Il trouva un banc près d'un groupe d'hommes qui jouaient à un jeu semblable aux échecs, sauf que toutes les pièces étaient de pierre noire et représentaient diverses fleurs. Il les regardait depuis moins d'une minute quand il comprit que ces prisonniers en tenue blanche immaculée étaient des mangeurs de penthe. C'était évident à leur regard vague, leurs mouvements lents. Oui, ils étaient drogués, soit de leur plein gré, soit parce qu'on leur administrait du penthe dans la nourriture. Voilà pourquoi c'était une prison sans barreaux. Ces pauvres gens... leur esprit était captif et il était inutile d'enchaîner leur corps.

Pendant près d'une heure Blade resta assis sur ce banc, en réfléchissant et en observant. Il devina que c'était une prison politique. Les hommes, ses co-détenus, avaient tous l'air d'intellectuels, de pacifistes, et la plupart étaient d'un certain âge. Et, fort probablement, beaucoup avaient oublié la raison de leur incarcération.

Il était plongé dans ses réflexions quand un des Gris vint le chercher. C'était un gros petit homme en tunique et pantalon gris, mais il portait au cou une sorte de chaîne d'huissier et paraissait plus vif que les autres serfs. Il s'inclina profondément.

Soyez le bienvenu, monseigneur. Je suis venu pour vous servir. Je m'appelle 00610. Si vous voulez bien me suivre, je vous ferai prendre un bain et porter du linge propre. Ensuite un repas et, si vous le désirez, une femme pour vous distraire. Nous avons un grand choix aujourd'hui, monseigneur. Une nouvelle troupe de femmes vient d'être amenée de la campagne.

Je ne désire aucune femme, grommela Blade en suivant le petit homme dans une allée de gravier. Tu dis que tu t'appelles 00610? Tu n'as pas de nom?

L'homme tourna vers Blade un sourire angélique :

Oh non, monseigneur! Les Gris n'ont pas de noms. Rien qu'un numéro. Un numéro vaut un nom, monsieur, et c'est beaucoup plus commode. Pour les registres, vous comprenez. Par ici pour le bain, monseigneur.

Blade se baigna dans un bassin chaud et parfumé, puis on lui apporta un uniforme. On dut chercher longtemps avant de trouver une jupe et un boléro à sa taille.

On lui servit un repas somptueux, mais il refusa de manger. Cela navra le petit gros que Blade appelait, pour plus de commodité, 610. La salle à manger était fraîche et spacieuse et les plats tentants, car Blade mourait de faim, mais il ne voulut pas y toucher; 610 tordit ses mains grasses.

Mais il faut manger, monseigneur! Il le faut! C'est le règlement. Tous les prisonniers doivent manger un repas semblable à leur arrivée.

Blade se mit à rire.