Le capitaine Mijax voulut répliquer mais il se ravisa, fit demi-tour, et se mit à aboyer des ordres. Les hommes, leur espoir ranimé, se mirent promptement en colonne par quatre. Blade, tapi dans l'ombre, attendit que le dernier rang s'ébranle puis il se hâta de le suivre, tout en resserrant son ceinturon comme s'il s'était attardé pour se soulager. Précaution inutile, car personne ne fit attention à lui. La plupart des hommes étaient blessés, et ils marchaient en traînant les pieds, l'air morose, tête basse. Blade, craignant de se faire remarquer, feignit de boiter.

Très loin, en tête de la colonne, quelqu'un entonna une chanson, une espèce de cantique. Blade distingua quelques-unes des paroles :

Juna, déesse de tous les hommes, aux cuisses et aux seins divins... Juna qui meurt et qui renaît... Juna notre mère, notre sœur, notre amour... Juna qui fait l'amour au ciel et en enfer...

Les soldats voisins de Blade ne chantaient pas. Ils se traînaient en grommelant.

— Il a raison, le vieux Gongor, dit l'un d'eux. Le capitaine est un crétin. Et il a eu tort de tuer ce pauvre Copelus. On était copains, tous les deux. C'était pas un traître. Il se battait bien. Aussi courageusement que nous tous, que le capitaine.

Ouais, c'était moche. Mais le capitaine est courageux, même s'il a un sale caractère.

Sûr qu'il est courageux! Assez pour nous faire tous tuer, tiens!

Un autre rit grassement.

Le capitaine rêve de sentir les cuisses de Juna autour de sa taille, il cherche la récompense que notre déesse accorde aux héros.

Nouveaux rires.

Alors il est doublement stupide. J'ai jamais vu un mort faire l'amour!

Blade suivait, en ouvrant les yeux et les oreilles. La déesse Juna, devina-t-il, était à la fois une personne réelle et une image. Une statue de pierre et une femme de chair. Cette dualité n'était pas rare dans les religions qu'il avait étudiées dans la Dimension normale; le Dalai Lama, par exemple, passait pour la réincarnation vivante de Bouddha.

Cette Juna, s'il pouvait en croire la statue de la fontaine, devait être une fille admirable. Probablement choisie et instruite par les prêtres. Ah les prêtres, toujours les prêtres! C'était eux qui régnaient, par l'entremise de Juna.

Juna devait récompenser certains héros en couchant avec eux. Blade ne put s'empêcher de sourire et de reconnaître que c'était mieux qu'une décoration. Mais pour le moment, cela importait peu. Thyrne était tombée, et fort probablement Juna et ses prêtres avaient pris la fuite.

Un coup douloureux sur ses jambes nues arracha Blade à ses réflexions. Un sergent mas- toc, envoyé pour resserrer les rangs des traînards, le frappa encore du plat de son épée et beugla :