Est-ce que l’eau du sommeil n’a pas dissous notre être?
Gaston Bachelard,
La Poétique de la rêverie,
Manuel du Psychiatre-aumônier.
Duque fut réveillé par une secousse, une secousse délibérée destinée à le tirer du sommeil. Il avait été poussé, bousculé, écrasé, ballotté dans son sanctuaire liquide aux’ côtés de la grande Vata, mais c’était bien la première fois depuis son enfance qu’on le secouait pour le réveiller. Et le plus surprenant : c’était Vata qui faisait cela. Tu es réveillée! pensa-t-il.
Mais il n’y eut pas de réponse. Il sentait simplement sa présence avec une intensité, une clarté qu’il éprouvait pour la première fois. C’est pour cette raison qu’il se dressa, souleva un bras jusqu’à son visage et ouvrit son bon œil de son poing fermé.
Cela, naturellement, fit accourir les gardes du Bassin de Vata. Mais ce que Duque vit de son œil compensait largement le fait d’avoir attiré ces crétins. Vata avait l’un de ses grands yeux bruns, le gauche, ouvert, il était presque collé à celui de Duque. Il déglutit précipitamment. Il était sûr qu’elle le voyait.
Vata ?
Il essaya à haute voix.
- Vata?
Ceux qui se trouvaient, de plus en plus nombreux, autour du bassin, laissèrent échapper une exclamation. Duque savait que la Psyo n’allait pas tarder à arriver.
Il sentit quelque chose s’engouffrer dans sa conscience, comme une rafale de vent plaintif. C’était une brise chargée de pensées cachées, mais il en sentait la puissance patiente, imminente.
Duque était stupéfait. Il avait l’habitude, depuis longtemps, de recevoir dans sa tête les explosions fracassantes qui émanaient de Vata. C’était sa façon à elle de se libérer des fureurs et des frustrations qui la prenaient de temps à autre. Mais ce qu’elle lui transmettait à présent était tout différent. C’était une vision de la Psyo toute nue, en train de danser devant un miroir. Depuis un certain temps, Vata refoulait les pensées de femmes nues de la tête de Duque. Fureur! Vata était furieuse. Il bloqua la furie et concentra son regard intérieur sur les formes souples et les seins fermes de la Psychiatre-aumônière qui agitait sans répit ses hanches pâles devant le miroir. Le bassin était devenu incroyablement chaud. La robe préférée de Simone Rocksack formait un tas bleu et froissé à ses pieds. De tout son être, Duque aspirait à toucher cette vision, ce corps d’une beauté sauvage que la Psyo cachait au monde.
C’est alors qu’il aperçut les mains. Deux mains larges et pâles qui glissèrent leurs doigts sinueux dans l’image reflétée par le miroir pour empoigner les seins tressautant au rythme de la danse lancinante. C’était un homme, un homme de stature puissante, qui continua ses intenses caresses jusqu’à ce qu’elle ralentisse sa danse puis s’arrête, frémissante, tandis que les lèvres de l’homme glissaient sur ses épaules, ses seins, son abdomen, ses cuisses luisantes. La chevelure blonde et abondante de l’homme était un aimant pour les doigts de la Psyo qui l’attirait à elle, le collait à son corps. Et ils firent l’amour, lui toujours derrière elle, face au miroir.
La vision s’acheva dans un éclair blanc de fureur et le nom GALLOW fit éruption dans la conscience de Duque. Quand il se concentra de nouveau sur l’œil collé au sien, il vit l’annonce d’un danger.
- Danger… murmura-t-il. Gallow… danger… Simone… Simone…
L’œil brun de Vata se referma et Duque se sentit libéré d’un étau massif qui lui enserrait les entrailles. Il se laissa aller en arrière, respirant plus librement, et écouta le brouhaha des nombreux témoins qui s’étaient amassés au bord du bassin et qui spéculaient sur ce qu’ils venaient de voir. Peu à peu, Duque retomba dans le sommeil.
Quand la Psychiatre-aumônière arriva au bord du bassin, il n’y avait plus aucune trace visible des étranges phénomènes rapportés par les observateurs.