Les humains passent leur vie dans un labyrinthe. S’ils s’en échappent et ne peuvent en trouver un autre, ils en créent un nouveau. Quelle est cette passion pour l’épreuve?


Questions posées par l‘Avata,
Les Historiques.


Duque se mit à jurer en se roulant dans le bain nutritif et en cognant du poing les parois organiques du bassin jusqu’à ce que de grosses taches bleues apparaissent sur le rebord.


Les gardes allèrent chercher la Psyo.

Il était tard et Simone Rocksack se préparait à se mettre au lit. Quand ils vinrent l’avertir, elle passa sa plus belle robe par-dessus la tête et la laissa retomber sur les courbes fermes de sa poitrine et de ses hanches. Dans sa pourpre dignité, le vêtement effaçait toute trace de féminité de sa silhouette. Elle se hâta dans le couloir en rajustant l’étoffe pour lui donner autant de tenue qu’en plein jour.

Lorsqu’elle pénétra dans le sanctuaire sombre où Vata et Duque déroulaient leur existence, son angoisse était visible dans chacun de ses mouvements. Elle s’agenouilla près de Duque et se pencha pour dire :


- Je suis là, Duque. C’est la Psychiatre-aumô-nière. Puis-je faire quelque chose pour t’aider?

- M’aider ? hurla Duque d’une petite voix stridente. Espèce de verrue sur le cul hideux d’une truie enceinte! Tu ne peux même pas t’aider toi-même!


Choquée, la Psyo mit la main sur le repli cutané qui lui cachait la bouche. Elle savait ce que c’était qu’une truie, naturellement : l’une des créatures de Nef, un porc femelle. Elle s’en souvenait parfaitement.

Truie enceinte? Les doigts minces de Simone Rocksack ne purent s’empêcher de toucher le plat de son abdomen.


- Les seuls porcs qui existent se trouvent dans les caissons hybernatoires, dit-elle en prenant bien soin d’articuler pour se faire comprendre de Duque.

- C’est ce que tu crois, salope!

- Pourquoi m’insultes-tu? demanda la Psyo. Elle essayait de conserver une certaine déférence dans le ton de sa voix.

- Vata me rêve des choses abominables, gémit Duque. Ses cheveux… ils recouvrent tout l’océan et elle me brise en tout petits morceaux.


La Psyo regarda attentivement Duque. La plus grande partie de son corps était discernable sous le liquide semi translucide. Ses lèvres affleuraient à la surface comme celles d’une carpe gonflée. Mais il paraissait être en un seul morceau.


- Je ne comprends pas, dit-elle. Tout me semble normal.

- J’ai dit qu’elle rêvait mes rêves! glapit Duque. C’est horrible quand on ne peut pas s’échapper. Je vais me noyer là-dedans. Chaque petit morceau de moi va être noyé.

- Tu ne peux pas te noyer dans ce bassin, Duque, lui affirma la Psyo.


- Pas dans ce bassin, babouine! Dans l’océan! Babouine.


Encore une créature de Nef. Pourquoi se souvenait-il de toutes ces créatures de Nef? Etait-ce le signe qu’elles allaient descendre bientôt! Mais comment pouvait-il savoir? Elle porta les yeux sur ceux qui s’étaient assemblés, à distance respectueuse, au bord du bassin. Se pouvait-il que l’un d’entre eux…


Non, c’est inconcevable.


D’une voix soudain claire, en articulant particulièrement ses mots, Duque proclama :


- Elle n’écoute pas. Ils lui parlent et elle ne les écoute pas.

- Qui n’écoute pas, Duque? Et qui parle?

- Ses cheveux! Tu n’as donc rien compris, idiote ?


Il donna faiblement un coup de poing sous le rebord du bassin à l’endroit où se trouvait la Psyo. Elle passa de nouveau machinalement la main sur son abdomen.


- Est-ce que les créatures de Nef doivent être amenées sur Pandore? demanda-t-elle.

- Mets-les où tu voudras, couina Duque. Mais ne la laisse pas me rêver encore dans l’océan.

- Vata voudrait regagner l’océan?

- Elle rêve mes rêves. Elle m’émiette dans l’océan.

- Les rêves de Vata sont la réalité?


Duque refusa de répondre à cela. Il se contenta de grogner en s’étirant le long du bord du bassin.

Simone Rocksack soupira. Elle contempla, au milieu du bassin, la masse monstrueuse de Vata. Elle respirait paisiblement. Ses longs cheveux ondoyaient comme des algues dans les remous provoqués par Duque. Comment les cheveux de Vata pouvaient-ils être en même temps dans l’océan et ici, sur Vashon? Peut-être en rêve.


Etait-ce un autre miracle de Nef? La chevelure de Vata avait de nouveau besoin d’être coupée. Cela faisait à peine un peu plus d’un an. Tous ces cheveux qu’on lui coupait… étaient-ils encore reliés d’une manière ou d’une autre à Vata? Rien n’était impossible, au royaume des miracles.


Mais comment les cheveux de Vata pouvaient-ils parler?

Impossible de se méprendre sur ce que Duque avait dit. Les cheveux de Vata parlaient et elle ne voulait pas les écouter. Pourquoi? Parce qu’il était trop tôt pour retourner dans la mer? Etait-ce un signe que Vata les guiderait tous un jour au fond de l’océan?

Elle soupira de nouveau. Le métier de Psychiatre-aumônière n’était pas toujours facile. Elle portait une terrible responsabilité, Demain, les rumeurs allaient commencer à se répandre. Impossible de faire taire les gardes. Tout serait amplifié, déformé. Il fallait une ferme interprétation, quelque chose qui pût couper court à toutes les spéculations dangereuses.

Elle se remit debout, en faisant la grimace à cause de son genou droit ankylosé. Regardant les témoins respectueusement groupés au bord du bassin, elle déclara solennellement :


- Les prochaines mèches de cheveux que nous couperons à Vata ne seront pas distribuées aux fidèles mais dispersées dans l’océan à titre d’offrande.


A ses pieds, Duque gémit sourdement puis s’écria distinctement :


- Chienne! Morue! Guenon!


La Psychiatre-aumônière saisit immédiatement les références, préparée qu’elle était par les précédentes imprécations de Duque. De grands événements se préparaient. Vata faisait avoir à Duque des visions grandioses et Duque invoquait toutes les créatures de Nef.

Se tournant de nouveau vers les témoins médusés, Simone Rocksack leur expliqua soigneusement sa façon de voir les choses. Elle fut satisfaite par la manière dont les têtes s’inclinèrent pour signifier leur approbation.


L'effet Lazare
titlepage.xhtml
L_Effet_Lazare_split_000.html
L_Effet_Lazare_split_001.html
L_Effet_Lazare_split_002.html
L_Effet_Lazare_split_003.html
L_Effet_Lazare_split_004.html
L_Effet_Lazare_split_005.html
L_Effet_Lazare_split_006.html
L_Effet_Lazare_split_007.html
L_Effet_Lazare_split_008.html
L_Effet_Lazare_split_009.html
L_Effet_Lazare_split_010.html
L_Effet_Lazare_split_011.html
L_Effet_Lazare_split_012.html
L_Effet_Lazare_split_013.html
L_Effet_Lazare_split_014.html
L_Effet_Lazare_split_015.html
L_Effet_Lazare_split_016.html
L_Effet_Lazare_split_017.html
L_Effet_Lazare_split_018.html
L_Effet_Lazare_split_019.html
L_Effet_Lazare_split_020.html
L_Effet_Lazare_split_021.html
L_Effet_Lazare_split_022.html
L_Effet_Lazare_split_023.html
L_Effet_Lazare_split_024.html
L_Effet_Lazare_split_025.html
L_Effet_Lazare_split_026.html
L_Effet_Lazare_split_027.html
L_Effet_Lazare_split_028.html
L_Effet_Lazare_split_029.html
L_Effet_Lazare_split_030.html
L_Effet_Lazare_split_031.html
L_Effet_Lazare_split_032.html
L_Effet_Lazare_split_033.html
L_Effet_Lazare_split_034.html
L_Effet_Lazare_split_035.html
L_Effet_Lazare_split_036.html
L_Effet_Lazare_split_037.html
L_Effet_Lazare_split_038.html
L_Effet_Lazare_split_039.html
L_Effet_Lazare_split_040.html
L_Effet_Lazare_split_041.html
L_Effet_Lazare_split_042.html
L_Effet_Lazare_split_043.html
L_Effet_Lazare_split_044.html
L_Effet_Lazare_split_045.html
L_Effet_Lazare_split_046.html
L_Effet_Lazare_split_047.html
L_Effet_Lazare_split_048.html