La monture de Blade se laissa un peu distancer, et ce fut Nob qui aperçut la plage le premier. Il se dressa sur ses étriers, poussa un cri de joie et tendit le bras.
— Vous avez réussi, mon maître! Hectoris vous attend. Votre plan a marché! Vous l'avez forcé au combat.
Il le semblait bien. Blade arrêta son noir au bord de la falaise et contempla l'immense plage s'étendant sur des kilomètres dans les deux directions. Au-dessous de lui, bien au-dessus de la limite de la marée, une grande tente noire et argent avait été dressée. Une perche était plantée devant, supportant un bouclier orné du serpent se mordant la queue et de la devise Ais Ister. A côté, un soldat samostain tenait par la bride un cheval de guerre massif magnifiquement caparaçonné. Près de la portière de la tente, fermée à présent, s'alignaient de hautes lances.
Nob semblait en proie à une espèce de crainte respectueuse.
— C'est Hectoris en personne, monseigneur, murmura-t-il. J'ai déjà vu cette tente. Et ce cheval. Il doit être à l'intérieur.
Blade ne répondit pas. Il examinait l'étendue de sable fin où d'énormes rouleaux venaient s'écraser dans un bruit de tonnerre en faisant jaillir des gerbes d'écume que le vent emportait, creusant en se retirant de profonds canaux. La vue portait à des kilomètres dans les deux directions, et il ne devina aucun piège. Un coup d'œil à l'état de la mer lui suffit pour confirmer qu'il n'y aurait pas de débarquement ce jour-là. Le bateau qui avait amené à terre Hectoris et son cheval avait rejoint la flotte.
Nob comptait les navires à la cape dans la vaste rade, en se servant de ses doigts et en traçant des traits sur le sol avec la pointe de sa lance. Il y en avait trois cent neuf.
— Deux cents qui sont des transports de troupes, dit-il. Le reste, c'est pour les chevaux, le ravitaillement, les forges et tout ça, et deux ou trois pour les putes. Ils sont bien trop nombreux pour nous, mon maître. Va falloir que vous vous battiez avec lui, y a pas d'autre moyen. Même si vous avez pensé à une ruse, car vous ne me dites pas tout, je le sais bien, je ne vois pas à quoi ça pourrait nous servir.
Blade contemplait les navires que la mer en furie secouait et agitait comme des coques de noix. Il devait y avoir là des milliers de soldats en proie au mal de mer, qui ne pouvaient représenter une menace pour le moment. Il abaissa les yeux sur la tente. La portière était toujours close, et le Samostain faisait marcher le cheval de long en large pour l'empêcher de s'impatienter. Le ciel s'assombrissait d'instant en instant et le vent apportait parfois des rafales de pluie glacée. Blade se tourna vers Nob.