Ils ne rencontrèrent personne dans les couloirs. La musique, toujours aussi douce et insidieuse, emplissait la chambre d'accents langoureux. Nob désigna de la tête la boîte à musique et grimaça.
— Ça ne s'arrête jamais, monseigneur. Comment est-ce qu'on pourrait les tromper?
Blade indiqua le coin de la pièce.
— Je vais chanter. Tu chuchoteras à mon oreille. Parle-moi de cette vieille dame dont on dit qu'elle vit dans un volcan, la vieille grand- mère de Juna.
Blade se mit à chanter. Le seul air qui lui vint à l'esprit, on ne sait pourquoi, fut une vieille berceuse que lui fredonnait sa nourrice quand il était petit. Il la chanta à tue-tête, très mal et très faux...
Nob le regarda, bouche bée. Blade lui donna un coup de coude, et grommela tout bas avant d'entonner le refrain :
— Parle, animal! Parle-moi de la vieille Izmia.
— Je ne sais pas d'où vous vient votre information, mon maître, répondit Nob dans un chuchotement rauque évoquant le coassement d'un crapaud géant, mais vous avez sûrement écouté un menteur ou un fou. Izmia la Perle est peut-être grand-mère, j'ai pas de raisons d'en douter, mais alors c'est une grand-mère que je ne demanderais pas mieux que d'épouser en rêve. Car ma vérité, monseigneur, c'est qu'Izmia n'a pas d'âge! D'autres prennent de l'âge, pas la Perle! Elle reste jeune tandis que les autres vieillissent et meurent. Quant à sa couleur, on l'appelle noire parce que, je suppose, elle n'est pas précisément blanche. Ni jaune, ni brune, ni verte. Sa peau, à ce qu'on dit, parce que je l'ai jamais vue de mes yeux, est de la couleur de la flamme. Ils disent qu'elle change de couleur comme ce drôle de lézard dont parlent les matelots, encore que ça j'y ai jamais cru. Mais il y a bien une perle noire, d'après la légende, et elle est aussi grosse qu'un chou et elle est tout au fond du bassin du volcan. Elle est là avec l'épée de Patmos, l'épée même de celui qui a fondé cette île au commencement des temps. Mais tout ça, mon maître, c'est juste ce qu'on raconte, pas? Un mythe et une légende, tout juste bons pour...
Un grand tumulte explosa dans le corridor, devant leur chambre. Ils entendirent des cris, des pas précipités, un violent cliquetis d'armes entrechoquées. Des hommes juraient, d'autres hurlaient.
Blade interrompit sa chanson et se tourna vers la porte fermée. Dans le couloir, la bataille continuait et semblait se rapprocher. Il perçut une voix familière qui lançait un ordre :
— Assez tué! Que les autres soient faits prisonniers! Enfermez-les dans une pièce, jusqu'à notre départ. Vite, maintenant... Cette porte là-bas…