Quelle cruauté de la part de Nef, de laisser orbiter tout ce dont nous avons besoin hors de portée au-dessus de nos têtes alors que cette horrible planète nous extermine un par un. Six naissances hier côté soir. Deux survivent.
Hali Ekel, Journal.
Sentant sur sa peau la chaleur des soleils pénétrant par l’écoutille ouverte, Iz Bushka se passa la main sur la nuque et tendit les muscles de ses épaules. Il n’osait pas se laisser aller à frissonner en présence de Gallow et des autres membres de l‘équipage de ce suba Sirénien.
C’est par orgueil que j’ai accepté l’invitation de Gallow, se dit Bushka. Par orgueil et aussi par curiosité. Pour satisfaire mon amour-propre.
Il trouvait bizarre que quelqu’un - même quelqu’un d’aussi égocentrique que Gallow -puisse exprimer le besoin d’avoir un « historien personnel ». Tout ce qui l’entourait incitait Bushka à la plus grande prudence.
Le suba Sirénien où ils se trouvaient lui était relativement familier. Il avait eu l’occasion de visiter un bâtiment de ce type qui faisait escale à Vashon. C‘étaient d‘étranges navires bourrés d’instruments compliqués, de cadrans et de manettes incompréhensibles. En tant qu’historien, Bushka n’ignorait pas que ces subas Siréniens étaient très proches de ceux que construisaient les premiers colons de Pandore avant le Grand Cataclysme, que certains appelaient aussi la « Nuit du Feu ».
- C’est un peu différent de vos subas îliens, hein? demanda Gallow.
- Différent, oui, répondit Bushka; mais pas assez pour que je ne me sente pas capable de le piloter.
Gallow plissa un sourcil, comme s’il prenait les mesures de Bushka pour lui confectionner un costume.
- Je suis déjà monté à bord de l’un des vôtres, fit-il. Qu’est-ce que ça puait!
Bushka était forcé d’admettre que les organiques qui formaient le matériau et assuraient la propulsion des submersibles îliens dégageaient une odeur qui pouvait rappeler celle d’un égout. Il s’agissait des nutriments, bien sûr.
Gallow était assis aux commandes du suba, en avant de Bushka et sur le côté. L’espace dont ils disposaient était bien plus large que tout ce que pouvait offrir un suba Sirénien, mais il fallait se méfier des angles durs. Déjà, Bushka s’était fait des bleus un peu partout en se cognant à l’écoutille, aux bras des sièges et aux poignées des portes étanches.
Gallow maintenait le suba stationnaire à la surface de l’océan. La houle était longue aujourd’hui, légère selon les critères îliens. Le clapot était faible contre la coque.
Leur « excursion », comme l’avait appelée Gallow, avait à peine commencé que Bushka s’était aperçu du danger où il s’était mis. Un danger mortel. Quelque chose lui disait que ces gens n’hésiteraient pas à le tuer s’il ne se montrait pas à la hauteur. À la hauteur de quoi, c’était à lui de le découvrir.
D’après la conversation décousue de Gallow, celui-ci préparait une sorte de coup d’Etat contre le gouvernement Sirénien. Il parlait tout le temps de son « Mouvement », de ses « Capucins verts » et de la Base de Lancement n° 1. Il contrôlait tout cela, disait-il. Et ses propos étaient si explicites et si évidents que Bushka ressentait la peur millénaire qui s’emparait de tous ceux qui avaient osé écrire l’histoire pendant qu’elle se déroulait sous leurs yeux. Il y avait à cette peur, au demeurant, un côté excitant.
Gallow et ses hommes se révélaient être un groupe de conspirateurs qui en avaient trop dit en présence d’un ex-Ilien.
Pourquoi ont-ils fait ça ?
Ce n‘était certes pas parce qu’ils le considéraient comme l’un des leurs. Tout leur comportement indiquait le contraire. De plus, ils ne le connaissaient pas assez pour lui faire confiance, même en tant qu’historien personnel de Gallow. Bushka n‘avait aucun doute sur ce point précis. La réponse était là, évidente pour quelqu’un qui possédait la formation de Bushka. Il y avait tellement de précédents historiques.
Ils ont fait ça pour me piéger.
Les implications étaient tout aussi évidentes. S’il était entraîné dans les machinations de Gallow -quelles qu’elles fussent- il resterait à jamais lié au destin de cet homme, car il n’aurait aucun autre endroit où aller. Gallow voulait en fait avoir à son service un historien captif, et peut-être bien plus. Il voulait entrer dans l’histoire selon ses propres conditions. Il voulait faire l’histoire. Le Sirénien n‘avait pas caché qu’il s’était renseigné sur Bushka : « le meilleur historien îlien ».
Un peu jeune et manquant d’expérience pratique, c’était ainsi que Gallow l’avait catalogué. Facilement modelable. Sans compter l’attrait terrifiant de son autre argument. « C’est nous qui sommes les vrais humains », avait-il dit. Et point par point, il avait comparé les caractéristiques physiques de Bushka à la « norme », pour conclure : « Vous êtes l’un d’entre nous. Vous n’êtes pas un mutard. » L’un d’entre nous.
Quel pouvoir d’attraction il y avait dans ces mots, particulièrement pour un Ilien et surtout dans le cas où la conspiration de Gallow serait couronnée de succès.
Mais je suis un écrivain, se rappela Bushka, et non un personnage romanesque tiré d’une histoire d’aventures.
L’histoire lui avait enseigné à quel point il était dangereux pour un auteur de se confondre avec ses personnages - ou pour un historien avec ses sujets.
Le suba fit une embardée et Bushka comprit que quelqu’un était en train de déverrouiller le panneau d’accès extérieur.
- Vous êtes sûr que vous sauriez piloter ce suba? demanda Gallow.
- Certainement. Les commandes sont assez claires.
- Vraiment?
- Je vous ai regardé faire. De plus, les subas îliens ont pas mal d’équivalents organiques. N’oubliez pas que j’ai mon brevet de navigation, Gallow.
- GeLaar, je vous en prie, fit Gallow en se dessanglant et en lui offrant le siège de pilotage. Nous sommes des compagnons, à présent, Iz. .Vous pouvons nous appeler par notre prénom.
Bushka se glissa devant les commandes et les désigna une par une en nommant leur fonction :
- Assiette, ballast, propulsion avant-arrière et commande des gaz, mélange de carburants, contrôle de conversion d’hydrogène, injecteur d’humidité et régulateur d’atmosphère. Les indicateurs et les cadrans sont assez explicites. Ça vous va comme ça?
- C’est parfait, Iz. Vous êtes encore plus précieux que je ne le pensais. Sanglez-vous. Vous êtes notre nouveau pilote.
Tout en se rendant compte qu’il venait de se laisser entraîner encore plus dans la conspiration de Gallow, Bushka lui obéit. Le malaise qu’il ressentait au creux de l’estomac s’accrut considérablement.
Le suba fit une nouvelle embardée. Bushka tourna un bouton pour activer un senseur au-dessus du panneau d’accès extérieur. L’écran au-dessus du tableau de bord lui montra Tso Zent et, derrière lui, le visage couturé de Nakano. Ces deux-là avaient un air fourbe à souhait. Zent lui avait été présenté comme le premier stratège de Gallow « et, naturellement, mon assassin en chef ».
Bushka avait dévisagé stupidement l’assassin en chef, pris de court par le titre. Zent avait la peau fine et l’air d’un enfant de chœur jusqu’à ce que l’on remarque la lueur d’agressivité farouche tapie dans ses petits yeux marron. Sa peau sans rides avait l’aspect trompeur d’une musculature puissante obtenue seulement par l’exercice de la natation. La marque d’un poisson à air était imprimée sur sa nuque. Zent faisait partie de ces Siréniens qui préféraient les poissons aux bouteilles d’air comprimé. Un trait intéressant.
Nakano était un géant aux épaules massives et aux bras aussi épais que le torse de certains hommes. Son visage balafré avait été ravagé par l’explosion d’une fusée sirénienne lors d’un lancement malheureux. Gallow avait déjà raconté deux fois l’histoire à Bushka, et celui-ci avait l’impression qu’il l’entendrait encore. Nakano laissait pousser une touffe de poils clairsemés au bout de son menton déformé; à part cela, il était chauve et les cicatrices de ses brûlures se dessinaient en relief sur son crâne, son cou et ses épaules.
- Je lui ai sauvé la vie, avait dit Gallow en parlant devant Nakano comme s’il n’était pas là. Il est prêt à faire n’importe quoi pour moi.
Bushka avait trouvé des traces de chaleur humaine chez Nakano : une main tendue pour empêcher le nouveau « compagnon » de tomber, et même un certain sens de l’humour.
- L’expérience des subas se mesure au nombre de bleus, avait-il déclaré en souriant timidement. Sa voix était rauque et un peu voilée.
Chez Zent, par contre, il n’y avait ni humour ni chaleur humaine.
- Les écrivains sont dangereux, avait-il dit quand Gallow lui avait expliqué la fonction de Bushka. Ils parlent à tort et à travers.
- Ecrire l’histoire au moment où elle se déroule est une tâche dangereuse, avait concédé Gallow. Mais personne ne lira ce que va écrire Iz avant que nous ne soyons prêts. C’est un avantage.
C’était à ce moment-là que Bushka avait réalisé vraiment le danger de sa situation. Ils se trouvaient alors à bord du suba, à soixante-dix cliques de la base sirénienne, ancrés à la lisière d’un immense banc de varech. Gallow et Zent avaient tous deux cette habitude irritante de parler de lui comme s’il n’était pas là.
Bushka se retourna pour jeter un coup d’œil à Gallow qui se tenait debout, adossé au siège du pilote, et regardait par un petit hublot de plazverre ce que préparaient Zent et Nakano sur le pont. La grâce et la beauté de Gallow avaient pris une nouvelle dimension aux yeux de Bushka, qui n’avait pas manqué de remarquer la terreur manifestée par le Sirénien quand il avait évoqué l’accident qui avait défiguré Nakano. Celui-ci représentait un exemple vivant de ce que Gallow redoutait le plus au monde.
Une nouvelle notation chantée alla rejoindre F« histoire réelle » de Bushka, celle qu’il tenait à jour, pour lui seul dans sa tête à la manière ancestrale des Iliens. Une grande partie de l’histoire îlienne était transmise par ces chants rythmés qui se mettaient en place naturellement, comme les morceaux d’un puzzle, dans la mémoire. Le papier, chez les Iliens, était une matière périssable, soumise au pourrissement. Quel contenant aurait pu le garder sans l’attaquer lui-même? Les archives permanentes étaient confiées au plaz ou à la mémoire des hommes. Le plaz était réservé aux riches. N’importe qui pouvait apprendre un chant par cœur.
« Les cicatrices du temps font horreur à GeLaar », se chantait Bushka. « Le temps c’est la vieillesse et la vieillesse attend. Pas la mort mais le temps qui tue. »
Si seulement ils savaient, se dit Bushka.
Il sortit un carnet de sa poche et y inscrivit quatre lignes innocentes pour l’histoire officielle de Gallow. Date, heure, lieu, personnes.
Zent et Nakano rentrèrent dans la cabine sans dire un mot. L’eau de mer dégoulinait de leurs vêtements tandis qu’ils s’asseyaient sur les sièges à côté de Bushka et commençaient la vérification des instruments de bord. Ils procédaient en silence, silhouettes grotesques dans leurs combinaisons de plongée à rayures vertes. « Camouflage », avait expliqué Gallow en réponse à la question muette de Bushka la première fois qu’il les avait vus.
Gallow les regarda faire dans un silence approbateur jusqu’à ce que la vérification fût terminée, puis il ordonna :
- Préparez-vous à plonger, Iz. Cap à trois cent vingt-cinq degrés. Maintenez-nous juste en dessous de la zone de turbulence des vagues.
- Bien compris.
Bushka exécuta le commandement, sentant l’énergie en réserve dans l’appareil tandis qu’il l’orientait sans heurt. L’économie d’énergie était pour les Iliens une seconde nature et il équilibrait autant par instinct que par la lecture de ses instruments.
- Du velours, commenta Gallow. (Il se tourna vers Zent.) Tu vois? Je te l’avais dit.
Zent ne répondit pas, mais Nakano sourit à Bushka.
- Il faudra m’apprendre à piloter comme ça.
- Avec plaisir.
Bushka se concentrait sur les commandes, désireux de se familiariser avec elles et de sentir dans ses mains le moindre tressaillement de la coque au contact de l’eau. La puissance latente de ce suba Sirénien le tentait. Il imaginait comment il devait réagir quand on le sollicitait à fond. Mais le carburant devait partir en fumée, et les moteurs à hydrogène risquaient de trop chauffer.
Bushka décida qu’il préférait les subas îliens. Les organiques avaient la souplesse et la chaleur de la vie. Les unités îliennes étaient plus petites, assurément, et sujettes aux accidents biologiques, mais il v avait quelque chose de fascinant dans l’interdépendance de l’équipage et de son navire. Les Iliens n‘avaient pas l’impression de se lancer à l’aveuglette dans les profondeurs de la mer. Un suba îlien pouvait être considéré comme un assemblage de valves et de tissus musculaires, essentiellement un gros calmar sans cerveau ni entrailles mais capables de procurer, quand il se déplaçait, une sensation de douceur sans à-coups ni vibrations bruyantes.
Gallow se pencha pour parler à l’oreille de Bushka :
- Mettez-nous donc un peu plus d’humidité, Iz. Vous voulez nous dessécher?
- Là, fit Nakano en désignant un cadran alphanumérique au-dessus de Bushka, sur la courbure de la coque, où le chiffre 21 s’affichait en rouge. Le minimum, pour nous, c’est quarante pour cent.
Bushka opéra le réglage par paliers. Il voyait là un autre point faible des Siréniens. A moins d’être acclimatés à l’existence côté surface - ce qui pouvait être le cas des diplomates ou de certains représentants d’entreprises commerciales - les Siréniens souffraient d’être exposés à l’air sec. Leur peau se craquelait, leurs poumons s’essoufflaient, leurs muqueuses s’excoriaient.
Gallow toucha l’épaule de Zent :
- Situe-nous l’île de Guemes.
Zent parcourut des yeux les instruments de navigation tandis que Bushka l’observait à la dérobée. Quelle était cette nouveauté? Pourquoi voulaient-ils repérer la position de Guemes? C’était l’une des îles les plus pauvres, à peine assez grande pour maintenir ses dix mille âmes au-dessus du seuil de malnutrition. Pourquoi Gallow s’y intéressait-il ?
- Grille vectorielle 5, énonça Zent. Deux cent quatre-vingts degrés, huit cliques. Top.
Il avait enfoncé une touche et l’écran de navigation au-dessus du tableau de bord avait affiché une grille verte. Dans l’un des carrés, il y avait une petite tache aux contours informes.
- Le cap à deux cent quatre-vingts degrés, Iz, commanda Gallow. Nous allons à la pêche.
A la pêche? se dit Bushka. On pouvait équiper un suba pour la pêche, mais il n’avait rien vu de ce genre à bord. Sans compter qu’il n’aimait pas tellement la manière dont Zent venait de ricaner.
- Le Mouvement va marquer l’histoire de son empreinte, poursuivit Gallow. Observez bien, Iz; et prenez note.
Le Mouvement. Gallow en parlait toujours avec un grand M, et souvent entre guillemets, comme s’il voyait déjà ce mot gravé dans le plaz d’un livre d’histoire. Quand Gallow disait « le Mouvement », Bushka sentait derrière de puissantes ressources, de nombreux soutiens anonymes et des influences politiques haut placées.
Exécutant les ordres de Gallow, Bushka sortit les ailerons de plongée de leur logement, vérifia sur les détecteurs de distance que la voie était libre, lut les indications données par l’écran central et l’horizon artificiel. Toutes ces opérations étaient devenues presque automatiques. Le suba commença lentement sa descente tout en prenant le cap.
- Vecteur de profondeur en hausse, annonça Zent en souriant.
Bushka remarqua ce sourire, qui lui était adressé, dans le reflet d’un écran. Il en prit mentalement note. Zent devait savoir à quel point cela irritait un pilote, qu’on lise ainsi tout haut l’indication d’un instrument sans y être invité. Personne n’aime qu’on lui dise ce qu’il sait déjà.
L’atmosphère de la cabine commence à devenir poisseuse, se dit Bushka. Ses poumons d’Ilien suffoquaient avec toute cette humidité. Il réduisit la concentration d’eau en se demandant s’ils allaient protester avec trente-cinq pour cent. Il mit le cap automatique.
- Le cap est pris, fit Zent sans cesser de sourire.
- Zent, vous ne pourriez pas aller jouer ailleurs ? demanda Bushka.
Il mit les ailerons de plongée à l’horizontale et les verrouilla.
- Je ne reçois pas d’ordres d’un gratte-papier, grommela Zent.
- Allons, allons, intervint Gallow, mais il y avait de l’amusement dans sa voix.
- Il n’y a que des mensonges dans les livres, reprit Zent.
Nakano, qui avait l’hydrophone aux oreilles, souleva l’un des écouteurs.
- Ça grouille d’activité, dit-il. Je compte plus de trente bateaux de pêche.
- Un coin fréquenté, dit Gallow.
- Je capte aussi des émissions en provenance de Guemes. Et de la musique. Voilà une chose que je regretterai. La musique îlienne.
- Ça ressemble à quoi? demanda Zent.
- Il n’y a pas de paroles, mais c’est bon pour danser.
Bushka jeta un coup d’œil interrogateur à Gallow.
Que veut dire Nakano, une chose qu’il regrettera ?
- Gardez le cap, fit Gallow.
Zent tendit la main pour que Nakano lui passe le casque. Il s’adressa à GeLaar :
- Pourquoi disais-tu que les Iliens de Guemes n’étaient que des paumés? Je croyais qu’ils connaissaient à peine la radio.
- Guemes a perdu au moins une demi-clique de diamètre depuis que j’ai commencé à m’y intéresser l’année dernière. Leur grumelle dépérit. Ils sont si pauvres qu’ils n’arrivent même plus à la nourrir.
- Que faisons-nous ici? demanda subitement Bushka. Si ce sont des paumés qui crèvent de faim, en quoi peuvent-ils être utiles au « Mouvement »?
Il avait un pressentiment. Quelque chose de grave se préparait.
Que veulent-ils de moi? A quel sale coup veulent-ils me mêler? Il leur faut un Ilien comme bouc émissaire?
- Ils feront une première démonstration parfaite, lui répondit Gallow. Ce sont des traditionalistes, des fanatiques irréductibles. Je ne mettrai à leur crédit qu’une manifestation de bon sens. Alors que d’autres îles suggèrent qu’il serait temps d’abandonner la surface, Guemes envoie des délégations pour protester.
C’était cela, le secret de Gallow? se demanda Bushka. Il voulait que tous les Iliens restent côté surface ?
- Des traditionalistes, répéta Gallow. Cela signifie qu’ils attendent que nous créions des continents pour eux. Ils s’imaginent que nous les aimons tellement que nous allons leur offrir des terres sur un plateau, que nous allons planter du varech, remuer des tonnes de boue et de rocs pour leurs beaux yeux!
Les trois Siréniens éclatèrent de rire et Bushka les accompagna d’un sourire. Il ne voyait rien de drôle dans tout cela, mais que pouvait-il faire d’autre?
- Tout serait tellement plus facile si les Iliens apprenaient à vivre comme nous, fit Nakano.
- Tous les Iliens? demanda Zent.
Bushka sentit la tension grandir tandis que la question de Zent demeurait quelques instants sans réponse. Finalement, ce fut Gallow qui murmura :
- Seulement ceux qui le méritent, bien sûr.
- Ceux qui le méritent, répéta Nakano, mais d’une voix sans force.
- Ce sont tous des fauteurs de trouble! s’écria Gallow. Vous avez déjà eu des contacts avec les missionnaires de Guemes, Iz?
- Seulement lorsque nos deux îles ont été portées par des courants voisins, répondit Bushka. Dans ces cas-là, les visites et les échanges sont le prétexte de nombreuses réjouissances.
- Et nous n’arrêtons pas de renflouer et de remorquer vos coques de noix, fit Zent. C’est pour cela que vous aimeriez bien continuer à nous voir patauger dans la boue.
- Allons! fit Gallow en posant une main sur l’épaule de Zent. Iz est l’un des nôtres à présent.
- Plus tôt nous mettrons de l’ordre dans cette pagaille, mieux cela vaudra, poursuivit Zent. Il n’y a aucune raison de vivre ailleurs que sous la surface. Nous avons déjà tout prévu.
Bushka prit mentalement note de cette remarque, mais elle l’étonnait. S’il comprenait la haine que Gallow éprouvait pour Guemes, cela n’expliquait pas pourquoi les Siréniens disaient que tout le monde devrait vivre en bas.
Tout le monde vivrait aussi richement que les Siréniens? Cette pensée n’excluait pas une certaine mélancolie. Que faudrait-il abandonner de nos anciennes coutumes îliennes ? Il leva les yeux vers Gallow.
- Guemes… est-ce que nous allons…?
- Ce fut une erreur d’élever une Guémienne aux fonctions de Psyo, déclara Gallow sans prêter attention à ce qu’il disait. Les Guémiens ne voient jamais les choses de la même façon que nous.
- Ile en vue, annonça Zent.
- Vitesse réduite, ordonna Gallow.
Bushka exécuta le commandement, ce qui se traduisit par un soulagement immédiat des vibrations le long de sa colonne vertébrale.
- Quelle est notre position verticale? demanda Gallow.
- Nous sommes à une trentaine de mètres au-dessous de leur quille, répondit Zent. Incroyable! Ils n’ont même pas de guetteurs. Regardez, pas même un ou deux bateaux pour les précéder.
- C’est un miracle qu’ils soient encore en un seul morceau, fit Nakano avec une pointe d’ironie dont Bushka ne réussit pas très bien à discerner l’objet.
- Amenez-nous jusque sous leur quille, Iz, ordonna Gallow.
Que sommes-nous en train de faire ici? se demanda Bushka tout en obéissant.
L’écran de proue montrait le fond bulbeux de Guemes, un tapis de grumelle brun rouge avec de larges zones décolorées qui commençaient à s’effilocher. Oui, Guemes était en mauvaise condition. Des parties essentielles de l’île dépérissaient.
Bushka respirait par petites gorgées rapides dans l’air trop humide. Le suba Sirénien était trop près pour de simples observations. Et ce n’était pas de cette manière que l’on s’approchait d’une île pour une visite de courtoisie.
- Descendez de cinquante mètres, ordonna Gallow.
Bushka mit en marche le système de propulsion verticale tout en équilibrant automatiquement le suba. Il était fier d’accomplir cette manœuvre sans .a moindre secousse ou oscillation. L’écran supérieur, pourvu d’un grand-angle, montrait la masse entière de l’île qui se détachait contre la surface éclairée de l’océan. Un chapelet de petits bateaux l’accompagnait. Bushka estima que Guemes ne devait pas faire plus de six cliques de diamètre à la ligne de flottaison pour trois cents mètres de tirant d’eau. De longues touffes d’organiques flottaient sur l’océan au milieu de débris de grumelle qui noircissaient l’eau. Certains trous dans la contex-ture de l’île étaient colmatés par une matière membraneuse à l’aspect fragile.
Probablement des toiles de gyronètes.
Sur la droite, Bushka aperçut une bouche qui évacuait des eaux usées. C’était le signe que la fabrique de nutriment de Guemes souffrait d’une avarie sévère.
- Vous imaginez comme ça doit puer? demanda Zent. “
- Surtout quand il fait chaud, renchérit Gallow.
- Ces gens ont besoin d’aide, avança timidement Bushka.
- Ils ne vont pas tarder à en avoir, dit Zent.
- Voyez tous ces poissons qui entourent l’île, fit Nakano. Je parie que la pêche n’est pas mauvaise en ce moment.
Il désignait du doigt l’écran supérieur où un coprophage géant, près de deux mètres de long, venait de passer dans le champ du capteur. Il avait perdu la moitié de ses filaments tactiles et sa seule orbite visible était blanche et dépourvue d’œil.
- Tout est si décrépit que même les charognards ne peuvent plus survivre, fit Zent d’un air écœuré.
- Si l’île est aussi malade, vous imaginez l’état des gens, dit Nakano.
Bushka sentit ses joues s’empourprer mais il serra les lèvres sans dire un mot.
- Tous ces bateaux, dit Zent. Peut-être qu’ils ne sont pas là pour pêcher. Peut-être qu’ils habitent dedans.
- Cette île est une menace, déclara Gallow. Ils doivent avoir toutes sortes de maladies. Il y a sûrement une épidémie dans les systèmes organiques.
- On ne peut pas vivre dans la merde et se porter comme un charme, dit Zent.
Bushka hochait lentement la tête. Il pensait avoir deviné les raisons de leur présence ici.
Il a rapproché le suba pour qu’il n’y ait aucun doute sur la gravité de leur situation.
- Pourquoi ne veulent-ils pas se rendre à l’évidence? demanda Nakano en donnant un coup de poing sur la coque au-dessus de lui. Nos subas n’ont pas besoin d’être badigeonnés de nutriments puants. Ils ne rouillent pas, ils ne pourrissent pas. Ils ne tombent pas malades et nous non plus.
Gallow, les yeux fixés sur l’écran supérieur, tapa sur l’épaule de Bushka.
- Descendez encore d’une quinzaine de mètres, Iz. La place ne manque pas.
Bushka exécuta de nouveau la manœuvre d’une manière qui lui valut un regard chargé d’admiration de la part de Nakano.
- Je ne comprends pas comment les Iliens peuvent vivre dans de telles conditions, fit Zent en secouant la tête. Ils doivent se battre pour manger, affronter les intempéries, les capucins, la maladie, Éviter mille erreurs dont chacune pourrait les envoyer tous par le fond.
- On dirait qu’ils en ont tout de même commis une, n’est-ce pas? demanda Gallow.
Nakano désigna un coin de l’écran supérieur.
-r Je ne vois rien d’autre qu’une espèce de membrane à l’endroit où devrait se trouver leur vigie.
Bushka regarda attentivement l’endroit indiqué. On apercevait en effet la tache noire d’une toile de gyronète là où aurait dû se trouver la grosse bulle cornéenne abritant l’observateur chargé de surveiller les hauts-fonds en liaison avec les guetteurs extérieurs. Pas de vigie… et ils avaient probablement perdu aussi leur système de correction de cap. Leur situation était lamentable. Ils devaient être prêts à faire n’importe quoi pour qu’on les aide.
- La bulle cornéenne est morte, expliqua-t-il aux autres. Ils l’ont rafistolée avec de la toile de gyronète pour qu’elle reste étanche.
- Combien de temps vont-ils dériver ainsi à l’aveuglette avant de s’échouer quelque part? grommela Nakano avec une sorte de fureur rentrée.
- Ils doivent être tous en train de prier Nef pour qu’elle vienne à leur secours, ironisa Zent.
- Ou pour que nous stabilisions l’océan en leur ramenant leurs précieux continents, fit Gallow. Seulement, maintenant que le projet est en train, ils vont se lamenter parce qu’ils se seront échoués sur des terres que nous aurons construites. Mais qu’ils continuent à prier. Et tant qu’à faire, qu’ils s’adressent plutôt directement à nous dans leurs prières!
Il se pencha par-dessus l’épaule de Zent pour enclencher une commande. Bushka vit les écrans de contrôle - à l’avant, à l’arrière, dessus, dessous - soudain hérissés d’une panoplie d’outils spéciaux sortis de leurs logements dans la coque, bien affûtés, luisants… et mortels.
C’était donc cela que faisaient Zent et Nakano tout à l’heure sur le pont!
Ils vérifiaient les manipulateurs et les bras mécaniques. Les excavateurs, les forets, les moutons, les cisailles, le tangon avant et l’héliarc à souder au bout de son bras articulé. Tout cela brillait d’un vif éclat dans le faisceau des lumières extérieures.
- Qu’allez-vous faire? demanda Bushka. Il essaya de déglutir mais sa gorge était trop sèche en dépit de l’humidité ambiante.
Zent eut un reniflement de mépris. Son sourire figé au coin des lèvres écœurait Bushka. Ce regard insondable où il n’y avait jamais la moindre trace d’humour lui donnait la nausée.
Gallow referma sur l’épaule de Bushka une poigne puissante et douloureuse.
- Grimpez, dit-il.
L’Ilien regarda sur sa droite puis sur sa gauche. Xakario, les yeux fixés sur un écran, avait ses mains puissantes jointes par les bouts des doigts écartés. Zent tenait à la main un petit vibreur à aiguilles dont le canon était négligemment pointé sur sa poitrine.
- Allez! insista Gallow en accentuant la pression de ses doigts sur l’épaule de Bushka.
- Mais, nous allons transpercer l’île! protesta ce dernier, le souffle coupé à l’idée de ce que projetait Gallow. Nous ne leur laissons aucune chance! Si l’île s’engloutit, ceux qui survivront dériveront à Dord de leurs bateaux jusqu’à ce qu’ils meurent de faim!
- Leur système de filtration ne fonctionne déjà plus, lui répondit Gallow. Ils n’auront pas le temps de mourir de faim. De toute manière, ils sont condamnés à mourir de soif. Allez, grimpez!
Zent souligna l’ordre d’un mouvement du canon de son arme tout en rajustant son écouteur gauche. Ignorant la menace du vibreur, Bushka continuait à protester :
- Ils se feront dévorer par les capucins! Ils ne pourront pas résister à la première tempête!
- Taisez-vous! fit Zent en appuyant plus fort son écouteur gauche contre son oreille. Je reçois quelque chose de bizarre… comme si toute la membrane vibrait à…
Il poussa brusquement un hurlement strident et arracha son casque de ses oreilles. Un filet de sang coulait à ses narines.
- Grimpez, je vous dis! s’écria Gallow. Nakano libéra d’un coup de pied le système de verrouillage des barres de plongée et tendit le bras par-dessus l’épaule de Bushka pour vider les ballasts. Le nez du suba remonta aussitôt.
Réagissant avec son instinct de pilote, Bushka mit les propulseurs en action et essaya de stabiliser le suba mais celui-ci, comme doté d’une volonté propre, jaillissait comme un bouchon vers le fond noir de l’île de Guemes. En moins de deux battements, ils avaient traversé les membranes et la quille de l’île. Guidés par Nakano et Gallow, les outils extérieurs tailladaient et tranchaient tandis que le suba tressautait. Zent était assis plié en deux, les mains plaquées contre ses oreilles, le vibreur inutile sur ses genoux.
Bushka était figé d’horreur sur son siège. Tout ce qu’il faisait pour regagner le contrôle du suba aggravait le carnage. Ils étaient maintenant au cœur de l’île, là où se trouvaient les quartiers des Iliens de plus haut statut, leurs organiques, leurs équipements les plus précieux, leurs installations médicales…
L’effroyable destruction se poursuivait, visible sur tous les écrans du suba, perceptible dans chaque secousse occasionnée par le mouvement des cisailles et des manipulateurs déchaînés. Le fait qu’on n’entendait aucun cri au milieu de tout ce massacre rendait la scène péniblement irréelle. Les tissus vivants dont l’île était formée n’avaient aucune chance face au plastacier du suba. Chaque contact équivalait à une nouvelle hécatombe. Dans les écrans des capteurs flottaient maintenant des fragments humains : une tête coupée, un bras…
- C’est un crime odieux! Vous n’avez pas le droit! sanglotait Bushka.
Tout ce qu’on lui avait appris sur le caractère sacré de la vie nourrissait la révolte qui montait en lui. Mais les Siréniens partageaient ces idées! Comment pouvaient-ils exterminer ainsi la population d’une île?
Bushka se rendait compte que Gallow n’hésiterait pas à l’abattre au moindre signe de résistance. Il jeta un coup d’œil à Zent, qui semblait toujours groggy mais avait cessé de saigner et tenait de nouveau le vibreur dans sa main. Nakano agissait comme un automate, dirigeant l’énergie là où elle était nécessaire tandis que cisailles et lance-flammes poursuivaient l’affreuse tuerie au milieu de l’île qui se désagrégeait. Le suba avait commencé à tourner lentement sur lui-même, basculant autour d’un axe transversal.
Gallow s’était calé dans le coin à côté de Zent. Le regard brillant, il fixait les écrans qui montraient le tissu de l’île fondant sous l’action des héliarcs.
- Nef n’existe pas! exultait-il. Vous voyez bien! Comment pourrait-elle permettre à un simple mortel d’accomplir une telle chose? Je vous l’avais dit! Nef est une machine fabriquée par des gens comme nous. Il n’y a pas de Dieu!
Il fixait Bushka de son regard fou. Bushka voulut répondre mais aucun son ne sortit de sa gorge desséchée.
- Redescendez, Iz, ordonna Gallow.
- Qu’allez-vous faire maintenant? réussit à dire Bushka.
- J’ai lancé un défi à Nef. A-t-elle répondu? Un éclat de rire dément sortit de sa gorge. Seul
Zent lui fit écho.
- Redescendez, vous dis-je! répéta Gallow. Mus par la peur, les muscles conditionnés de
Bushka obéirent, équilibrant les ballasts, orientant les gouvernes. Plus vite nous nous retirerons, plus ils auront de chances de survivre, se disait-il. Il manœuvrait maintenant le suba aussi délicatement que possible au milieu des débris laissés par leur terrifiante ascension. Les hublots de plaz et les écrans montraient des eaux semi opaques, sanglantes, d’un gris terne difficilement troué par la lumière puissante des projecteurs de bord.
- Arrêtez là, ordonna Gallow.
Bushka ignora le commandement. Il regardait l’hallucinant spectacle offert par les hublots : cadavres disloqués émergeant des eaux noires, débris humains grotesques. A un moment, un tutu de fillette orné de guipures à l’ancienne passa tout contre un hublot, suivi d’un chapelet de victuailles et d’un couvercle de boîte où était collée la photo déchirée d’un être aimé : l’esquisse d’un sourire sans yeux. Dans le faisceau direct des projecteurs, le sang présentait des dessins irisés vite résorbés en un brouillard gris et glacé qui se précipitait vers les profondeurs.
- J’ai dit arrêtez là! hurla Gallow.
Bushka continuait de descendre doucement. Il sentait les larmes affluer à la margelle de ses paupières.
Faites que je ne pleure pas! pria-t-il. Merde! Je ne peux pas craquer devant ces… devant ces…
Aucun mot qu’il connaissait ne pouvait qualifier lés trois autres occupants du suba. Cette idée le taraudait. Ces trois Siréniens étaient devenus des déviants mortellement dangereux pour l’humanité. Il faudrait les faire passer devant la Commission. La justice l’exigeait.
Nakano allongea le bras pour régler les ballasts afin de stabiliser le suba. Dans son regard brillait une lueur d’avertissement.
A travers un voile de larmes, Bushka le regarda faire puis se tourna vers Zent. Celui-ci avait toujours une main collée à son oreille gauche, mais il ne quittait pas Bushka des yeux* en souriant de son sourire glacé. Ses lèvres articulèrent muettement : « Attends qu’on se retrouve là-haut. »
Gallow tendit la main, par-dessus l’épaule de Zent, vers les commandes de l’héliarc.
- On y retourne! fit-il.
D’un seul mouvement, il avait mis en place un écran polarisé et faisait pivoter les embouts jumelés de l’héliarc de proue.
Bushka porta la main à son épaule et tira son harnais pectoral qu’il verrouilla sur le côté de son siège. Il avait agi d’un air décidé et Zent lui lança un regard interrogateur, mais il était trop tard. Bushka avait sorti les barres de plongée, incliné toutes les gouvernes à tribord, vidé les ballasts arrière et ouvert les vannes à l’avant. Le suba piqua du nez et descendit en tournoyant vers le fond, de plus en plus vite. Nakano avait été projeté sur sa gauche par le mouvement de vrille. Zent avait perdu son vibreur en cherchant un point d’appui. Il avait heurté Gallow et les deux hommes étaient collés à la paroi par la force centrifuge. Seul
Bushka, harnaché au centre du tourbillon, restait relativement libre de ses mouvements.
- Maudit crétin! hurla Gallow. Vous allez nous tuer!
D’un geste méthodique, Bushka coupa tout l’éclairage de la cabine et de l’extérieur à l’exception du phare de proue. Les ténèbres se refermèrent autour de ce maigre pinceau de lumière où défilaient encore quelques fragments fantomatiques d’humanité disloquée.
- Vous n’êtes pas Nef! cria Gallow. Vous m’entendez, Bushka? C’est vous qui faites cela, ce n’est pas Nef!
Bushka l’ignora.
- Vous ne vous en sortirez pas, Bushka! reprit Gallow d’une voix hystérique. Vous serez obligé de faire surface à un moment et nous serons là!
Il demande si j’ai l’intention de nous tuer tous, se dit Bushka.
- Vous êtes cinglé! cria Gallow.
Bushka regardait droit devant lui, essayant d’apercevoir le fond. A cette vitesse, le suba allait s’écraser et c’était Gallow qui aurait raison. Ni le plastacier ni le plaz n’étaient conçus pour résister à un tel choc à de telles profondeurs.
- Vous allez faire ça, Bushka?
C’était la voix de Nakano, sonore mais contrôlée, et qui laissait percer une bonne dose d’admiration. Pour toute réponse, Bushka redressa brusquement le nez du suba tout en conservant le mouvement de vrille. Avec son entraînement d’Ilien, il savait qu’il était plus apte que les trois autres à supporter le changement violent.
Nakano se mit à vomir, hoquetant désespérément tandis que la force centrifuge refoulait tout sur son visage et dans sa bouche. Une odeur nauséeuse s’installa dans la cabine.
Bushka pianota sur sa console pour obtenir l’affichage de la répartition des gaz à l’intérieur du suba. Les diagrammes lui montrèrent que les ballasts étaient vidés à l’aide de C02. Il suivit des yeux les lignes du schéma. Oui… l’air vicié de la cabine était réinjecté dans le système de ballastage… pas de gaspillage d’énergie.
Les hurlements de Gallow s’étaient transformés en un sourd gémissement ininterrompu tandis qu’il essayait de ramper contre la cloison où le plaquait la force centrifuge.
- Ce n’est pas Nef! répéta-t-il dans un souffle rauque. Ce n’est qu’un peigne-cul que j’étranglerai de mes mains… jamais faire confiance à un Ilien.
Suivant le schéma qui était devant lui, Bushka programma une séquence d’opérations sur les valves à exécuter par les circuits de secours. Immédiatement, un masque à oxygène tomba devant lui d’un casier au-dessus de son front. Les autres masques demeurèrent en place. D’une main, Bushka pressa le masque contre son visage tandis que de l’autre il injectait du C02 directement dans la cabine.
Zent commença à haleter. - - Ce n’est pas Nef! gémit Gallow.
La voix de Nakano se fit entendre, gargouillante et pâteuse, mais les mots étaient reconnaissables :
- Le gaz! Il cherche à… à nous asphyxier!