Les timorés sont des plus dangereux quand ils acquièrent le pouvoir. Ils deviennent démoniaques lorsqu’ils s’aperçoivent du fonctionnement imprévisible de toute cette vie qui les entoure. Voyant les points faibles aussi bien que les points forts, ils ne s’attachent qu’aux faibles.


Inefdits, Les Historiques.


Excepté les mouvements des opérateurs et leurs commentaires occasionnels, tout était parfaitement silencieux ce matin-là dans le poste de commande du Centre de Lancement. Quoi de plus naturel que ce silence, derrière les épaisses parois isolantes du complexe Sirénien, à cent mètres de la surface et de la lumière du jour? Mais cette sensation de distance feutrée emplissait Iz Bushka de malaise. Il savait ses sens assaillis par cet environnement Sirénien, différent de ce que la plupart des Iliens connaissaient, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt sur la source exacte de son trouble. Tout est tellement calme.


Le poids de toute cette eau au-dessus de sa tête ne le gênait pas particulièrement. Il avait appris à surmonter cette crainte-là quand il avait accompli son service civil dans les subas îliens. Non; ce qui le mettait mal à l’aise, c’était plutôt cette attitude de supériorité qu’il observait sans cesse chez les Siréniens qui l’entouraient!

Bushka tourna légèrement la tête à gauche, où les autres opérateurs se tenaient un peu à distance, comme s’ils cherchaient à éviter la compagnie du seul Ilien de l’équipe. GeLaar Gallow s’était penché vers sa voisine, Kareen Ale, et lui demandait :


- Pourquoi a-t-on reporté le lancement?


Ale répondit de sa voix douce et mélodieuse :


- J’ai entendu quelqu’un dire que c’était sur ordre de la Psychiatre-aumônière. Une question de baptême, je crois.


Gallow hocha la tête et une mèche de ses cheveux blonds glissa devant son sourcil droit. Il la repoussa en arrière d’un mouvement automatique. Gallow était de loin le plus bel humain de son sexe que Bushka eût jamais rencontré. Un vrai dieu grec, si les historiques disaient la vérité. En tant qu’historien îlien à ses moments perdus, Bushka faisait confiance aux historiques. La chevelure dorée de Gallow était longue et légèrement ondulée. Ses yeux d’un bleu profond se posaient impérieusement sur tout ce qu’ils rencontraient. Ses dents blanches et bien plantées éclairaient des sourires qui ne dépassaient pas ses lèvres, comme si cette bouche parfaite ne s’ouvrait que pour le bénéfice de ceux qui l’admiraient. Certains disaient qu’il avait été opéré de mains et de pieds palmés, mais il s’agissait peut-être d’insinuations jalouses.

L’attention de Bushka se porta discrètement sur Ale. Le bruit courait que les Siréniens faisaient pression sur elle pour qu’elle s’accouple avec Gallow au nom de l’amélioration de la race. Le visage de cette femme était d’une harmonie exquise, ovale avec des lèvres pleines et des yeux bleus bien espacés. Le nez, légèrement retroussé, avait une arête droite et délicate. Quant à son teint, remarquablement relevé par ses cheveux d’un roux foncé, il était d’une roseur tellement translucide que Bushka imaginait sans mal les crèmes et les onguents dont elle devait avoir besoin quand ses obligations l’appelaient côté surface, sous les rayons impitoyables des deux soleils.

Le Sirénien se tourna vers la grande console centrale, avec ses touches de visualisation graphique et ses écrans géants. L’un de ces écrans montrait la surface de l’océan où se reflétait une lumière brillante. Un autre était centré sur le tube de lancement sous-marin où la sonde-aérostat à hydrogène se préparait à prendre son essor vers la surface pour affronter l’atmosphère turbulente de Pandore. A l’arrière-plan ondulait une mince forêt de varech.

A la droite de Bushka, une triple épaisseur de plazverre révélait également la station de lancement de l’aérostat, entourée de nageurs Siréniens. Certains d’entre eux étaient équipés de prestubes à oxygène, incorporés à leurs combinaisons souples de plongée. D’autres portaient sur le dos le poisson à air organique mis au point par les bio-ingénieurs îliens pour leurs travaux sous-marins de longue durée.


Nous avons été capables de les produire, mais il nous manque l’accès aux espaces où nous pourrions les utiliser.


Bushka aperçut l’endroit où la ventouse d’un poisson à air se collait à l’artère carotide d’un Sirénien tout proche. Il imagina les milliers de flagelles en train de pomper l’oxygène frais dans le flux sanguin du nageur. De temps à autre, l’un des travailleurs équipés d’un poisson à air exhalait du coin de la bouche un chapelet de bulles de gaz carbonique.


Quel effet cela fait de flotter librement dans la mer, en dépendant uniquement d’une relation symbiotique avec un poisson? C’était une pensée chargée d’un dépit typiquement îlien. La biotechnologie îlienne dépassait celle des Siréniens, mais tout ce que le génie îlien produisait de valable était happé par le terrible gouffre des échanges commerciaux.


Et comme j’aimerais, moi aussi, être happé!


Mais il n’y avait aucune chance pour cela. Bushka réprima une pensée jalouse. Il voyait son reflet dans le plaz. La Commission des Formes de Vie n’avait eu aucun mal à l’accepter pour humain. A l’évidence, il se situait dans la gamme plutôt du côté des Siréniens. Mais avec sa stature trapue, ses membres courts, sa tête large aux épais cheveux bruns, ses sourcils broussailleux, son nez aplati et sa bouche trop grande au-dessus d’un menton carré, il était loin des canons représentés par Gallow.

La comparaison faisait mal. Bushka se demandait ce que le grand Sirénien dédaigneux pensait réellement. Pourquoi me regarde-t-il toujours de cette manière narquoise?

Gallow s’était encore rapproché d’Ale, effleurant ses épaules découvertes, riant de quelque chose qu’elle avait dit.

Un regain d’activité se manifestait autour de la station de lancement. De nouvelles lumières illuminaient le tube qui allait guider la sonde dans son voyage vers la surface. Le responsable du lancement à la console de commande annonça :

- Dans quelques minutes.

Bushka soupira. L’expérience ne ressemblait pas à ce qu’il avait attendu… ou bien rêvé.

Il se rabroua intérieurement. Ces fantasmes!

Quand on lui avait annoncé qu’il assisterait comme observateur îlien au lancement de la sonde dans le royaume de Nef, il ne s’était plus tenu de joie. Son premier voyage au cœur de la civilisation sirénienne! Et ses fantasmes avaient éclaté. Peut-être, qui sait? Je trouverai le moyen de me faire accepter par eux, d’échapper à la misérable condition qui m’attend côté surface.

Ses espoirs avaient encore été attisés quand il avait appris que c’était Gallow qui devait le prendre en charge. GeLaar Gallow, directeur des Communications siréniennes, un homme qui avait le pouvoir d’imposer l’intégration d’un Ilien dans leur société. Mais à présent, Gallow semblait l’éviter. Et il n’y avait jamais eu aucun doute quant au dédain avec lequel il le considérait.

Seule Ale l’avait chaleureusement accueilli, mais elle faisait partie du gouvernement Sirénien, c’était une diplomate souvent chargée de missions auprès des Iliens. Bushka avait été surpris de découvrir qu’elle était également docteur en médecine. Le bruit courait qu’elle avait affronté les rigueurs de longues années d’études de médecine dans un geste de rébellion contre sa famille, par tradition vouée au service du gouvernement Sirénien, dans le corps diplomatique en particulier. Apparemment, c’était sa famille qui avait fini par gagner. Ale avait une place solide parmi les puissants. Elle détenait, peut-être, plus de pouvoir que n’importe quel autre membre de la famille. Les sphères siréniennes aussi bien qu’îliennes bourdonnaient de rumeurs récentes selon lesquelles Kareen Ale deviendrait l’une des principales héritières dans la succession de Ryan et Elina Wang. Ale venait d’être nommée tutrice de la fille unique des Wang, Scudi. Personne n’avait encore chiffré cette succession, mais le directeur général de la Sirénienne de Commerce était probablement à sa mort l’homme le plus riche de Pandore. Elina Wang, qui avait survécu de moins d’un an à son mari, n’avait pas eu le temps d’opérer de sérieux changements dans les avoirs de la compagnie. Ainsi avait-elle fait de, Kareen Ale une belle et puissante héritière, qui savait dispenser les mots demandés par toute occasion.


C’est un plaisir de vous savoir parmi nous, Ilien Bushka.


Et comme les mots avaient paru sincères et chaleureux dans sa bouche, alors qu’en réalité elle ne faisait que son travail de diplomate!

Autour de la console centrale, le rythme des opérations s’accélérait. L’écran qui montrait la surface s’illumina brièvement d’une série d’éclairs puis l’image céda la place au visage en gros plan de Simone Rocksack, la Psychiatre-aumônière. Elle parlait de Vashon, à une grande distance de là, côté surface.


- Au nom de Nef, je vous salue à tous et à toutes.


Un ricanement à peine dissimulé échappa à Gallow. Bushka, qui l’observait, nota la réaction de répulsion qu’il avait eue devant la Psyo. Accoutumé aux variations îliennes, Bushka n’avait jamais particulièrement prêté attention au physique de Rocksack. Mais maintenant qu’il la voyait avec les yeux de Gallow, il remarquait la crinière de cheveux argentés qui retombait en éventail de part et d’autre d’une tête parfaitement ronde, les yeux albinos qui saillaient au bout des deux petits promontoires de ses sourcils et la bouche à peine visible, comme une mince fente rouge, sous un repli de chair grise. Son cou épais était relié à sa tête par une pente directe, sans menton.


- Prions, était en train de dire la Psyo. Cette prière que j’ai offerte à Nef il y a seulement quelques instants en présence de Vata, je vais la répéter maintenant. (Elle s’éclaircit la voix.) Nef toute-puissante, qui nous a jetés sur les eaux sans fin de Pandore, accorde-nous la rémission de notre péché originel. Accorde-nous…


Bushka coupa le son à son pupitre. Il avait entendu cette prière, sous des versions différentes, d’innombrables fois. Nul doute que les Siréniens qui étaient dans cette salle ne l’eussent entendue aussi. Ils étaient nerveux devant leurs pupitres et semblaient blasés.


Le péché originel!


Son penchant pour les études historiques avait incité Bushka à mettre en doute certaines traditions. Il s’était aperçu que les Siréniens, lorsqu’ils parlaient de péché originel, faisaient allusion à l’extermination des varechs sentients de Pandore. Leur pénitence consistait à redécouvrir le varech dans leurs propres gènes et à repeupler l’océan de jungles sous-marines aux frondaisons géantes. A cette différence près, toutefois, que le nouveau varech ne serait plus sentient… et qu’il serait entièrement contrôlé par les Siréniens.

Les fanatiques Vénefrateurs de l’île de Guemes, par contre, proclamaient que le péché originel remontait à l’époque où l’humanité avait cessé de Vénefrer sérieusement. Mais les Iliens, pour la plupart, suivaient le dogme de leurs Psyos : le péché originel, c’était la série de biomanipulations instaurée par Jésus Louis, le créateur génial et regretté par certains de toutes les formes d’humanité qui coexistaient aujourd’hui. Louis avait créé les Clones et « modifié certaines caractéristiques de la race pour qu’elle puisse mieux s’adapter aux conditions régnant sur Pandore ».


Bushka secoua la tête tandis que la Psyo sur l’écran poursuivait son morne monologue. Qui réussit le mieux à survivre sur Pandore? se demanda-t-il. De toute évidence, les Siréniens. C’est-à-dire les humains normaux.


De fait, il y avait bien dix fois plus de Siréniens que d’Iliens qui survivaient sur cette planète. C’était une simple question d’espace vital. Sous la mer, à l’abri des caprices atmosphériques de Pandore, le volume habitable était bien supérieur à celui qu’offrait la surface, avec tous ses dangers.


- Dans le royaume de Nef nos prières t’accompagnent, était en train de psalmodier la Psyo. Que la bénédiction de Nef soit sur cette entreprise. Nef sait que nous ne commettons nul blasphème en nous immisçant dans les cieux. Puisse notre geste nous rapprocher de Nef.


Le visage de la Psyo disparut de l’écran pour être remplacé par un gros plan de la station de lancement. Accolés au tube, des accessoires oscillaient sur la gauche au gré d’un lent courant.

Assista la console située à gauche de Bushka, le responsable du lancement annonça :


- Phase verte!


D’après les explications qu’il avait reçues en tant qu’observateur, Bushka comprit que le lancement devenait imminent. Il se tourna vers un autre écran en liaison directe par câble avec une plateforme gyro-stabilisée de la surface. Là-haut, des traces d’écume blanche chevauchaient la crête de puissantes lames de fond. L’œil exercé de Bushka estima la vitesse du vent à quarante cliques. Autant dire le calme plat, pour Pandore. La trajectoire de la sonde serait incurvée quand elle percerait la surface, mais sa force d’ascension serait suffisante et la haute atmosphère, pour une fois, n’était pas entièrement voilée par les nuages que les deux soleils ourlaient d’un halo argenté.

Le responsable du lancement se pencha en avant pour lire un cadran.


- Quarante secondes, dit-il.


Bushka fit pivoter son siège pour mieux observer les instruments et son voisin. On le lui avait présenté sous le nom de Panille le Noir. « Shadow pour mes amis », avait-il fait remarquer lui-même. Pas vraiment en signe d’hostilité personnelle, mais sans doute pour marquer son dépit de spécialiste devant l’introduction d’observateurs dans son domaine de travail sans que sa permission ait été demandée. Avec sa sensibilité de mutant, Bushka avait immédiatement décelé en Panille un porteur de gènes du varech qui pouvait se considérer heureux, selon les critères de Pandore, de n’être pas pour cela entièrement chauve. Panille avait de longs cheveux noirs qu’il portait en natte. « Une tradition de famille », avait-il expliqué à Bushka.

Panille avait un physique indubitablement sirénien normal. Le signe du varech était surtout son teint foncé à la dominante verte caractéristique. Il avait le visage étroit, plutôt osseux, avec des pommettes saillantes et un nez d’aigle. Ses grands yeux bruns brillaient d’une intelligence profonde sous la barre des sourcils. Sa bouche était droite, parallèle aux sourcils, et sa lèvre inférieure était plus charnue que la supérieure. Une profonde fossette fendait un menton étroit et bien dessiné. De stature compacte, Panille possédait la musculature souple des Siréniens habitués à vivre beaucoup sous la mer.

Ce nom de Panille avait naturellement éveillé l’intérêt de l’historien qui était en Bushka. Les ancêtres de cet homme avaient joué un grand rôle dans la survie de l’humanité pendant les Guerres des Clones et après le départ de Nef. C’était un nom célèbre dans toutes les historiques.

- Lancement! dit Panille.

Bushka regarda par le plaz à côté de lui. Le tube de lancement se dressait à perte de vue dans l’eau verte sur un fond de varech dont les tiges brun rouge entrelacées lançaient par intermittence des reflets luisants. Il reporta son attention sur les écrans où il s’attendait à voir quelque chose de spectaculaire. Mais l’image que tous les autres regardaient ne montrait que la lente ascension de l’aérostat à l’intérieur du tube. Des lumières extérieures, sur les parois du tube, marquaient cette ascension. L’enveloppe flasque de l’aérostat se gonflait à mesure qu’elle grimpait, pour devenir finalement une corolle orangée déployée sous la pression de l’hydrogène.


- Et voilà! murmura Ale au moment où la sonde quittait le tube et s’inclinait sous la poussée d’un courant marin, suivie de près par une caméra montée sur un suba Sirénien.


- Essai des moniteurs principaux, dit Panille. L’écran central de la console cessa de diffuser une vue extérieure de l’aérostat pour prendre le relais des appareils emportés par la sonde. L’image qui apparut, à dominante verte, montrait le fond de la mer sous un angle abrupt. On distinguait un plateau rocheux et des champs clairsemés de varech. Tout cela se brouilla bien vite en une masse glauque. Un autre écran en haut et à droite de la console prit le relais de la caméra de surface, installée sur une plate-forme flottante à stabilisation gyroscopique. L’image balaya l’horizon en un arc vertigineux sur la gauche, puis se stabilisa: sur une étendue d’océan à la houle crêtée d’écume.


A la douleur dans sa poitrine, Bushka s’aperçut qu’il était en train de retenir sa respiration en attendant que la sonde vienne crever la surface. Il expira puis respira à fond. Là! Une bulle s’était formée et grossissait sans éclater. Le vent aplatissait le côté visible de l’enveloppe. Elle s’arracha à l’eau puis grimpa rapidement dès que la sonde qu‘elle remorquait fut dégagée. La caméra de surface suivit sa corolle orangée flottant dans un ciel devenu presque entièrement bleu, puis fit un zoom sur la sonde qui se balançait au bout de son câble, encore dégoulinante d’eau que le vent transformait en embruns.

Bushka regarda l’écran central, celui qui transmettait les images captées par la sonde. On voyait l’océan bizarrement aplati, sans aucune impression de ce tumulte houleux d’où pourtant l’aérostat venait d’émerger.


Et c’est tout? se dit Bushka.


Il se sentait profondément déçu. Passant sa main sur sa nuque massive, il y sentit des gouttes de transpiration nerveuse. Observant les autres à la dérobée, il vit qu’ils avaient repris normalement leurs conversations, n’accordant que de brefs regards à leurs écrans ou aux parois de plaz par lesquelles on voyait les ouvriers Siréniens s’affairer déjà pour tout remettre en place après le lancement.

Le dépit et l’envie se disputaient la première place dans les pensées agitées de Bushka. Il regarda la grande console devant laquelle Panille donnait ses instructions à voix basse. Quel étalage de richesse chez ces Siréniens! Bushka songea aux machines organiques rudimentaires dont les Iliens devaient se contenter, à la puanteur des Iles, à leur surpeuplement et à la lutte de tous les instants qui était nécessaire pour survivre et économiser la plus petite quantité d’énergie. Les Iliens s’endettaient pour quelques postes de radio, sonars ou auxiliaires de navigation. Il n’y avait qu’à voir ce poste de commande pour faire la différence! Si jamais un Ilien entrait en possession de telles richesses, il chercherait à les garder secrètes. L’opulence isole l’individu dans une société qui dépend pour sa survie de l’effort commun. Les Iliens pensaient que les machines étaient faites pour être utilisées. Ils reconnaissaient le droit de propriété, mais une machine inutilisée appartenait à celui qui voulait s’en servir, à n’importe quel moment.


- Il y a un vau-l’eau! fit brusquement Gallow. Bushka se mordit la lèvre inférieure. Il savait que les Siréniens appelaient ainsi leurs îles parce qu’elles flottaient librement au gré des courants, sans être guidées. Et les Siréniens n’aimaient pas ce qui n’était pas contrôlé.

- C’est Vashon, déclara Ale.


Bushka hocha la tête. Il avait reconnu son île natale. La métropole organique flottante avait une forme particulière bien connue de tous les habitants. De plus, Vashon était la plus grande de toutes les îles de Pandore.


- Un vau-l’eau, répéta Gallow. J’imagine que la plupart du temps, ils ne savent même pas où ils sont.

- Tu n’es pas très courtois avec notre invité, GeLaar, lui fit remarquer Ale.

- La vérité n’est pas toujours courtoise, répondit Gallow en adressant un sourire vide à Bushka. J’ai remarqué que les Iliens n’ont pas beaucoup d’objectifs dans la vie, qu’ils ne se préoccupent pas tellement d’« arriver quelque part ».


Voyant que Bushka ne répliquait pas, Ale prit sa défense :


- Les Iliens sont tournés vers l’horizon. Ils s’intéressent davantage aux conditions atmosphériques et c’est normal. Tous les peuples sont modelés par leur environnement. N’est-ce pas, Ilien Bushka?

- Les Iliens pensent que la manière dont ils passent quelque part est aussi importante que l’endroit où ils sont, fit Bushka.


Il savait que sa réponse sonnait creux. Il se tourna de nouveau vers les écrans. Deux d’entre eux affichaient maintenant les images captées par la sonde. Le premier montrait la plate-forme de surface, que l’on était en train d’immerger vers la sécurité et le calme des profondeurs. Le second offrait une vue générale de la surface et du courant au milieu duquel dérivait la masse de Vashon. Bushka déglutit en contemplant son île. Il ne l’avait jamais vue sous cet angle-là.

L’indicateur d’altitude au-dessous de l’écran lui apprit que l’image était prise de huit mille mètres. Amplifiée, elle occupa presque tout l’écran. Une grille en surimpression donna ses dimensions : trente cliques en longueur et un peu moins en largeur. Vashon avait la forme d’un œuf géant aux bords irréguliers. Bushka distingua les échancrures des baies où les bateaux de pêche et les subas étaient mouillés. Seule une petite partie de la flotte se trouvait dans les eaux protégées.


- Quelle est sa population? demanda Gallow.

- Environ six cent mille, je pense, répondit Ale.


Bushka plissa le front en songeant aux conditions extrêmes de surpopulation que ce nombre représentait, comparé à l’habitat spacieux des Siréniens. Dans chaque clique carrée de Vashon s’entassaient plus de deux mille Iliens. En fait, il eût été plus juste de faire le calcul en volume, puisque les cabines s’empilaient les unes sur les autres bien au-dessus de la surface et même bien en dessous. Du reste, Vashon n’était pas la plus peuplée proportionnellement à sa taille. Certaines îles beaucoup plus petites offraient des conditions de vie qu’il fallait endurer pour y croire. L’espace n’existait que quand l’énergie venait à manquer. Un espace mort, inhabitable. Comme les êtres humains, les organiques tombaient en putréfaction quand ils mouraient. Une île morte n’était qu’une gigantesque charogne flottante. Cela s’était produit plus d’une fois.


- Je ne pourrais supporter un tel entassement, fit Gallow. Je préférerais m’en aller.

- Il n’y a pas que des désavantages, bredouilla Bushka. La promiscuité renforce l’entraide.

- C’est heureux! souffla Gallow. (Il fit pivoter son siège pour faire face à Bushka.) Quels sont vos antécédents personnels, Bushka? demanda-t-il.


L’Ilien le dévisagea, momentanément offensé. Ce n’était pas une question à poser. Les Iliens connaissaient les antécédents de chacun, ami ou connaissance, mais le respect de la vie privée d’autrui les autorisait rarement à se montrer indiscrets.


- Vos antécédents professionnels, insista Gallow.


Ale posa la main sur le bras du Sirénien.


- Pour un Ilien, ce genre de question est généralement impoli, dit-elle.

- Ce n’est pas grave, fit Bushka. J’ai commencé par être mascariote, Sirénien Gallow, dès que j’en ai eu l’âge.

- C’est une sorte de vigie chargée de guetter les mascarelles, expliqua Ale.

- Je connais ce terme, dit Gallow. Et après cela?

- Eh bien… j’avais de bons yeux, et le sens des distances. J’ai fait mon service comme contrôleur de jusant, et plus tard dans les subas. Et comme j’étais doué pour la navigation, j’ai reçu une formation de synchroniseur.

- Synchroniseur, hum… fit Gallow. C’est vous qui êtes chargé d’estimer la position de l’île. Pas très précises, vos méthodes, d’après ce que j’ai entendu dire.


- Suffisamment précises, répondit Bushka.

- Est-il vrai, Ilien Bushka, demanda Gallow après avoir toussoté, que les Iliens pensent que nous avons volé l’âme du varech?

- GeLaar! reprocha Ale.

- Non, laisse-le répondre. J’ai commencé à me documenter récemment sur les croyances fondamentalistes en vigueur sur certaines îles, comme Guemes.

- Tu es impossible, GeLaar! s’exclama Ale.

- C’est ma curiosité qui est insatiable. Alors, qu’en dites-vous, Bushka?


Obligé de répondre, celui-ci articula d’une voix lourde de détresse :


- Beaucoup d’Iliens pensent que Nef reviendra nous accorder son pardon.

- Et quand cela aura-t-il lieu?

- Quand nous aurons retrouvé notre Conscience Collective.

- Aaah, ces vieilles histoires de Transition! ricana Gallow. Vous y croyez réellement?

- L’histoire est mon hobby. Ce que je crois, c’est que quelque chose d’important est arrivé à la conscience humaine pendant les Guerres des Clones.

- Votre hobby 1

- Historien n’est pas un métier tout à fait reconnu chez les Iliens, expliqua Ale. Un peu trop superflu.

- Je vois. Mais poursuivez, Bushka, je vous prie.


Bushka serra les poings et réprima un élan de colère. Gallow n’était pas seulement imbu de son importance. Il était réellement important… vital pour l’avenir.


- Je ne crois pas qu’on ait volé l’âme du varech, déclara-t-il enfin.


- Tant mieux pour vous!

- Mais je crois par contre, poursuivit Bushka, que nos ancêtres, peut-être avec l’aide du varech, ont entrevu l’existence d’un type différent de conscience… une sorte de fusion momentanée de tous les esprits existant à l’époque.


D’un geste étonnamment furtif, Gallow se passa la main sur les lèvres.


- Les témoignages qui sont parvenus jusqu’à nous semblent à peu près concordants. Mais jusqu’à quel point peut-on leur faire confiance?

- Il ne fait aucun doute que notre patrimoine génétique actuel est en partie composé de gènes issus du varech, déclara Bushka en tournant la tête vers la console centrale, où Panille suivait ses paroles avec attention.

- Et on ne peut pas savoir ce qui pourrait se passer ici si nous redonnions une conscience au varech, c’est bien cela? demanda Gallow.

- A peu près, oui.

- Mais pourquoi croyez-vous que Nef nous ait abandonnés ici?

- GeLaar, s’il te plaît! interrompit Ale.

- Laisse-le donc répondre! Cet Ilien a l’esprit vif. C’est peut-être celui dont nous avons besoin.


Bushka s’efforça en vain de déglutir d’une gorge devenue trop sèche. Etait-ce un test? Gallow voulait-il le sonder avant de décider s’il était apte à faire partie de la société sirénienne ? De nouveau, il déglutit avec peine en disant :


- C’est que… j’espérais justement… profiter de mon séjour ici pour vous demander l’autorisation de consulter certaines archives que les Siréniens ont récupérées dans l’ancien Blockhaus. Peut-être que la réponse à votre question…


Un silence subit s’était fait dans la salle. Ale et Gallow échangèrent un regard fugace.


- C’est très intéressant, fit Gallow.

- On dit que lorsque vous avez… retrouvé l’ancien Blockhaus… les documents… c’est-à-dire…


Il s’interrompit pour tousser.


- Nos historiens travaillent à plein temps, fît Gallow. Après la Catastrophe, tout ce qui était intact, y compris les archives du Blockhaus, a été méthodiquement analysé.

- J’aimerais quand même consulter ces documents, insista Bushka en se reprochant aussitôt le son plaintif de sa voix.

- Il y a une chose que je voudrais savoir, Bushka. Quelle serait votre réaction si ces matériaux révélaient que Nef est une machine fabriquée par des humains et non une divinité?

- L’hérésie machiniste? fit Bushka en plissant les lèvres. Je croyais que cela était…

- Vous ne répondez pas à ma question.

- Il faudrait que j’examine ces documents pour pouvoir juger par moi-même.


Pendant quelques secondes, Bushka se tint coi. Aucun Ilien n’avait jamais eu accès aux archives du Blockhaus. Ce que Gallow insinuait… Une véritable bombe!


- Je suis particulièrement curieux de savoir comment un historien îlien réagirait devant les manuscrits du Blockhaus, déclara Gallow en se tournant vers Ale. Vois-tu une objection à satisfaire sa requête, Kareen?


Elle haussa les épaules et détourna la tête avec une expression que Bushka fut incapable d’interpréter. De l’écœurement?

A nouveau, Gallow se tourna vers l’Ilien avec son sourire scrutateur.


- Je comprends que le Blockhaus ait des implications mystiques pour les Iliens. J’hésite un peu à alimenter des superstitions.


Mystiques? se dit Bushka. Des terres qui jadis émergeaient de l’océan. Une construction assise sur la terre ferme, sur un continent qui ne dérivait pas, le dernier bastion inondé par la Catastrophe. Mystiques ? A quel jeu jouait donc Gallow ?


- Je suis un historien qualifié, dit-il à haute voix.

- Vous parliez de hobby… fit Gallow en secouant la tête.

- Est-ce que toutes les archives du Blockhaus ont été retrouvées intactes? s’enhardit à demander Bushka.

- Elles ont été bien isolées, répondit Ale en se tournant une fois de plus pour faire face à Bushka. Avant de découper le plastacier, nos ancêtres ont pris soin de tout entourer d’un dôme.

- Tout a été retrouvé dans l’état où ils l’ont laissé en abandonnant les lieux, confirma Gallow.

- Alors, tout ce que l’on dit est vrai… murmura Bushka.

- Mais renforceriez-vous les superstitions îliennes? insista Gallow.

- Je suis un scientifique, répliqua Bushka en se raidissant. Je ne renforcerais rien d’autre que la vérité.

- Pourquoi cet intérêt soudain pour le Blockhaus? voulut savoir Ale.

- Soudain? fit Bushka en la dévisageant avec stupeur. Mais nous avons toujours voulu savoir la teneur de ces documents. Ceux qui les ont laissés étaient aussi nos ancêtres.


- D’une certaine manière, dit Gallow. Bushka sentit un afflux de sang chaud sur ses joues. La plupart des Siréniens croyaient que les îles flottantes n’avaient été peuplées à l’origine que par des clones et des mutants. Gallow ajoutait-il vraiment foi à ces stupidités?


- J’aurais dû dire peut-être : pourquoi ce regain d’intérêt? murmura Ale.

- On parle beaucoup en ce moment de la Tendance de Guemes, vous savez, fit Gallow.


Bushka hocha la tête. La Vénefration était nettement en hausse chez les Iliens. Il renchérit :


- On parle aussi d’apparitions d’objets non identifiés dans le ciel. Certains disent que Nef est déjà de retour parmi nous mais qu’elle reste cachée dans l’espace.

- Vous y croyez? demanda Gallow.

- Ce n’est pas impossible, admit Bushka. Une chose est certaine, en tout cas : la Psyo s’est entretenue avec tous ceux qui ont déclaré avoir vu quelque chose.


- Eh bien! fit Gallow en gloussant de rire. Bushka ressentit à nouveau les affres de la frustration. Ils étaient en train de s’amuser avec lui! Tout cela n’était qu’un cruel jeu Sirénien!


- Je ne vois pas ce qu’il y a de si drôle, dit-il.


- GeLaar, cesse donc! s’écria Ale. Gallow leva une main impérieuse.


- Kareen, regarde bien l’Ilien Bushka. Ne pourrait-il passer aisément pour l’un d’entre nous?


Ale jeta un regard machinal à Bushka puis reporta son attention sur Gallow.


- Que cherches-tu à faire, GeLaar?


Bushka prit une profonde inspiration et retint son souffle. Gallow le dévisagea quelques secondes avant de demander :


- Que diriez-vous, Bushka, si je vous offrais une place dans la société sirénienne?


Bushka expira lentement, inspira de nouveau.


- Je… j’accepterais. Avec reconnaissance, bien sûr.

- Bien sûr, répéta Gallow. (Il se tourna en souriant vers Ale :) Dans ce cas, puisque Bushka va devenir l’un des nôtres, je ne vois pas de mal à lui expliquer ce qui m’amuse tant.


- Tu prends tes responsabilités, lui dit Ale.


Un mouvement au centre de la salle attira l’attention de Bushka. Il vit que Panille ne les regardait plus directement mais, d’après la courbure de ses épaules, suivait attentivement leur conversation. Nef soit témoin! L’hérésie machiniste était-elle après tout fondée? Etait-ce cela, le grand secret Sirénien?


- Ces « visions » qui préoccupent tant notre bien-aimée Psyo, fit Gallow. Ce sont des fusées siréniennes, Bushka.


L’Ilien ouvrit la bouche et la referma sans avoir rien dit.


- Nef n’est pas Dieu, n’a jamais été Dieu, continua Gallow. Les archives du Blockhaus…

- Sont sujettes à plusieurs interprétations, acheva Ale.

- Seulement pour les imbéciles! jeta Gallow. Nous lançons des fusées, Bushka, parce que nous nous préparons à récupérer les calissons hyber qui tournent en orbite autour de Pandore. Nef est une machine fabriquée par nos ancêtres. Et il y a d’autres machines en orbite dans l’espace, qui attendent que nous allions les chercher.


La façon terre à terre dont Gallow disait cela coupait le souffle à Bushka. D’innombrables histoires sur ces mystérieux « caissons hyber » couraient parmi les Iliens. Quel pouvait être le contenu de ces objets en orbite autour de Pandore? Pouvoir les capturer et voir ce qu’il y avait réellement dedans valait n’importe quel prix, y compris la destruction du mythe du Dieu-Nef qui sustentait tant de monde.


- Vous paraissez choqué, fit Gallow.

- Je suis… je suis un peu sidéré, en effet.

- Nous avons tous été nourris des Histoires de Transition, fît Gallow en pointant un doigt vers le ciel. La vie nous attend là-haut.

- Ces caissons sont supposés abriter d’innombrables formes de vie… originaires de la Terre, murmura Bushka en hochant la tête.

- Des poissons, des animaux, des plantes… et même des humains, des êtres humains normaux, comme nous, dit Gallow avec un geste large qui englobait tous les occupants de la salle.


Bushka prit une inspiration tremblante. Les témoignages historiques disaient en effet que ces caissons hyber abritaient des humains que les biomanipulations de Jésus Louis n’avaient jamais atteints. Il devait même y avoir des gens qui s’étaient endormis dans un autre système solaire et qui n’avaient aucune idée du cauchemar qui les attendait à leur réveil.


- Et maintenant, vous savez tout, dit Gallow. Bushka s’éclaircit la voix :


- Nous n’avons jamais soupçonné… la Psyo ne nous a jamais laissé entendre que…

- La Psyo ne sait rien de tout cela, coupa Ale avec une pointe d’avertissement dans la voix.


Bushka tourna les yeux vers la paroi de plaz qui laissait apercevoir le tube de lancement de l’aérostat.


- Cela, c’est autre chose. Elle est au courant, bien sûr, reprit-elle.

- Une occupation tout à fait innocente, dit Gallow.

- Il n’y a pas eu de baptême pour les fusées, ajouta Ale.


Bushka continuait de regarder par le plaz. Il ne s’était jamais considéré comme quelqu’un de très religieux, mais toutes ces révélations siréniennes l’avaient profondément troublé. Ale avait manifestement des doutes quant à l’interprétation donnée par Gallow aux manuscrits du Blockhaus. Et de toute manière, une bénédiction ne pouvait faire de mal… juste au cas où…

- Quelle est votre réponse, Sirénien Bushka? demanda Gallow.


Sirénien Bushka!


Il tourna un regard hébété vers Gallow, qui attendait la réponse à une question qu’il avait posée. Une question. Quelle question? Bushka mit un moment à se rappeler.


- Ma réponse… oui. Les Iliens… Je veux parler de ces fusées… Les Iliens… Est-ce qu’il ne faudrait pas leur dire?

- Les Iliens? Leur dire? répéta Gallow tandis qu’un éclat de rire convulsif secouait son corps d’Apollon. Tu entends, Kareen? Déjà, il se sent loin de ses anciens compatriotes!


L'effet Lazare
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