Juna — Blade continuait de l'appeler ainsi bien qu'elle ne fût en aucune façon une déesse pour lui — l'évitait autant que possible. Elle gardait près d'elle son troupeau de serviteurs, d'eunuques et de dames d'honneur et, de temps en temps, elle envoyait à Blade des ordres impérieux par un messager. Il les ignorait généralement, riant ou pestant suivant son humeur, et une fois ou deux il lui était arrivé de renvoyer un des eunuques à Sa Divinité à grands coups de pied dans le cul.

Accroupi sur le sable en compagnie du jeune garçon, Edyrn, Blade écoutait le sifflement surnaturel du vent dans les Pierres Chantantes. Ce gémissement modulé perpétuel commençait à lui porter sur les nerfs. Les yeux plissés, il contemplait la mer houleuse et grise. Quand la brume se dissipait un peu, il apercevait des voiles. Les vaisseaux samostains, qui attendaient probablement un changement de temps. Depuis des jours, le vent et la mer étaient trop violents pour permettre un accostage. Blade gardait sa petite compagnie dissimulée dans les dunes, de son mieux, en sachant que dès que le temps se remettrait au beau la flotte arriverait, les soldats débarqueraient et les tueraient ou les captureraient tous.

Mais pour le moment, il avait d'autres soucis. Son ventre criait famine et commençait à refuser le régime de racines et de baies. Il réfléchissait aux moyens de prendre du poisson quand Edyrn pointa avec sa lance et lui dit :

— Voici venir la sorcière, Kron. Elle a écouté les pierres et elle vient faire une prédiction, probablement.

Blade grogna. Edyrn était un bon garçon, son bras droit pour le moment, petit mais bien musclé, pas bête et apparemment loyal. Blade avait grand besoin d'un lieutenant, d'un homme capable de comprendre et d'exécuter les ordres, et Edyrn était le seul qu'il eût sous la main.

Va voir ce qu'elle veut, Edyrn. Eloigne- la de moi. J'ai autre chose à faire qu'à écouter ce que racontent des pierres, en particulier trouver un moyen de pêcher dans cet océan, si nous voulons être assez forts pour monter à bord si jamais un navire arrive de Patmos, Note que je n'y crois guère, car je ne vois pas comment il pourrait forcer le blocus des Samostains. Va, petit. Laisse-moi réfléchir.

Edyrn obéit. Blade le vit prendre la vieille femme par le bras et l'entraîner. Elle protestait, gémissait et résistait, en se tournant constamment vers Blade.

Au bout d'un moment, Edyrn revint répéter le message énigmatique de Kron, la vieille sorcière :