murmura Scudi.
- Vous feriez mieux de me croire. Mais quelqu’un ici a-t-il une idée du temps que nous avons passé en hibernation?
- Quelle différence cela peut-il faire? demanda Brett. Vous voilà vivant ici et maintenant et c’est la seule chose qui va compter pour vous.
- Holà! mon garçon! cria la voix de Twisp à l’autre bout de la coursive. Dépêche-toi de venir! Nous t’attendons en bas. U se passe des tas de choses. Les Siréniens patrouillent sous l’eau autour des terres émergées. Ils grillent tous les capucins qu’ils trouvent. Ces sales bêtes voudraient également revenir sur la terre ferme.
- Nous arrivons!
Brett prit Scudi par la main et ils sortirent dans la coursive.
- Vata et Duque ont disparu, leur annonça Twisp. On a retrouvé leur bassin éventré et plus aucune trace d’eux.
Brett était perplexe. Il sentit sa main devenir moite contre celle de Scudi. Encore Gallow? Non… Impossible; Gallow était mort. Des hommes à lui, alors? Il pressa le pas.
Un son rauque monta du quai et se répercuta dans la coursive.
- Qu’est-ce que c’est que ça? demanda Scudi en sursautant.
- Vous n’avez jamais entendu chanter un coq? leur demanda Bickel, qui les suivait.
- C’est une gyflotte qui l’a apporté, leur expliqua Twisp. Ce sont des animaux qu’on appelle des poulets. Ils ressemblent un peu aux couacs.