— Adieu, Hercule. Je ne t'oublierai jamais. Ni cette journée.
Leurs regards se croisèrent, s'attardèrent. Elle avait les yeux toujours aussi verts, mais l'éclat de glace avait fondu.
— Aucun de nous, dit Blade, ne risque d'oublier cette journée.
Elle l'embrassa légèrement sur la bouche, lui dit adieu une dernière fois et s'éloigna rapidement à la nage.
J avait demandé à Blade de passer à Copra House. C'était de cette antique bâtisse, proche de Threadneedle Street, qu'il dirigeait les affaires de MI 6 A. Il avait là une suite de petits cagibis miteux qui lui servaient symboliquement de bureaux. Quand Blade entra il trouva J pareil à lui-même, placide, tweedeux, fumant sa pipe. Le fonctionnaire anglais typique et banal.
Blade ne s'y trompait pas. J avait considérablement vieilli depuis le début des expériences avec l'ordinateur. Il lui arrivait d'être nerveux, alors qu'auparavant il avait eu de l'eau glacée dans les veines. Blade le comprenait. Ses propres nerfs n'étaient plus ce qu'ils avaient été.
D'un geste nonchalant, J lui désigna une chaise.
— Bonjour, Richard. Vous avez l'air en pleine forme.
— Je le suis. Je devrais l'être. Je me suis réveillé ce matin au chant des merles et dans le parfum du chèvrefeuille.
J suçota sa pipe et posa sur Blade un regard méditatif.
— J'ai dans l'idée que le gamin proteste un peu trop. Pour être franc, Richard, je n'ai pas l'impression que vous soyez très heureux à l'idée de retourner dans la Dimension X.
— Pour être franc aussi, monsieur, je vous avoue que je m'en passerais bien. J'irai, bien sûr, c'est mon boulot. Je le ferai.
J hocha la tête.
— Naturellement, mon garçon. Bien sûr. Mais ça ne peut pas durer éternellement, vous savez. C'est... ah... c'est un peu pourquoi je vous ai demandé de passer avant d'aller à la Tour.
Blade se leva et alla regarder par une des vitres poussiéreuses. Au coin de Lothbury Street, un petit vendeur de journaux réfugié dans une embrasure de porte brandissait une affichette. Blade put lire les énormes caractères noirs : LADY DIANA DELAISSE DAVID.
La laborieuse allitération le fit sourire. Il était loin d'être snob, mais jamais de sa vie il n'avait lu le News of the World. Un journal vivant, pas trop amoureux de la vérité, une feuille de potins. Cependant, en revenant vers J, il ne put s'empêcher de se demander qui était l'infortuné David, et pourquoi Lady Diana le délaissait.
— Je crois que vous avez le droit de savoir, reprit J, que Lord L et moi vous cherchons un remplaçant. Ce n'est pas facile, je vous l'assure. Sa Seigneurie a gavé de cartes son ordinateur, avec l'énergie du désespoir.