Qu’est-ce qu’il y a de si compliqué à faire l’amour à une mutarde? Trouver le bon orifice.


Plaisanterie sirénienne.


Suivant Ale malgré la faiblesse de ses vieilles jambes, le juge Keel franchit une porte ovale marquée d’un cercle rouge et se retrouva dans une salle où régnait une intense activité. Il y avait partout des écrans devant lesquels étaient postés des techniciens, et au moins une douzaine de consoles chargées de touches et de voyants à la sirénienne. Partout où il tournait la tête, des données alphanumériques s’affichaient. Il compta dix grands moniteurs où l’on voyait des images de la surface et des profondeurs sous-marines. Et tout cela était groupé dans un espace à peine plus grand que le logement occupé par Ale.


Sans être exigu pour autant, se dit le juge.


Un peu comme les Iliens, les Siréniens étaient passés maîtres dans l’art d’utiliser au mieux des espaces nécessairement restreints. Cependant, nota Keel, tout était relatif, et les Iliens se contentaient généralement de beaucoup moins.

Ale le présenta à plusieurs opérateurs dans les travées. La plupart se contentèrent de lui adresser un bref signe de tête avant de se replonger dans leur travail. D’après les regards que certains lançaient à Ale, le juge crut comprendre que sa propre présence dans cette salle était jugée particulièrement gênante.

Ale s’arrêta devant une console un peu plus large et un peu plus haute que les autres. Elle s’adressa à l’opérateur qui lui faisait face en l’appelant « Shadow », mais le présenta sous le nom de Panille le Noir. Keel reconnut le patronyme. C’était sans nul doute un descendant du pionnier poète et historien. Ses grands yeux avaient un éclat perçant au-dessus de ses pommettes saillantes. Ses lèvres bougèrent à peine quand il répondit aux présentations faites par Ale.


- Quel est cet endroit? demanda le juge.

- La Salle des Courants, expliqua Ale. Vous aurez plus tard toutes les explications voulues. Pour l’instant, il y a une urgence. Nous devons les laisser travailler. Vous voyez toutes ces lumières jaunes qui clignotent sur ce tableau? Ce sont des appels à nos équipes de sauvetage qui se trouvent en état d’alerte.

- En état d’alerte? Vous avez des problèmes?

- Ce sont les vôtres qui ont des problèmes, répondit Ale en contractant presque imperceptiblement les mâchoires.


Keel voulut dire quelque chose, mais préféra se taire. Il fit du regard le tour de cette salle où tous les visages étaient intensément absorbés par les images et les données qui défilaient sur les écrans et où le crépitement furieux d’une douzaine de claviers empêchait toute conversation raisonnable, tout cela lui brouillait les idées. Etait-ce là le début de cette menace à laquelle Kareen Ale avait précédemment fait allusion?

Il lui était difficile de garder le silence. Mais elle avait parlé d’état d’alerte. C’était le moment d’observer et de bien retenir.

Lorsque les médics avaient prononcé leur sentence de mort à son encontre, le juge Keel avait tout de suite éprouvé l’impression de continuer à vivre au milieu d’un grand vide qui demandait désespérément à être rempli. Même ses longues années de service au sein de la Commission des Formes de Vie avaient été d’un seul coup vidées de toute leur substance. Il ne suffisait pas d’avoir été le Juge Suprême. Il fallait quelque chose de plus. Quelque chose qui lui permette de finir en beauté, de prouver son amour pour ses semblables. Il aurait voulu crier son message le long des coursives, crier : « Voyez comme je vous ai servis ». Et confusément, il sentait qu’il y avait peut-être aujourd’hui dans cette salle la clef de son destin.

Ale était en train de murmurer quelque chose à son oreille.


- Shadow… c’est ainsi que ses amis l’appellent, cela sonne mieux que « Panille le Noir »… c’est l’un de nos coordinateurs les plus capables. Il repère les naufragés îliens avec un pourcentage de réussite impressionnant.


Cherchait-elle à lui prouver son souci bienveillant des vies îliennes ? Il répondit assez sèchement, à voix basse :


- Je ne savais pas que vos recherches étaient à ce point systématiques.

- Vous pensiez que nous procédions au hasard? fit Ale avec un petit air de condescendance. Chaque fois qu’il y a une tempête ou une mascarelle, nous sommes sur le qui-vive.


Cette révélation toucha Keel dans son amour-propre.


- Pourquoi n’avez-vous jamais fait savoir que vous vous donniez toute cette peine pour nous?

- Vous croyez que la fierté îlienne s’accommoderait d’une telle surveillance? demanda Ale. Vous oubliez peut-être, Ward, que je passe une grande partie de ma vie côté surface. Beaucoup d’Iliens ont déjà l’impression que nous complotons contre vous. Que diraient-ils s’ils voyaient ces installations ?


Elle fit un geste large qui englobait les travées, les moniteurs muraux et le cliquètement incessant des imprimantes.


- Vous prenez les Iliens pour des paranoïaques, fit Keel.


Il était cependant obligé d’admettre que ce qui se passait dans cette salle avait ébranlé son orgueil d’Ilien. La Sécurité de Vashon n’apprécierait certainement pas une telle sollicitude. Ses pires soupçons étaient peut-être justifiés. Sans compter, pensait le juge, qu’il ne voyait ici que ce qu’on voulait bien lui montrer.

Un écran géant sur la droite montrait une portion massive d’une île vue de flanc.


- Cela ressemble à Vashon, dit le juge. Je reconnais l’espacement des vigies.


Ale posa la main sur l’épaule de Panille et Keel ne manqua pas de remarquer le rapport de hiérarchie impliqué par ce geste. Panille leva les yeux de son clavier.


- Pouvons-nous vous interrompre? demanda Ale.

- Si ce n’est pas trop long.

- Voudriez-vous rassurer le juge Keel, qui vient de reconnaître son île sur cet écran? (Elle désigna du menton l’écran géant sur leur droite.) Indiquez-lui sa position par rapport à la barrière la plus proche.


Panille se pencha de nouveau sur son clavier, tapa une série de codes et lut les caractères alphanumériques qui s’affichaient sur une bande étroite en haut du panneau. L’image de l’île sur le petit moniteur de la console fut alors remplacée par une vue générale de la surface de l’océan. Un carré situé en bas et à droite de l’écran afficha : « V.200 ».


- Visibilité, deux cents mètres, interpréta Ale. Les conditions sont bonnes.

- Vashon se trouve à quatre kilomètres de la barrière submergée H.A. 9 et se déplace parallèlement à elle, dit Panille. Dans une heure environ, nous commencerons à l’éloigner progressivement. La mascarelle a fait dériver l’île jusqu’à deux kilomètres de la barrière. Nous avons dû intervenir, mais tout s’est passé sans aucun incident. A aucun moment l’île ne s’est trouvée en danger.


Keel avait réprimé une exclamation en entendant cela. Il s’étranglait de fureur devant la prétention de ce Panille et réussit à demander d’une voix rauque :


- Comment pouvez-vous dire que l’île ne s’est jamais trouvée en danger?

- Nous avons toujours eu la situation bien en main.

- Jeune homme, pour dévier une masse comme celle de Vashon… (Keel secoua la tête.)… Nous sommes bien contents de pouvoir ajuster légèrement notre cap quand nous contactons une autre île. Prétendre échapper à un obstacle avec une marge de deux kilomètres à peine est une absurdité.


Les commissures des lèvres de Panille se levèrent en un sourire pincé, ce genre de sourire qui prétendait tout savoir et que le juge détestait pour l’avoir vu maintes fois sur le visage de jeunes et d’adolescents sans expérience persuadés que leurs aînés avaient le cerveau trop lent.


- Vous autres les Iliens, vous n’avez pas comme nous la chance d’être aidés par le varech. Ici, nous sommes efficaces; nous n’avons pas le temps de glapir comme des paranoïaques.

- Shadow! fit Ale avec une note d’avertissement dans la voix.

- Désolé; dit Panille en se tournant vers sa console. Mais grâce au varech, nous pouvons intervenir avec une précision qui nous a permis toutes ces dernières années de protéger Vashon et aussi les autres îles qui croisent dans notre secteur.


Quelle prétention ahurissante! songea le juge.


Il remarqua du coin de l’œil la manière attentive dont Ale suivait chaque mouvement de Panille sur la console. Ce dernier hocha la tête en direction d’une série de données qui venaient de s’afficher.


- Regardez bien, dit-il. Landro!


Une femme un peu plus âgée que lui, assise à une console voisine, tourna la tête. Panille lui énonça une série de lettres et de chiffres qu’elle tapa sur son clavier. Puis elle attendit, enfonça une touche et attendit encore. Panille pianota rapidement sur son propre clavier.


- Regardez bien l’écran de Shadow, fit Ale en s’adressant au juge.


Le moniteur offrait une vue sous-marine d’un long banc de varech ondoyant, riche et profond. Le « V.200 » clignotait encore dans son carré. D’après cette indication, Keel estima que la hauteur du banc dépassait une centaine de mètres. Pendant qu’il regardait, un chenal s’ouvrit au milieu du varech. Les thalles les plus forts s’écartaient en se liant à leurs voisins. Le chenal devait avoir une trentaine de mètres de large.


- Le varech oriente les courants en leur ouvrant des passages appropriés, expliqua Ale. Vous assistez là à l’un de ses comportements nourriciers les plus anciens. Il capture de cette façon des courants froids plus riches en nutriments.


Keel chuchota d’une voix sourde :


- Comment obtenez-vous ces réactions?

- Nous utilisons des signaux à basse fréquence. La technique n’est pas encore parfaite, mais nous sommes en train de l’améliorer. C’est un système plutôt rudimentaire, à en croire nos archives historiques. A son prochain stade de développement, nous espérons que le varech disposera d’un vocabulaire visuel.

- Vous essayez de me faire comprendre que vous lui parlez?

- Si l’on veut. Un peu comme une mère parle à son nouveau-né. On ne peut pas encore dire qu’il est intelligent. Il ne prend pas de décisions autonomes.


Keel commençait à comprendre pourquoi Panille avait devant lui cet air de tout savoir. Durant combien de générations les Iliens avaient-ils sillonné l’océan sans même se douter que ces choses-là étaient possibles? Y avait-il beaucoup d’autres réalisations de ce genre qu’ils ignoraient?


- A cause de ces imperfections, nous nous réservons une forte marge d’erreur, ajouta Ale.

- Quatre kilomètres… vous croyez que cela suffit?

- Deux kilomètres, rectifia Panille. C’est une distance acceptable pour le moment.

- Le varech réagit à certaines séquences de signaux, poursuivit Ale.


Pourquoi ces confidences au plus haut personnage officiel de Vashon ? se demanda subitement le juge Keel.


- Comme vous pouvez le constater, continuait Kareen Ale, nous éduquons le varech tout en l’utilisant à nos propres fins.


Elle lui prit le bras tandis qu’ils contemplaient le chenal qui s’élargissait au milieu du banc. Keel surprit le regard de Panille et son bref serrement de mâchoires devant le geste familier de sa voisine. Jaloux?

Cette pensée vacilla un instant comme la flamme d’une bougie dans une pièce à courant d’air. Peut-être un moyen d’ôter un peu de sa morgue à Panille. Il tapota la main de Kareen Ale.


- Vous comprenez pourquoi je vous ai fait venir ici? demanda cette dernière.


Keel voulut se racler la gorge mais elle était douloureusement serrée. Il faudrait mettre les Iliens au courant de ces réalisations, naturellement. Il commençait à comprendre le problème d’Ale, ou plutôt celui des Siréniens. Ils avaient commis une erreur en gardant si longtemps le secret sur leurs recherches. Mais qui sait?


- Il y a beaucoup d’autres choses à voir, lui dit Ale. Je pense que nous nous rendrons ensuite au gymnase, parce qu’il est à côté. C’est là que nous entraînons nos astronautes.


Keel s’était légèrement tourné pendant qu’elle parlait. Il contemplait les alignements d’écrans dans la salle et ne prêtait qu’à moitié attention à ce qu’elle disait. Ses dernières paroles lui parvinrent comme à retardement et il fit un faux pas en se tournant vers elle. Mais le bras puissant de Kareen Ale l’empêcha de perdre l’équilibre.


- Je sais que vous voulez récupérer les caissons hyber, dit-il.

- Nef ne les aurait pas laissés en orbite si ce n’était pas à notre intention, Ward.

- C’est pour cela que vous construisez vos barrières et que vous voulez créer des terres émergées.

- Nous pourrions lancer nos fusées depuis le fond de la mer, mais ce n’est pas une solution satisfaisante. Il nous faut une base solidement ancrée à la surface.

- Comment utiliserez-vous le contenu des caissons?

- Si les manifestes disent vrai, et nous n’avons aucune raison d’en douter, toutes les richesses vivantes contenues dans ces caissons nous remettront sur le chemin de l’humanité - la véritable humanité.

- Qu’est-ce que la véritable humanité?

- Eh bien, c’est… Ward, avec les formes de vie que contiennent ces caissons, nous pourrons…

- J’ai étudié les manifestes. Qu’est-ce que Pandore gagnera à avoir un singe rhésus ou un python, par exemple? Quel profit tirerons-nous de la présence d’une mangouste?

- Mais, Ward… il y aura des vaches, des poulets, des cochons…

- Et des baleines. Nous rendront-elles service? Vivront-elles en bonne intelligence avec le varech ? Vous insistez sur le rôle capital du varech…

- Nous ne le saurons que quand nous aurons essayé, Ward.

- En tant que Juge Suprême de la Commission des Formes de Vie - à qui vous vous adressez officiellement en ce moment, Kareen Ale; -, je dois vous rappeler que j’ai déjà réfléchi à ces questions et que…

- Nos ancêtres et Nef ont apporté…

- Quel est ce soudain accès de ferveur religieuse, Kareen? Nef et nos ancêtres n’ont apporté que le chaos sur Pandore. Sans réfléchir aux conséquences de leurs actes. Regardez-moi donc! Je suis l’une de ces conséquences. Des clones… des mutants… Dites-moi un peu si le dessein de Nef n’était pas simplement de nous donner une bonne leçon ?

- Une leçon? Laquelle?

- Il y a des modifications qui peuvent être mortelles pour la race humaine. Je vous entends parler d’humanité. Avez-vous essayé de définir ce que vous appelez la véritable humanité?

- Ward… Vous et moi faisons partie de l’humanité.

- L’humanité, c’est moi… Exactement, Kareen. C’est ainsi que jugent les êtres humains. Au fond de nous, quelque chose nous dit : Ce qui est comme moi est humain.

- Ce sont les critères utilisés par votre Commission?


Sa voix semblait un peu plus hautaine, ou peut-être blessée.


- A peu près, lui répondit Keel. Mais pour peindre la ressemblance, j’utilise un pinceau très large. Quelle est la largeur du vôtre? Prenez par exemple ce fier jeune homme assis à sa console. Peut-il me regarder en face et dire que je suis « comme lui »?


Panille ne se retourna pas mais sa nuque devint cramoisie tandis qu’il se penchait un peu plus sur son travail.


- Shadow et son équipe ne cessent de sauver des vies îliennes, lui fit remarquer Ale.

- C’est exact, et je lui en suis fort reconnaissant. Mais j’aimerais savoir s’il a le sentiment de sauver des êtres humains comme lui, ou bien une intéressante forme de vie inférieure ? Voyez-vous, Kareen, nous vivons dans des contextes différents, qui impliquent des habitudes différentes. C’est tout. Mais il y a des jours où je me demande pourquoi nous autres Iliens acceptons d’être soumis à vos critères de beauté. Vous viendrait-il à l’idée, par exemple, de me choisir comme partenaire sexuel ?


Il leva la main pour l’empêcher de répondre et remarqua que Panille faisait de son mieux pour ignorer leur conversation.


- Je ne le propose pas sérieusement, reprit Keel. Songez à tout ce que cela impliquerait. Songez qu’il est déjà navrant que je sois obligé de prendre cet exemple.


Choisissant soigneusement ses mots, les espaçant délibérément, elle répondit :


- Vous êtes… l’être humain… le plus impossible… que j’aie jamais rencontré.

- C’est pour cela que vous m’avez fait descendre ici? Parce que si vous parvenez à me convaincre, vous pouvez convaincre n’importe qui?

- Je n’ai jamais traité les Iliens de mutards. La vie des Iliens est aussi importante que la nôtre et leur utilité pour nous tous ne devrait faire aucun doute.

- Mais vous avez dit vous-même que tous les Siréniens ne sont pas d’accord sur ce point.

- Beaucoup de Siréniens n’ont pas la moindre idée des problèmes que doivent affronter les Iliens. Vous devez convenir, Ward, qu’une grande partie de votre puissance de travail est inefficace. Sans que ce soit votre faute, naturellement.


Comme c’est bien dit, songea Ward. Quel art de V euphémisme!


- Et quelle est cette utilité qui ne « devrait faire aucun doute »? demanda-t-il tout haut.

- Nous avons tous dû faire” face au même problème, Ward : comment survivre sur cette planète. Mais nos méthodes ont été différentes. Ici, nous faisons du compost pour obtenir du méthane et nous constituer des sols en attendant de pouvoir cultiver les terres émergées.

- En prélevant de l’énergie au cycle biotique?

- En la détournant provisoirement, insista-t-elle.


La terre est beaucoup plus stable quand elle est maintenue par des plantes. Nous aurons besoin d’un sol fertile.


- Du méthane… murmura-t-il.


Il avait soudain perdu l’enchaînement de ses idées au profit d’une illumination nouvelle.


- C’est notre production d’hydrogène qui vous intéresse! s’écria-t-il.


Elle ouvrit grand les yeux devant sa rapidité de déduction.


- Cet hydrogène nous est nécessaire pour aller dans l’espace, dit-elle.

- Et nous en avons besoin pour nos fourneaux, nos radiateurs et les quelques machines que nous possédons.

- Vous avez aussi du méthane.

- Pas assez.

- Nous extrayons l’hydrogène de l’eau par des moyens électroniques qui…

- Qui ne sont pas très efficaces.


Il avait essayé, mais en vain, de ne pas trop laisser percer de fierté dans sa voix.


- Alors que vous avez ces merveilleuses membranes osmotiques et la pression des profondeurs, acheva Ale.

- Un point pour les organiques!

- Mais les organiques ne constituent pas la meilleure des bases pour asseoir toute une technologie, fit-elle. Voyez comme ils ont freiné votre développement. Une technologie doit être capable de subvenir à vos besoins et de vous aider à progresser.

- Cette querelle est vieille de plusieurs générations. Les Iliens savent ce que vous pensez des organiques.

- Mais la querelle n’est pas close, insista Ale. Avec les caissons hyber…

- C’est vous qui venez nous trouver aujourd’hui, répliqua le juge, parce que nos textiles sont supérieurs. Et je note aussi, ajouta-t-il sans pouvoir s’empêcher de sourire, que vous vous adressez de plus en plus à nos chirurgiens pour les opérations délicates.

- Nous reconnaissons volontiers que les organiques ont pu représenter jadis la manière la plus commode pour vous de subsister côté surface, mais les temps changent et nous…

- C’est vous qui les faites changer! accusa le juge.


Il eut un mouvement de recul devant la vive réaction de Kareen Ale, visible à ses mâchoires serrées et à l’éclat dur de ses yeux bleus.


- Les temps changent toujours, reprit-il d’une voix radoucie. Mais la question demeure : quelle est la meilleure façon de nous adapter au changement?

- Toutes vos énergies sont consacrées exclusivement à vous maintenir en vie, vous et vos sacrés organiques! lança-t-elle, toujours furieuse. Vos îles connaissent souvent la famine. Nous ne savons plus ce que c’est. Et dans une génération ou deux, nous marcherons sous les étoiles sur de la terre ferme!


Keel haussa les épaules. Ce faisant, il provoqua une douleur irradiante à l’endroit où frottait la prothèse qui soutenait sa tête massive. Il sentait les muscles fatigués de sa nuque lancer des aiguilles enflammées jusqu’au sommet de son crâne.


- Que reste-t-il de nos vieilles querelles à la lumière des changements récents? demanda Ale sur un ton de défi.

- Vous élevez des barrières, des kilomètres de brisants capables de faire échouer nos îles, dit tristement le juge. Vous faites cela pour améliorer le mode de vie Sirénien. Mais quel Ilien serait assez idiot pour ne pas se demander si vous ne cherchez pas par la même occasion à vous débarrasser des îles et à noyer les mutards qui les peuplent?

- Ward… fit Kareen Ale en secouant la tête d’un air navré… Ward, il faut comprendre que la vie îlienne telle que nous la connaissons est condamnée à prendre fin, peut-être de notre vivant. Et ce n’est pas nécessairement un mal.


Pas de mon vivant à moi, se dit-il.


- Vous le comprenez, n’est-ce pas? insista Ale.

- Vous voudriez que je vous aide à accomplir ces changements. Ce qui ferait de moi un Judas et un bouc émissaire. Vous avez entendu parler de Judas, Kareen? Et vous savez ce que c’est qu’un bouc?


Une nette lueur d’impatience traversa son visage. Elle répliqua :


- Je m’efforce de vous convaincre depuis tout à l’heure que ces changements sont imminents et inévitables. Vous devez tenir compte de la situation nouvelle, que ce soit déplaisant ou non.

- Vous voudriez aussi que nous mettions notre hydrogène à votre disposition.

- Je fais tout mon possible pour vous tenir écarté de nos querelles politiques internes.

- Il se trouve, Kareen, que je n’ai pas confiance en vous dans ce domaine. Je vous soupçonne de ne pas avoir l’appui de votre propre peuple.

- Je crois que ça suffit comme ça, interrompit alors Panille. Je vous avais prévenue, Kareen, qu’un Ilien…

- Laissez-moi m’occuper de ça, voulez-vous? fit-elle en l’interrompant d’un geste impératif. S’il y a eu une erreur de commise, j’en porte la responsabilité. Etes-vous prêt, ajouta-t-elle en s’adressant à Keel, à nous faire confiance en ce qui concerne la récupération des caissons et la création de terres émergées? Admettez-vous l’utilité de redonner conscience au varech?


Elle joue la comédie, se dit Keel. Mais pour quel spectateur? Pour moi? Ou pour Shadow?


- A quelles fins et par quels moyens ? demanda-t-il en essayant de gagner du temps.

- A quelles fins? Mais pour avoir un peu quelque chose de stable sur cette planète. Quelque chose qui nous unisse enfin.


Elle a l’air si tranquille, si sûre d’elle-même, se dit le juge. Mais il y a quelque chose qui ne va pas.


- Quelles sont vos priorités? demanda-t-il. Le varech, les caissons ou les terres émergées?

- Les miens veulent d’abord les caissons.

- Et qui sont les vôtres?


Elle se tourna vers Panille, qui répondit à sa place :


- Un groupe majoritaire. Voilà qui sont les siens. C’est ainsi que fonctionnent nos institutions.

- Et vous? demanda Keel en baissant les yeux vers Panille. Quelles sont vos priorités?

- Personnellement, fit le Sirénien en quittant son écran des yeux à contrecœur, je choisirais le varech. Sans lui, la lutte pour la vie est trop inégale sur cette planète. Vous avez vu - ajouta-t-il en désignant les écrans sur lesquels le juge n’oubliait pas que des vies îliennes étaient d’une manière ou d’une autre en train de se jouer - ce qu’il est capable de faire. En ce moment même, il dirige Vashon vers la mer libre. Ce n’est déjà pas mal. Et c’est cela aussi, la lutte pour la vie.

- Vous pensez qu’il n’y a aucun risque?

- J’en suis sûr. Nous avons épluché tous les documents récupérés dans l’ancien Blockhaus après le cataclysme. Nous pouvons nous faire une idée précise du contenu des caissons. Ils peuvent attendre. Keel se tourna vers Ale :

- Je ne trouve pas tout cela particulièrement rassurant. Je sais ce que les caissons sont censés contenir. Mais que disent vos documents?

- Nous avons toutes les raisons de croire qu’ils sont remplis de plantes et de formes de vie animales, ainsi que de tout ce que Nef pouvait considérer comme indispensable à la colonisation de Pandore. Ils doivent contenir aussi environ trente mille humains en état de conservation pour une période de temps indéfinie.


Keel releva intérieurement la formule : « toutes les raisons de croire ».


Ils ne sont sûrs de rien, finalement, se dit-il. Ils font cela à l’aveuglette.


Il leva les yeux vers le plafond en pensant à tous ces caissons de plaz et de plastacier qui tournaient autour de Pandore jour après jour, depuis des générations, avec leur cargaison de vie en attente.


- Ils pourraient contenir n’importe quoi, dit-il à haute voix. Absolument n’importe quoi.


Il savait que c’était la peur qui le faisait parler ainsi. Il regarda Ale d’un air accusateur.


- Vous prétendez représenter la majorité des Siréniens, ajouta-t-il. Cependant, je sens dans vos activités quelque chose de furtif.

- Il y a certaines sensibilités politiques… Elle s’interrompit… Ecoutez-moi, Ward. Notre programme spatial continuera, que je réussisse avec vous ou non.

- Que vous réussissiez? Avec moi?


Il ne semblait pas y avoir de fin à ses machinations.


- Si j’échoue avec vous, Ward, fit Ale en poussant un soupir qui ressemblait à un sifflement de dépit, les Iliens n’ont pratiquement plus aucune chance. Comprenez-moi. Nous voulons lancer une civilisation, pas une guerre. Nous offrons aux Iliens des terres à coloniser.

- Aaah, voilà l’appât! s’écria-t-il.


Il songea à l’impact que pourrait avoir sur les Iliens une telle proposition. Beaucoup sauteraient sur l’occasion; les plus pauvres, par exemple les habitants de Guemes, ceux qui vivaient au jour le jour des maigres ressources que leur apportait la mer. Pour Vashon, c’était une autre histoire. Mais cette offre faisait miroiter les richesses des Siréniens et ne manquerait pas d’attiser la jalousie qu’avaient toujours éprouvée certains Iliens. Le juge voyait déjà les problèmes qui allaient se poser si ce que disait Ale était rendu public.


- J’aurais besoin d’informations complémentaires, reprit-il. A quel stade se trouve votre programme spatial?

- Shadow?


Ce dernier pianota sur le clavier de sa console. L’écran devant lui se divisa en deux parties égales. L’image de gauche montrait une tour sous-marine dont les dimensions ne frappèrent Keel que lorsqu’il s’aperçut que les formes minuscules qui évoluaient tout autour n’étaient pas des poissons mais des ouvriers Siréniens. Sur l’image de droite, on voyait la même tour qui émergeait à la surface. D’après les proportions visibles sur l’image de gauche, Keel estima que la tour devait s’élever au moins à cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer.


- Il doit y avoir un lancement aujourd’hui ou demain, cela dépend des conditions météorologiques, fit Ale. C’est un tir d’essai, notre premier vol habité. Après cela, nous ne serons plus très loin d’aller chercher les caissons.

- Pourquoi aucune île n’a-t-elle signalé ce truc-là? demanda Keel en désignant l’écran.

- Parce que nous les faisons passer au large, répondit Panille avec un haussement d’épaules.


Keel secoua la tête. Sa nuque lui faisait de plus en plus mal.


- Cela explique, ajouta Ale, toutes les observations mystérieuses rapportées par les Iliens, et les rumeurs selon lesquelles Nef serait de retour parmi nous.

- Comme vous devez trouver cela amusant! explosa Keel. Ces Iliens bornés avec leurs superstitions primitives! Certains prophétisent déjà la fin du monde. Si seulement vous aviez mis la Psyo dans le secret…

- Nous avons eu tort, soupira Ale. Nous le reconnaissons maintenant. C’est pour cela que vous êtes ici. Qu’allons-nous faire?


Keel se gratta la tête. Sa nuque lui faisait abominablement mal à l’endroit où s’appuyait la prothèse. Il sentait qu’il fallait faire attention. Panille récitait une leçon bien apprise. Ale, comme toujours, ne disait que ce qu’elle avait prévu de dire. Keel, cependant, était un vieux renard politique et il savait attendre son moment pour modifier le jeu. Ale voulait qu’il apprenne certaines choses. Des choses qu’elle avait préparées à son intention. Tout ce qu’il cherchait pour le moment, c’était la leçon cachée.


- Comment apprendre la vérité aux Iliens sans les froisser? dit-il.

- Nous n’avons pas le temps de faire de la philosophie îlienne!


Keel se hérissa.


- Encore une façon de nous traiter de bons à rien! Pour la plupart d’entre nous, survivre est une occupation à plein temps. Vous croyez que nous ne faisons rien parce que nous ne fabriquons pas de fusées. C’est nous qui n’avons pas le temps. Pas le temps de manigancer ni de faire de jolies phrases…

- Ça suffit! lança-t-elle. Si vous et moi ne sommes pas capables de nous entendre, comment espérer que nos deux peuples feront mieux?


Keel tourna la tête pour la regarder d’un œil, puis de l’autre. Il réprima un sourire. Deux choses l’amusaient. Elle avait marqué un point, et elle avait montré qu’elle pouvait perdre son sang-froid. Il porta ses deux mains à sa nuque pour la masser.

Elle fut instantanément pleine de sollicitude. Elle connaissait son problème pour avoir siégé face à lui dans de nombreuses rencontres officielles.


- Vous êtes fatigué, dit-elle. Aimeriez-vous vous reposer et prendre une tasse de thé ou quelque chose de plus consistant?

- Je ne refuserais pas un petit noir de Vashon. Et je serais heureux - ajouta le juge en appuyant sur sa prothèse - d’ôter ce maudit appareil pendant quelques instants. Vous n’auriez pas un cani-siège, par hasard?

- Les organiques sont plutôt rares ici. Malheureusement, nous ne pouvons pas vous offrir toutes les commodités îliennes.

- Je voulais seulement un massage, dit le juge. Les Siréniens ne savent pas ce qu’ils perdent en n’ayant pas de canisièges.

- Je pense que nous pourrons vous faire faire un massage.

- Nous n’avons pas, intervint Panille, tous les problèmes de santé que vous avez là-haut.


Il avait parlé sans quitter des yeux son écran bourré de chiffres et son attention semblait partagée en deux. Cependant, le juge Keel ne pouvait laisser passer cette remarque.


- Jeune homme, dit-il, je suis sûr que vous êtes brillant dans votre spécialité. Mais gardez-vous bien de laisser déborder votre sûreté professionnelle dans des domaines que vous ne connaissez pas. Il vous reste encore pas mal de choses à apprendre.


Il se tourna pour s’appuyer au bras que lui tendait Ale et se laissa guider vers la sortie, conscient de tous les regards posés sur lui. Il était heureux de quitter cette salle. Il y avait dans l’air quelque chose qui lui donnait le frisson.


- Vous ai-je convaincu? lui demanda Ale tandis qu’il traînait le pas à ses côtés, les jambes lourdes, la tête douloureusement gonflée d’informations fragmentaires qu’il faudrait bientôt assener à son malheureux peuple.

- Vous m’avez convaincu que les Siréniens réaliseront ce programme, répondit-il. Vous possédez les moyens, la détermination et l’organisation nécessaires.


Il fit un faux pas en chancelant et se rattrapa au bras de Kareen Ale.


- Je n’ai pas l’habitude des ponts qui ne tanguent pas, expliqua-t-il. Il est difficile pour un ancien comme moi de marcher droit sur la terre ferme.

- Tout le monde ne pourra pas vivre sur la terre ferme au début, dit-elle. Seulement les plus démunis. Nous prévoyons que les autres îles devront être ancrées au large… ou que des pontons seront construits pour les relier à la terre. Ils pourront servir provisoirement de logements en attendant que les exploitations agricoles se mettent en place.


Keel demeura quelques instants sans répondre puis murmura :


- Il y a longtemps que vous pensez à tout cela.

- Oui.

- Vous avez déjà organisé la vie des Iliens sans qu’ils…

- Nous avons essayé de trouver un moyen de vous sauver!

- Ah, oui! fit le juge avec un rire bref. En nous mettant dans des pontons-dortoirs près de vos côtes ?

- Ce serait la solution idéale, répondit-elle avec une authentique lueur d’excitation dans les yeux. Des pontons organiques. Et à mesure que nous n’en aurions plus besoin, nous pourrions les laisser mourir et les utiliser comme engrais.

- Nos îles aussi, sans doute. Comme engrais.

- Elles ne seront bonnes à rien d’autre quand nous aurons de vrais continents.


Keel parla d’une voix d’où il n’avait pas pu chasser toute trace d’amertume.


- Vous ne comprenez pas, Kareen. Je le vois bien. Une île n’est pas un simple morceau de… terre morte. C’est quelque chose de vivant. Une mère. Elle nous protège parce que nous la soignons avec amour. Vous condamnez notre mère à devenir un simple tas de fumier.


Elle le regarda un long moment avant de répliquer :


- Vous semblez croire que les Iliens seront les seuls à renoncer à leur mode de vie. Ceux d’entre nous qui s’établiront côté surface…

- Auront toujours accès au fond. Vous ne coupez pas le cordon ombilical. La transition ne sera pas aussi dure pour vous que pour nous. Vous faites semblant de l’oublier.

- Je ne fais semblant de rien, bon sang! C’est pour cela que vous êtes ici.


Il est temps d’arrêter cette joute, se dit le juge, et de lui faire savoir que je ne la crois pas, que je ne lui fais pas confiance.


- Vous me cachez des choses, dit-il. Il y a un moment que je vous observe, Kareen. Vous êtes préoccupée par des événements importants. Vous essayez de diriger mes réactions en me donnant vos informations une par une pour obtenir ma coopération afin…

- Mais, Ward…

- Ne m’interrompez pas. Le meilleur moyen d’obtenir ma coopération est de tout me dire. Je vous aiderai si j’estime que c’est ce qu’il faut faire. Mais si j’ai l’impression que vous me cachez quoi que ce soit, au lieu de vous aider, je vous résisterai obstinément.


Ils s’étaient arrêtés devant une porte verrouillée qu’elle fixait d’un regard absent.


- Vous me connaissez, Kareen, insista le juge. Je ne parle pas à la légère. Je vous combattrai. Je ne resterai pas une minute de plus ici - à moins que vous ne m’empêchiez de partir - et je lancerai une campagne contre…

- Très bien! fit-elle en le foudroyant du regard. Vous empêcher de partir? Je n’y songe pas. D’autres le feraient peut-être, mais pas moi. Vous voulez tout savoir? A votre aise. Les ennuis ont déjà commencé, Ward. De gros ennuis. L’île de Guemes est au fond de la mer.


Il cligna les yeux, comme si cela pouvait atténuer la force de ce qu’elle venait de dire. L’île de Guemes! Au fond de la mer!


- Ainsi, murmura-t-il sourdement, votre précieux contrôle des courants n’a pas fonctionné. Vous avez expédié une île entière au…

- Non! fit-elle en secouant violemment la tête. Non! Non! Quelqu’un a fait cela de manière délibérée! Notre système de contrôle des courants n’a rien à voir là-dedans. C’est un acte de violence ignoble et insensé.


Il demanda d’une voix que le choc rendait presque inaudible :


- Qui?

- Nous ne le savons pas encore. Mais il y a des milliers de victimes… En ce moment même, les opérations de sauvetage sont en cours.


Elle se tourna pour déverrouiller la porte. Pour la première fois, Keel crut déceler des signes de vieillissement dans la lenteur de ses gestes.

Il y a encore quelque chose qu’elle me cache, pensa-t-il en la suivant dans ses appartements.


L'effet Lazare
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