Ils descendirent du promontoire, et Blade partit en avant à grandes enjambées. Il ne vit pas le regard que lui jetait Juna.
Leur fuite fut grandement facilitée par l'arrogance des patrouilleurs samostains. Tandis que le temps se levait et que la visibilité s'améliorait, leurs feux de position étaient autant de bouées pour Blade. Il avait maintenant une demi-douzaine de frêles embarcations de roseaux, autant d'avirons, et la chance jouait en sa faveur car c'était une nuit sans lune. Il confia une embarcation à chacun des eunuques, Edyrn et lui-même prenant les deux dernières.
Celle d'Edyrn était surchargée, avec deux enfants et deux des dames d'honneur de Juna, mais de l'avis de Blade c'était la plus résistante. Il réserva le plus petit des bateaux pour lui et Juna. S'ils pouvaient atteindre Patmos il aurait besoin d'elle, soit comme otage soit comme guide, et il n'avait nulle intention de la perdre. Il s'était même dit qu'en cas de malheur il pourrait nager jusqu'à Patmos en la remorquant. Malgré tout, la distance était longue, même pour Blade, et chaque mille gagné serait précieux.
Le moment du départ venu, Blade fut assez inquiet de voir Juna et Edyrn chuchoter à l'écart, sur la plage. Elle lui adressa un sourire moqueur quand il s'approcha, et le gamin rougit et parut mal à l'aise.
Blade préféra ne rien dire. Il indiqua les feux des navires, qui étaient trois, à environ deux milles de la côte et à un mille les uns des autres.
— Il y a seulement trois choses que tu ne dois pas oublier, petit, dit-il à Edyrn. Observe un silence absolu. Que personne ne parle. Tu as mon autorisation de tuer quiconque fait du bruit. Tu devras te diriger entre les lumières, à égale distance de chaque côté. Troisièmement, et ça ne deviendra important qu'une fois les patrouilleurs dépassés, tu devras te guider sur la dernière étoile du Lancier. Elle te l'a dit?
Edyrn jeta un coup d'œil à Juna — d'un air gêné, pensa Blade — et pointa sa lance vers une constellation à peine visible sur l'horizon, et ressemblant vaguement à un guerrier portant une lance.
— Elle m'a donné des instructions, monseigneur. Je suivrai l'étoile de la pointe et elle me guidera jusqu'à Patmos.
— Espérons-le. Va, maintenant. Et bonne chance, petit.
Edyrn salua et courut vers son frêle esquif qui l'attendait ainsi que ses passagers inquiets. Blade prit Juna par le bras et le suivit. Ils observèrent la mise à l'eau des bateaux. La mer était parfaitement calme, mais les vaguelettes firent tout de même tournoyer les embarcations comme des bouchons.
— C'est plus que de la chance qu'il leur faudra, marmonna sombrement Blade, C'est un miracle.
A ce moment, une des embarcations d'osier se retourna. Blade entendit un appel au secours alors qu'il se précipitait et plongeait, et puis le silence tomba. Quand il atteignit le bateau retourné, il vit qu'il s était désintégré et n'était plus qu'un enchevêtrement de roseaux. Il n'y avait pas trace des occupants. Il plongea une fois ou deux, puis il regagna la plage.