La petite Vata est entrée en catatonie quand le varech et les gyflottes ont perdu leurs forces. Elle est dans cet état comateux depuis près de trois ans maintenant et, comme elle détient les gènes aussi bien du varech que de l’humanité, il est à espérer qu’elle contribuera pleinement à restaurer au varech son état de sentience. Il n’y a que le varech qui soit en mesure de dompter ce terrible océan.


Hali Ekel, Journal


Ce n’était pas tant que Ward Keel percevait l’absence de mouvement, mais il la sentait à fleur de peau. Toute sa longue vie, les circonstances avaient fait qu’il n’avait jamais quitté la surface. Il ne s’en plaignait pas particulièrement, du reste.


Admets-le donc, se disait-il. Ce sont toutes ces histoires de privation sensorielle et de syndrome des profondeurs qui t’ont fait peur.


Pour la première fois de sa vie, il ne sentait pas les mouvements du pont sous ses pieds nus, il n’entendait autour de lui aucune voix, aucun signe d’activité humaine, aucun froissement de plafond organique contre la paroi organique, aucune des mille et une frictions auxquelles, dès l’enfance, les Iliens étaient habitués. Le silence était si intense que ses oreilles lui faisaient mal.

A côté de lui, dans la pièce où Kareen Ale l’avait laissé « pour qu’il s’adapte quelques instants », une large baie de plazverre donnait sur une riche perspective de rouges, de bleus et de verts délavés. La délicatesse de ces tons peu familiers avait absorbé son attention durant plusieurs minutes.

- Je ne suis pas loin, avait dit Ale. Appelez-moi si vous avez besoin de moi.

Les Siréniens connaissaient les faiblesses de ceux qui venaient de là-haut. L’idée de toute cette masse d’eau au-dessus de leur tête suffisait à faire paniquer certains visiteurs ou immigrants. Quant à rester tout seul, même de son plein gré, c’était une chose qu’un Ilien ne pouvait supporter qu’après une certaine adaptation. Quand on avait vécu toute sa vie derrière de minces parois organiques, presque toujours à portée d’oreille du moindre chuchotement, au point qu’on apprenait à ne plus entendre certaines choses - les bruits de l’amour, les querelles en famille ou les chagrins privés - il ne pouvait en être autrement.

Ale cherchait-elle à l’affaiblir en le laissant mariner seul ici ? Ou bien était-elle en ce moment même en train de l’observer au moyen d’un de ces appareils dont les Siréniens avaient le secret? Il était sûr qu’avec son expérience des Iliens et sa formation médicale elle ne pouvait ignorer ces problèmes d’adaptation.

Pour l’avoir maintes fois vue exercer ses talents de diplomate ces dernières années, le juge Keel avait la conviction que Kareen Ale savait ce qu’elle faisait en toute circonstance. Elle n’agissait jamais sans préparation. Et si elle laissait un Ilien seul dans de telles circonstances, c’était qu’elle avait une bonne raison de le faire.

Le silence l’oppressait plus que n’importe quoi.

Une pensée s’imposa impérieusement à son esprit.


Réfléchis, Ward. C’est ce que tu es censé savoir faire le mieux.


Il sursauta, terrifié par le fait que cette admonestation lui était parvenue par la voix de sa mère depuis longtemps décédée. L’impression de réalité transmise par ses centres auditifs était telle qu’il se retourna, presque certain qu’il allait voir un pâle fantôme agitant l’index dans sa direction.

Il prit une profonde inspiration, puis une deuxième, et sentit l’oppression diminuer légèrement dans sa poitrine. Une troisième inspiration, et sa raison redevint incisive. Le silence ne lui pesait plus autant.

Pendant la descente en suba, Ale ne lui avait posé aucune question ni fourni aucune réponse. Et à la réflexion, il trouvait cela anormal. Elle avait l’habitude de bombarder ses adversaires de questions pour ouvrir la voie à ses propres arguments.

Etait-il possible qu’ils l’eussent attiré jusqu’ici simplement pour l’écarter de son poste à la tête de la Commission? Le faire venir comme invité était moins risqué et posait moins de problèmes qu’un enlèvement pur et simple. Il trouvait drôle de se considérer comme une simple marchandise, dotée d’une valeur indéterminée. Drôle mais réconfortant, cependant. Cela signifiait qu’ils n’iraient probablement pas jusqu’à utiliser la violence contre lui.


Je me demande pourquoi j’ai de telles idées? se dit-il.


Il étira ses bras puis ses jambes et alla s’asseoir sur le canapé qui faisait face à la perspective sous-marine. Il fut étonné de le trouver confortable bien que fabriqué avec des matériaux inorganiques. Son âge lui faisait apprécier le moelleux d’un bon siège. Il avait conscience du rémora qui se mourait en lui mais luttait cependant pour survivre. Evitez toute cause d’anxiété, lui avaient dit les médics. Ils voulaient certainement plaisanter, vu la profession qu’il exerçait. Le rémora continuait à produire les hormones indispensables mais on l’avait averti : « Il est possible de le remplacer, mais les autres ne dureront pas longtemps et leur temps de survie diminuera à chaque nouvelle opération car votre organisme aura de plus en plus tendance à les rejeter. »

L’estomac du juge gargouilla. Il avait faim et c’était un bon signe. Il n’y avait rien dans cette pièce qui pût servir à préparer un repas. Il n’y avait pas non plus de moyen de communication visible; ni haut-parleur, ni écran. Le plafond, en pente, grimpait en direction du mur où se trouvait la baie vitrée, à six ou sept mètres du sol.

Quelle extravagance! se dit le juge. Une seule personne dans tout cet espace. Une pièce comme celle-ci aurait pu servir de logement à toute une famille îlienne. L’air était un peu trop frais à son goût, mais il commençait à s’y habituer. La lumière qui entrait par la baie de plazverre faisait jouer sur le sol des reflets verdâtres. Une phosphorescence issue du plafond dominait l’éclairage ambiant. Cette pièce ne devait pas se trouver à une trop grande profondeur, à en juger d’après la lumière extérieure. Mais il y avait quand même des tonnes d’eau sur leur tête. L’idée de toute cette pression fit perler quelques gouttes de transpiration à sa lèvre supérieure. Il passa la paume d’une main moite sur la paroi derrière le canapé. Elle était chaude et ferme. Il respira plus librement. C’étaient des Siréniens qui avaient édifié cet endroit. Leurs constructions étaient solides. Cette paroi était en plastacier. Jamais il n’en avait autant vu de sa vie. Cette pièce, soudain, prenait l’allure d’une forteresse. Les murs étaient secs, preuve que le système de ventilation marchait bien. Les Siréniens côté surface avaient généralement tendance à vivre dans une atmosphère si humide qu’il la trouvait irrespirable. A part Ale, peut-être… mais Ale ne pouvait être comparée à aucun autre être humain à sa connaissance, qu’il fût îlien ou Sirénien. L’atmosphère de cette pièce, décida-t-il en fin de compte, avait dû être réglée pour assurer le confort d’un Ilien. Et il se sentit rassuré par cette pensée.

Le juge tapota la surface du canapé et il songea soudain à Joy. Comme elle aurait aimé passer sa main sur cette matière soyeuse! Une pure hédoniste que cette Joy. Il essaya de l’imaginer étendue sur ce canapé et, dans sa solitude, fut soudain envahi par le désir de sa présence rassurante. Il se prit alors à s’interroger sur lui-même. Toute son existence, il avait surtout vécu en solitaire, avec seulement quelques liaisons par-ci, par-là. Etait-ce la proximité de la mort qui provoquait en lui ce changement angoissé? Cette pensée lui répugnait. Pourquoi infliger sa compagnie à Joy si c’était pour l’accabler par une perte douloureuse et irréparable?


Je vais mourir bientôt.


Il se demanda qui la Commission allait élire Juge Suprême pour le remplacer. Il aurait lui-même accordé la préférence à Carolyn, mais du point de vue politique le meilleur choix était Matts. Au demeurant, il plaignait celui qui allait prendre sa place. La tâche était on ne peut plus ingrate. Et il lui restait encore pas mal de choses à faire avant de céder son fauteuil à son successeur.

Il se mit debout en s’appuyant contre le canapé. Sa nuque lui faisait horriblement mal, comme d’habitude. Ses jambes étaient en coton et il crut qu’elles allaient refuser de supporter son poids. Le symptôme était nouveau. Le pont était en plastacier rigide sous ses pieds et il était heureux qu’il rayonne une bonne chaleur, tout comme les parois. Le juge attendit que les forces lui reviennent puis, s’appuyant à la paroi, se dirigea vers la porte qui était sur sa gauche. Il y avait deux boutons sur le côté. Il appuya sur celui du bas et entendit un chuintement provenant du mur derrière le canapé. Il se tourna pour voir ce que c’était et les battements de son cœur s’accélérèrent.

Tout un pan de mur avait coulissé, découvrant une fresque d’un réalisme terrifiant, presque photographique. La scène représentait un chantier de construction côté surface avec des bâtiments en proie aux flammes. Dans le ciel tourmenté tournaient d’innombrables gyflottes dont certaines tenaient entre leurs tentacules des humains qui se débattaient.


Les gyflottes ont disparu en même temps que le varech, se dit-il.


Ou bien ce tableau était très ancien, ou bien il était dû à l’imagination d’un peintre qui avait voulu reconstituer une scène historique. Le juge Keel penchait plutôt pour la première hypothèse. Les riches couleurs du coucher de soleils, la manière dont étaient disposées les gyflottes, tout convergeait vers un personnage central qui pointait l’index en direction de celui qui regardait le tableau. Ce personnage avait un regard effrayant, sombre et accusateur.


Je connais cet endroit, se dit le juge. Comment est-ce possible ?


Il s’agissait d’un sentiment de familiarité réelle plus que d’une vague impression de déjà-vu. C’était un véritable souvenir. Et sa mémoire lui disait en outre que quelque part dans cette pièce, ou pas très loin, il devait y avoir un mandala rouge.


Comment puis-je savoir une chose pareille ?


Il examina soigneusement toute la pièce. Le canapé, la baie de plaz, le panneau mural, les parois nues, la porte ovale étanche. Pas de mandala. Il posa la main sur la baie. Elle était froide. C’était la seule surface froide de toute la pièce. Ce genre d’installation était difficile à concevoir pour un Ilien. Il n’existait rien de tel sur aucune île. C’eût été impossible. La grumelle vivante aurait attaqué les organiques utilisés pour fixer le hublot de plaz et la surface dure et rigide de celui-ci se serait transformée en engin de destruction à la première tempête. Non; les contrôleurs de jusant et les cornées adaptées étaient bien plus sûrs par mauvais temps, même s’ils demandaient un entretien courant.

Ce plaz était d’une transparence incroyable. Rien au toucher n’indiquait sa haute densité ni son épaisseur. Un petit coprophage aux barbillons démesurés était en train d’en brouter la surface, qu’il nettoyait. Un peu plus loin, deux Siréniens apparurent, chevauchant une plate lourdement chargée de pierres et de vase. Ils traversèrent le champ de vision du juge et disparurent sur la droite derrière une crête.

Par curiosité, il frappa du poing sur le plaz. Le coprophage continua de brouter comme si de rien n’était. Des anémones et des fougères, des éponges et des algues oscillaient dans le courant. Des douzaines d’autres poissons de toutes les couleurs circulaient parmi les thalles d’un champ de varech. Quelques poissons plus gros fouissaient de leur museau la vase du fond, soulevant de petits nuages de limon gris. Keel avait déjà vu ce genre de chose en holo, mais la réalité était différente. Il reconnut certaines espèces dont les représentants, après un séjour au labo, avaient été produits devant la


Commission pour que celle-ci décide s’il fallait les détruire ou les laisser se reproduire dans l’océan.


Un poisson-arlequin surgit au-dessous du coprophage et effleura le plaz. Keel se souvint du jour où la Psyo avait béni les premiers arlequins avant de les relâcher. C’était presque comme s’il retrouvait un vieil ami.

Une fois de plus, le juge se concentra sur la pièce où il se trouvait et sur ces étranges souvenirs qui remontaient de nulle part. Pourquoi avait-il l’impression d’être déjà venu ici? Sa mémoire lui disait que le mandala qu’il cherchait aurait dû se trouver à droite de la fresque. Il retourna jusqu’au mur et y passa la main à la recherche d’un bouton ou de quelque chose. Il ne trouva rien mais la paroi bougea légèrement et il y eut un déclic.

Il examina de plus près la paroi. Elle n’était pas en plastacier mais semblait faite d’un matériau composite beaucoup plus léger. Une fente à peine visible la séparait verticalement en deux parties. Il appuya la main sur la partie de droite, juste à côté de la fente. La paroi céda, révélant un passage, et aussitôt il sentit une odeur de nourriture.

Il ouvrit grand le panneau et passa de l’autre côté. L’étroit couloir tournait à angle droit sur la gauche et débouchait sur une pièce éclairée. Kareen Ale était là, dans une espèce de salle à manger-cuisine, et lui tournait le dos. Une riche odeur de thé et de bouillon de poisson assaillit les narines du juge. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais se figea en voyant le mandala rouge.

La vue de cet objet, par-dessus l’épaule droite de Kareen Ale, fit pousser un soupir au juge Keel. Le mandala aspirait ses perceptions, les contraignait à suivre ses contours, ses lignes qui se faisaient et se défaisaient comme un tourbillon. Au centre de ce tourbillon, un œil observait l’univers. Un œil unique et sans paupières, perché au sommet d’une pyramide en or.


Ces souvenirs ne peuvent m9appartenir, se disait le juge.


C’était une expérience horrible. La mémoire de Nef éclatait dans sa tête en mille fragments. Quelqu’un marchait le long d’une coursive incurvée; la lumière violette d’un agrarium se déversait devant lui. Il se sentait impuissant devant la force de ces visions. Le varech lui faisait des signes quelque part sous la mer et des bancs entiers de poissons que la Commission n’avait jamais homologués défilaient sous ses yeux.

Ale se tourna et vit son expression fascinée, la manière hagarde dont il fixait le mandala derrière elle.


- Vous vous sentez bien ? demanda-t-elle.


Sa voix fit sortir le juge de sa pseudo réminiscence extasiée. Il vida ses poumons en tremblant, prit une longue inspiration.


- Je… j’ai très faim, dit-il.


Il n’était pas question de mentionner l’étrange expérience qui venait de troubler sa mémoire. Comment aurait-elle pu comprendre alors qu’il n’y comprenait rien lui-même ?


- Asseyez-vous, dit-elle.


Elle lui désigna une petite table où le couvert était déjà mis pour deux à l’autre bout de la pièce, à côté d’un petit hublot de plaz. C’était une table basse, comme de coutume chez les Siréniens. Il avait déjà mal aux genoux, rien qu’à l’idée d’y perdre place.


- J’ai fait la cuisine en votre honneur, lui dit Ale.


Comme il ne répondait pas, l’air toujours hébété, elle ajouta :


- La porte de l’autre pièce donne sur un cabinet de toilette de l’autre côté duquel vous trouverez un petit bureau équipé de tout le matériel nécessaire. La sortie est par là également.


Il casa ses jambes sous la table basse et posa les coudes dessus afin de pouvoir soutenir sa tête dans ses mains.

Etait-ce un rêve ? se demanda-t-il.

Le mandala rouge était juste en face de lui mais il avait presque peur d’y fixer son regard.


- Je vois que vous admirez le mandala, fit Ale tout en s’affairant devant ses appareils de cuisson.


Il se força à regarder le dessin mystérieux. Cette fois-ci, rien n’aspira sa volonté au centre de l’antique configuration de lignes. Mais peu à peu, des fragments de ses souvenirs authentiques remontèrent à sa mémoire, des images saccadées qu’il dut saisir au vol. C’était une de ses premières leçons d’histoire, un enregistrement holo dont le foyer se situait au centre de la classe. Il s’agissait d’un docudrame destiné aux tout jeunes enfants. Les Iliens adoraient le théâtre et cette pièce était fascinante. Il avait oublié le titre mais elle évoquait les derniers jours des continents pandoriens - qui ne paraissaient pas du tout petits en holo - et la mort du varech. C’était la première fois que Keel entendait appeler le varech « Avata ». Et derrière les personnages, dans le poste de commandement où se situait l’action, il y avait un mur. Et sur ce mur était peinte la fresque effrayante que Keel avait reconnue tout à l’heure. Mais ce n’était pas tout. La scène suivante montrait, agrandi, le mandala rouge qu’il regardait en ce moment. Le juge Keel ne voulait même pas calculer le nombre d’années qui s’étaient écoulées depuis qu’il avait vu ce docudrame. Pas moins de soixante-dix ans, en tout cas.


Il reporta son attention sur Ale.


- Ce mandala, c’est l’original ou une copie? demanda-t-il.

- On m’a affirmé qu’il s’agissait de l’original. Il est extrêmement ancien, antérieur à tout établissement sur Pandore. On dirait qu’il vous impressionne.

- Je l’avais déjà vu, ainsi que la fresque dans l’autre pièce. Je suppose que cette cuisine est d’installation plus récente?

- J’ai tout réaménagé à mon goût. Ces pièces m’ont toujours beaucoup attirée. Mais la fresque et le mandala n’ont jamais changé de place et je les fais entretenir soigneusement.

- Dans ce cas, je sais où nous sommes. Les Iliens apprennent l’histoire très jeunes grâce à des hologrames et…

- Je sais de quelle pièce vous voulez parler. C’est exact. Nous sommes ici dans l’ancien Blockhaus. Autrefois, il était totalement émergé et adossé à de magnifiques montagnes, à ce qu’il paraît.


Elle apporta un plateau chargé de nourriture et posa les bols et les baguettes sur la table.


- Je croyais que le Blockhaus avait été presque totalement détruit, fit le juge. Ces représentations holo étaient censées reconstituer des épisodes du…

- Plusieurs sections sont demeurées intactes. Les cloisons étanches se sont mises en place automatiquement et ont isolé une grande partie du Blockhaus. Nous avons soigneusement restauré tout ce que nous avons pu.

- Impressionnant.


Le juge Keel hocha la tête. Cela en disait long sur le statut de Kareen Ale au sein de la communauté sirénienne. On avait aménagé tout un secteur de l’ancien Blockhaus uniquement pour son confort. Elle vivait tranquillement dans un véritable musée, sans être apparemment affectée par la valeur historique des lieux et des objets qui l’entouraient. C’était la première fois qu’il rencontrait une personnalité sirénienne dans un environnement Sirénien et il s’apercevait maintenant que cette lacune dans son expérience était une faiblesse.

Il se força à se relaxer. Pour quelqu’un qui se savait condamné à mourir bientôt, il y avait des avantages à trouver ici. Il n’était plus obligé, par exemple, d’user de son pouvoir de vie et de mort envers les vies nouvelles. Il n’avait plus à affronter quotidiennement des mères en pleurs et des pères outragés au sujet d’une progéniture indéfendable devant la Commission. Les problèmes des îles étaient bien loin.

Ale porta sa tasse de thé à ses lèvres. Cela sentait la menthe et Keel se rappela subitement que son estomac criait famine. Il se mit à manger à la mode îlienne, en laissant pour son hôtesse des portions égales aux siennes. Dès qu’il goûta au bouillon de poisson, il fut convaincu qu’il n’avait jamais rien mangé d’aussi savoureux. Etait-ce ainsi que se nourrissait le Sirénien moyen? Une fois de plus, le juge regretta son manque d’expérience des coutumes locales. Son hôtesse s’était servie en même temps que lui et semblait apprécier le contenu de son bol, ce qui était offensant pour un Ilien.

Autre peuple, autre culture, se dit-il. Comme il était frappant de constater qu’une simple différence dans la manière de se tenir à table pouvait conduire à une catastrophe internationale!

Toute une série de questions sans réponses bourdonnaient dans sa tête. Peut-être valait-il mieux éviter de les aborder de manière trop directe et essayer de découvrir un compromis entre la brutalité sirénienne et la circonspection îlienne.


- L’absence d’humidité est bien agréable pour moi, dit-il, mais je me demande comment vous faites pour la supporter. J’ai vu que même côté surface, vous n’utilisiez pas d’éponge ni de crème spéciale comme les autres Siréniens.


Elle baissa les yeux et porta sa tasse de thé devant ses lèvres en l’entourant des deux mains. Elle se cache, se dit le juge.


- Ward, je trouve que vous êtes quelqu’un de bizarre, répondit Kareen Ale en abaissant sa tasse. Ce n’est pas du tout la question à laquelle je m’attendais.

- Et à quelle question vous attendiez-vous ?

- Je préfère vous expliquer d’abord pourquoi je n’utilise pas d’éponge. Vous devez savoir que nous avons ici des locaux qui simulent en permanence les conditions de la surface. J’y ai été élevée. Je suis habituée à un environnement de type îlien. Mais je suis capable de m’adapter rapidement aux conditions d’humidité locales, si c’est nécessaire.

- Vous voulez dire que… dès l’enfance, vous avez été choisie pour travailler côté surface ?


Il y avait de l’incrédulité dans la voix du juge.


- J’ai été désignée pour occuper mes fonctions actuelles, confirma Kareen Ale. Ou, plus exactement, j’ai été choisie au sein d’un groupe élevé spécialement en fonction de certaines normes physiques et mentales.


Le juge la dévisageait d’un air stupéfait. Jamais il n’avait entendu quelqu’un évoquer sa destinée entière avec autant de désinvolture. Ale n’avait pas choisi elle-même son existence! Elle qui pouvait physiquement, contrairement à la majorité des Iliens, choisir la carrière qu’elle voulait!

Il se souvint soudain de la manière dont elle planifiait tout ce qu’elle faisait. Une personne planifiée faite pour planifier. On l’avait… déformée. Elle considérait cela, probablement comme une formation spéciale, mais toute formation n’est qu’une déformation simplement tolérable.


- Vous vivez cependant une existence sirénienne, lui dit-il. Vous suivez leurs coutumes, vous nagez sous l’eau…

- Regardez bien, dit-elle.


Elle déboutonna le haut de sa tunique et la fit glisser pour lui montrer ses épaules. Sa peau était aussi blanche et laiteuse qu’un os au milieu du désert. Juste au-dessus de ses omoplates, il y avait une cicatrice en saillie, parallèle à la colonne vertébrale. C’était la marque caractéristique d’un poisson à air, mais elle n’était pas à sa place habituelle. Il comprit immédiatement ce que cela signifiait.


- Si cette marque était sur votre nuque, elle risquerait de distraire l’attention des Iliens que vous fréquentez, n’est-ce pas?


Il songea soudain que pour arriver à ce résultat, le chirurgien avait dû, entre autres, modifier le parcours de plusieurs vaisseaux sanguins.


- Vous avez une peau magnifique, reprit-il. C’est une honte de vous avoir marquée ainsi.

- On m’a fait cela lorsque j’étais toute petite. Je n’y pense plus. C’est juste une… commodité.


Il résista au désir de lui caresser l’épaule, de toucher son dos lisse et puissant, ses seins nus dont il devinait la rondeur.


Du calme, vieille canaille! se dit-il.


Elle rajusta le haut de son vêtement et se tourna vers lui. Il se rendit compte que son regard parlait pour lui.


- Vous êtes très belle. Kareen, murmura-t-il. Dans les anciens holos, tous les humains ressemblent… à ce que vous êtes, mais…


Il haussa les épaules. Plus que jamais, il sentait le poids de sa prothèse, entre les épaules et le cou.


- Pardonnez à un vieux mutard, reprit-il, mais j’ai toujours pensé à vous comme à une personne idéale.


Elle le regarda en plissant le front.


- C’est la première fois que j’entends un Ilien se donner ce nom de… « mutard ». C’est réellement ce que vous pensez de vous?

- Pas exactement. Mais beaucoup d’Iliens utilisent le terme. Par plaisanterie, la plupart du temps; ou bien, par exemple, lorsqu’une maman excédée gronde son enfant désobéissant : « Sale petit mutard, veux-tu bien retirer tes pattes de ce gâteau? » Ou encore : « Un pas de plus, mutard, et je te mute dans l’autre monde. » Toutefois, quand c’est l’un de nous qui le dit, ce n’est pas trop grave. Mais dans la bouche d’un Sirénien, je ne peux pas vous dire à quel point cela fait du mal. N’est-ce pas ainsi que vous nous appelez entre vous?

- Les Siréniens bornés, peut-être. Dans certains milieux, cela fait partie du langage courant. Personnellement, je n’aime pas ce terme. S’il faut à tout prix établir une distinction, je préfère dire « clone » ou bien « Lon », comme faisaient nos ancêtres. Il est vrai que l’endroit où j’habite doit me donner le goût des mots antiques.

- Vous n’avez donc jamais utilisé ce terme, « mutard », pour nous désigner?


Son visage et son cou, jusqu’à la naissance de sa gorge, s’empourprèrent. Il trouva cela charmant, mais cette réaction était assez éloquente.

Elle posa une main lisse et bronzée sur ses doigts ridés parsemés de taches jaunes.


- Comprenez, Ward, que pour une diplomate… obligée de côtoyer toutes sortes de gens…

- Chez les Iliens, fais comme les Iliens…


Elle retira sa main, laissant celle du juge froide et désappointée.


- C’est à peu près ça, dit-elle.


Elle reprit sa tasse et fit tourner lentement le liquide qui restait au fond. Le caractère défensif du geste n’échappa guère à Keel. C’était la première fois qu’il la voyait aussi peu sûre d’elle-même. Comme il n’était pas vaniteux au point d’attribuer ce trouble aux quelques paroles qu’ils venaient d’échanger, il se disait que la seule chose capable de produire cet effet sur Ale était un événement totalement imprévu, sans précédent diplomatique ou autre, échappant totalement à son expérience et à sa volonté.


- Ward, fit-elle, je crois qu’il y a un point sur lequel vous et moi avons toujours été d’accord.


Elle continuait de regarder le fond de sa tasse.


- Vraiment? dit le juge d’un ton neutre, sans rien faire pour l’encourager à continuer.

- L’humanité est moins une question d’anatomie que de mentalité, poursuivit Kareen Ale. Il faut avoir une certaine dose d’intelligence, de compassion, d’humour… le désir de participer et de…

- Et d’établir des hiérarchies?

- Il y a de cela aussi, je suppose, fit-elle en le regardant enfin dans les yeux. Nous autres Siréniens, nous sommes très fiers de notre corps. Nous nous enorgueillissons d’être restés près de la norme originelle.

- C’est pour cela que vous m’avez montré votre cicatrice ?

- C’est pour que vous puissiez voir que je ne suis pas parfaite.

- Que vous êtes difforme, comme moi?

- Vous ne me facilitez pas la tâche, Ward.

- Vous autres Siréniens, vous avez la chance de pouvoir choisir vos mutations. Les lois de la génétique, naturellement, ajoutent leurs propres contraintes à tout ça. Votre cicatrice ne vous… rapproche pas de moi, mais c’est le cas d’une de vos taches de son, par exemple. J’adore vos taches de son. Elles sont bien plus agréables à porter que ceci… (Il toucha la prothèse qui lui soutenait la nuque…) Non pas que je veuille me plaindre, rassurez-vous. Mais je m’égare dans ces considérations pédantes. Quelle est donc cette tâche que je ne vous facilite pas?


Il se laissa aller légèrement en arrière, satisfait pour une fois des leçons que de longues et monotones années de magistrature lui avaient apportées. Mais lorsqu’elle le regarda de nouveau dans les yeux, il lut la peur sur son visage.


- Il y a parmi les Siréniens, dit-elle, des fanatiques dont le but avoué est d’exterminer tous les… « mutards » de la planète.


La brutalité de ces paroles, le ton neutre avec lequel elles avaient été prononcées, prirent le juge au dépourvu. La vie était une chose précieuse aussi bien pour les Siréniens que pour les Iliens. Il avait pu le constater par lui-même d’innombrables fois au cours de sa carrière. L’idée de tuer volontairement lui donnait la nausée ainsi qu’à la plupart des Pandoriens. Ses propres sentences à rencontre des déviants reconnus dangereux pour la survie de l’humanité lui avaient valu de connaître un isolement considérable durant une partie de sa vie, mais il fallait bien que quelqu’un se charge d’appliquer la loi. Cependant, jamais il n’avait décrété la destruction d’une créature, aussi informe ou monstrueuse fût-elle, sans ressentir personnellement d’horribles tourments intérieurs.


Mais vouloir donner la mort à des millions de…


Il reporta son attention sur Ale en songeant à son attitude récente, à la cuisine qu’elle avait faite elle-même, à son accueil dans ces lieux remarquables et à la cicatrice qu’elle lui avait montrée, bien sûr.

Je suis de votre côté. C’est ce qu’elle semblait vouloir lui dire. Il sentait bien que toutes ses actions convergeaient vers un même but, mais ce devait être quelque chose de difficile à exposer en termes carrés. Autrement, d’où viendrait un tel embarras? Elle essayait probablement de l’amener à partager un certain point de vue.


Quel point de vue?


- Pourquoi? demanda-t-il à haute voix.


Elle prit une inspiration profonde. La simplicité de sa réaction la surprenait visiblement.


- L’ignorance, dit-elle.

- Et de quelle manière se manifeste cette ignorance ?


Les doigts de Kareen Ale pianotèrent nerveusement sur le coin de la nappe. Ses yeux découvrirent une petite tache et s’y fixèrent obstinément.


- Je suis comme un enfant devant vous, dit le juge. Expliquez-moi. Pourquoi « exterminer tous les mutards de la planète »? Vous savez quelles sont mes idées sur la préservation de la vie humaine.

- Ce sont aussi les miennes, Ward, Il faut me croire, je vous en supplie.

- Dans ce cas, fournissez une bonne explication à l’enfant que je suis et nous verrons ensemble ce qu’il convient de faire pour lutter. Qui peut avoir une raison de souhaiter la mort de tant de gens sous le seul prétexte que nous sommes… extranormaux ?


Jamais il n’avait eu à ce point conscience de l’énormité de son nez ou de l’écartement de ses yeux, tellement proches de ses oreilles qu’elles percevaient le fin clic-clic de chaque battement de paupière.


- C’est une question politique, dit-elle. L’appel aux réactions les plus basses est source de pouvoir. Et il y a le problème du varech.

- Quel problème du varech?


La voix du juge était, à ses propres oreilles, blanche et lointaine et… chargée de peur, oui. Exterminer tous les mutards de la planète.


- Avez-vous envie de faire un petit tour? demanda-t-elle, les yeux tournés vers la baie de plaz.

- Comment, dehors? s’étonna Keel en suivant son regard.

- Non; ce serait impossible. Il vient d’y avoir une mascarelle côté surface et tous nos équipages sont occupés à réparer les dégâts que nos chantiers ont subis.


Les yeux du juge firent un effort pour s’accommoder sur sa bouche. Il avait du mal à croire que des lèvres puissent prononcer ce nom de mascarelle sans se mettre à trembler.


- Et les îles? demanda-t-il, la gorge nouée. Y a-t-il eu beaucoup de victimes?

- Pratiquement aucune, Ward. Uniquement des dégâts matériels mineurs. Les mascarelles appartiendront peut-être bientôt au passé.

- Je ne comprends pas.

- Celle-ci était plus faible que bien des tempêtes d’hiver auxquelles vous survivez chaque année. Nous avons mis en place plusieurs réseaux de terres émergées. Un jour, elles deviendront des îles. De véritables îles soudées à la planète au lieu de dériver à vau-l’eau. Et plus tard, certaines formeront, nous l’espérons, de véritables continents.


Des terres émergées! se dit le juge avec un serrement de cœur. Cela signifie qu’il y aura aussi des hauts-fonds.


Rien de plus facile, pour une île, que de s’échouer sur des hauts-fonds. La catastrophe ultime, dans le jargon des historiens. Et elle parlait d’accroître volontairement le risque qui constituait la plus grande terreur des Iliens.


- Quelle quantité de terres émergées ? demanda-t-il d’une voix qu’il s’efforça de rendre naturelle.

- Pas beaucoup; mais ce n’est qu’un début,

- Il faudrait une éternité pour…

- Longtemps, Ward, c’est certain; mais pas une éternité. Nous y travaillons depuis plusieurs générations. Et dernièrement, nous avons reçu de l’aide. Vous n’êtes pas enthousiasmé à l’idée que ces choses-là s’accomplissent de votre vivant?

- Je n’ai pas très bien saisi le rapport avec le varech, fit le juge, désireux de se soustraire à l’influence hypnotique qu’elle cherchait visiblement à exercer sur lui.

- Ne comprenez-vous pas que le varech est la clef de tout? fit-elle. C’est d’ailleurs ce que tout le monde s’accorde à dire, aussi bien Iliens que Siréniens. Avec l’aide du varech et quelques barrières artificielles bien placées, nous pouvons nous assurer la maîtrise des courants marins. Dans leur totalité.


La maîtrise, se dit le juge. Typiquement Sirénien.


Il doutait qu’ils puissent dompter l’océan; mais s’ils pouvaient agir sur les courants, ils pouvaient également agir sur les mouvements des îles.


Quel degré de maîtrise?


- Dans un système à deux soleils comme le nôtre, fit-il à haute voix, les distorsions gravitationnelles rendent inévitables les séismes, mascarelles et…

- Ce n’était pas le cas lorsque le varech avait toute sa force, Ward. Et maintenant qu’il en a retrouvé une petite partie, cela fait une différence. Vous verrez. Les courants eux-mêmes vont devenir un facteur de consolidation - par les sédiments qu’ils apportent - au lieu d’être des agents de dégradation.


Dégradation,


Il regarda le splendide visage de Kareen Ale. Savait-elle seulement ce que signifiait ce terme? Il n’avait pas que des connotations techniques.

Se méprenant sur les raisons de son silence, elle poursuivit tête baissée :


- Nous possédons toutes les données sur cette planète depuis le commencement. Nous pouvons programmer sa reconstruction en tenant compte de la mort du varech et de tous les détails.


Non; pas tous les détails.


Le juge se tourna de nouveau vers la magnifique plantation derrière la baie de plaz. Le varech était si luxuriant à cet endroit qu’il cachait presque entièrement le fond. On ne voyait aucun rocher. Enfant, il avait renoncé à observer le courant parce qu’il n’y avait jamais rien d’autre à voir que des rochers… et de la vase. Quand l’eau était assez claire et assez basse pour qu’on y voie quelque chose. Apercevoir le fond quand on se trouve sur une île, cela a de quoi vous faire courir un frisson le long de l’épine dorsale.


- A quelle distance de la surface se trouvent ces barrières artificielles? demanda-t-il.


Elle se racla la gorge, évitant son regard.


- Dans le secteur où nous sommes, les lignes de brisants commencent à se former. Je pense que les guetteurs de Vashon ont dû en signaler. Cette mascarelle les a fait dériver dans la direction de nos…

- Vashon a un tirant d’eau de cent mètres en son centre! protesta le juge. Les deux tiers de sa population vivent au-dessous de sa ligne de flottaison. Cela représente un demi million de vies humaines! Comment pouvez-vous parler avec une telle désinvolture de quelque chose qui met en danger un si grand nombre de…

- Ward! fit-elle d’une voix où perçait une pointe de glace. Nous n’ignorons pas les dangers que cela représente pour vos îles et nous en tenons compte. Nous ne sommes pas des assassins. Nous avons entrepris de réhabiliter le varech et de donner des continents à cette planète. C’est une œuvre monumentale que nous poursuivons depuis des générations.

- Une œuvre que vous avez gardée secrète et dont vous ne partagez pas les dangers avec les Iliens. Faut-il donc que nous soyons sacrifiés à vos…

- Personne ne sera sacrifié!

- Ce n’est certainement pas le point de vue de vos amis qui veulent exterminer les mutards de Pandore! C’est ainsi qu’ils comptent s’y prendre? En faisant échouer nos îles sur vos barrières et vos continents ?

- Nous nous doutions que vous ne comprendriez pas. Vous devriez admettre que les îles n’ont pas d’avenir, contrairement à ceux qui les peuplent. Je vous accorde que nous aurions dû faire participer les Iliens depuis longtemps à ces projets. Mais nous ne l’avons pas fait. (Elle haussa les épaules.) Cependant, nous le faisons maintenant. Je suis chargée de vous dire ce qu’il y a lieu que nous fassions ensemble pour éviter le pire. Ma mission est de vous convaincre de coopérer à…


- A l’extermination des Iliens!

- Non, Ward; soyez raisonnable, bon sang! Coopérer à sauvegarder l’avenir des Iliens et des Siréniens. Il faut qu’un jour, tous ensemble, nous puissions à nouveau fouler le sol de cette planète.


Elle disait cela d’un ton sincère, cela ne faisait aucun doute, mais il ne lui faisait pas pour autant confiance. C’était une diplomate, entraînée à mentir de manière convaincante. La seule énormité de ce qu’elle proposait…

Elle fit un geste de la main en direction des luxuriantes plantations :


- Regardez comme le varech est prospère. Mais ce n’est plus qu’une plante et non une entité sentiente comme avant son extermination par nos ancêtres. Naturellement, nous avons pu récupérer une partie des gènes disséminés dans le patrimoine humain lors de…


~ Ce n’est pas au Juge Suprême que vous allez donner une leçon de génétique, grogna Ward. Nous sommes au courant de tout ce qui concerne votre « bêtavarech ».

Elle s’empourpra et il se demanda quelle pouvait être la signification de cette réaction émotionnelle. C’était la première fois qu’il la voyait rougir. Cela faisait partie des artifices d’une bonne diplomate, sans doute. Mais pourquoi n’avait-elle pas usé de ce talent avant? A moins que… la situation soit trop grave pour qu’elle réprime ses émotions. Il décida de l’observer attentivement pour voir si cela se reproduisait.


- Ce terme de « bêtavarech » est bon pour des écoliers, dit-elle. Il est tout à fait ridicule et inapproprié.

- Vous essayez de détourner la conversation accusa le juge. A quelle distance se trouve actuellement Vashon de vos premières lignes de brisants ?

- D’ici quelques minutes, je vais vous emmènerez faire un petit tour et vous verrez. Mais il faut que vous compreniez que nous…

- Non. Je refuse absolument de comprendre - et vous voulez dire accepter, en réalité - une entre prise qui met en péril un si grand nombre de vies îliennes. Un si grand nombre de vies tout court Vous parlez de maîtriser les choses. Avez-vous seulement idée des énergies en jeu dans le moindre déplacement d’une île? Dans la manœuvre patiemment élaborée d’une masse aussi gigantesque? Cette maîtrise dont vous semblez si fière ne prend pas en considération les forces cinétiques du…

- Mais bien sûr que si, Ward. Je ne vous ai pas fait venir jusqu’ici pour vous offrir le thé, ni pour discuter avec vous. J’espère que vous avez toutes vos jambes, reprit-elle en se levant, car il va falloir que vous marchiez un peu.


Il se mit péniblement debout, en essayant de dérouiller ses genoux. Son pied gauche endormi fourmillait désagréablement. Etait-ce possible, tout ce dont elle venait de parler? Il ne pouvait échapper à la terreur innée que ressentaient tous les Iliens à l’idée de trouver un haut-fond sur leur route. Une ligne blanche à l’horizon signifiait une mort certaine : soit une mascarelle, soit des brisants découverts par un mouvement de marée Personne ne pouvait rien changer à cela.


L'effet Lazare
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