Pour la même raison que vous, mon maître. Je suis peut-être pas instruit, et ma cervelle ne vaut pas grand-chose mais elle est à moi et pour le moment elle fonctionne. J'ai pas envie qu'on me la démolisse. Ils mettent de ce penthe dans l'ordinaire, ici, pour que les gens soient heureux et qu'ils pensent à rien, comme à Thyrne, dans les prisons, ils mettaient des sels dans la soupe pour qu'on soit pas foutu de la redresser. A la fin, c'est du pareil au même, un homme n'est plus un homme.

Ils firent quelques pas en silence, puis ils s'arrêtèrent de nouveau au milieu d'une grande pelouse. Il n'y avait pas de boîte à musique à proximité, pas de détenus ni de Gris. Blade considéra froidement son séide.

Tu as entendu parler de Ptol, le prêtre?

Nob cracha par terre. La réponse était assez

éloquente. Blade sourit et poursuivit :

J'ai humilié Ptol, je lui ai arraché Juna et je lui ai tranché une main par-dessus le marché. Maintenant il est passé du côté d'Hectoris; il n'a pas dû faire un long chemin pour ça, j'imagine, et la douleur doit l'empêcher de dormir tout autant que son désir de vengeance... Mais, dis-moi, quand tu es arrivé à Patmos dans ton petit bateau, comment se fait-il qu'on t'ait conduit dans la même prison que moi? J'ai l'impression qu'on voulait que nous nous retrouvions ici.

Nob passa une main sur sa figure couturée de cicatrices et regarda Blade d'un air ahuri. Il était évident que cette idée ne lui était pas venue. Finalement il secoua la tête.

Je ne sais pas, monseigneur. Votre esprit court plus vite que le mien. J'avais cru que c'était le hasard et... ma foi, j'en sais rien.

Blade se rappelait ses diverses conversations, dans les marais salants, avec Edyrn et la petite troupe. Il n'avait guère parlé à Juna, qui gardait ses distances; mais il avait longuement causé avec Edyrn. Et, il le savait maintenant, Edyrn était l'homme de main de Juna.

Il lui avait parlé de Nob, plus pour passer le temps que pour toute autre raison, rendre un peu plus supportables les froides soirées dans le brouillard, les camps de fortune. Sur le moment, cela lui avait paru tout naturel, mais maintenant Blade se maudissait d'avoir raconté ses aventures à Thyrne, comme il l'avait échappé belle, alors qu’Edyrn absorbait tout pour aller le rapporter à Juna.

Il ne lui manquait qu'une confirmation de ses soupçons, et Nob la lui apporta. Il dit qu'un jeune officier ressemblant à Edyrn l'avait interrogé peu après son arrestation.

Sûr, marmonna Nob en fouillant sa mémoire. Un jeune gaillard petit et trapu, avec des jambes arquées, des yeux bleus et une tignasse blonde. Il avait l'air franc, mais ça ne veut rien dire.

Comment était-il habillé? Comment se comportait-il? Réfléchis, brigand! Est-ce qu'il commandait? Est-ce qu'il avait de l'autorité, ou bien n'était-ce qu'un messager?