Vous n'avez pas à vous excuser, monsieur!

Je ne m'excuse pas, bon Dieu, mais, eh bien, je sais que ce n'est qu'un tas de sornettes, mais c'est fascinant de connaître les faits et gestes de ces gens. Ils ne valent pas grand-chose, beaucoup trop d'argent, mais il faut avouer qu'ils ne sont pas monotones.

Oui, il faut l'avouer.

Tandis que le taxi redémarrait enfin, Blade examina sournoisement J. Il était à la tête du MI 6, la plus grande organisation de contre- espionnage d'Angleterre. Il n'y avait sûrement rien de monotone là-dedans, sauf pour J, peut- être. Depuis la création de l'ordinateur, J dirigeait aussi le MI 6 A, le bureau de haute sécurité destiné à préserver le secret de la Dimension X. Et pourtant il lisait les potins pour meubler son ennui. Ou plutôt, sans doute, pour soulager sa tension, pour oublier un peu ses terribles responsabilités.

Blade secoua la tête. Le monde était fou.

Le taxi s'arrêta près de la Tour historique, et J régla la course en grommelant :

Je ne sais pas ce que je pourrai dire de plausible à Lord L. Il ne croira pas aux embouteillages. Il ne quitte son laboratoire qu'une ou deux fois par an, et encore dans une limousine officielle pour aller voir le Premier ministre.

Je suis sûr qu'il nous pardonnera, chef. Voilà notre escorte.

Les solides agents de la Branche spéciale qui les attendaient pour les escorter dans les souterrains de la Tour étaient des nouveaux. J y tenait. Ces hommes venaient de l'extérieur, ils n'étaient jamais admis dans le sanctuaire récemment creusé dans le roc sous la Tour. Ils n'effectuaient cette mission qu'une fois, et ils étaient ensuite liés à jamais par le secret professionnel.

J et Blade les suivirent dans un long tunnel, traversèrent le labyrinthe familier de salles souterraines et arrivèrent devant la porte en bronze d'un ascenseur. Un agent appuya sur un bouton et ils attendirent. Bientôt, un murmure hydraulique se fit entendre.

Un des agents, aux épaules presque aussi larges que celles de Blade, dit à J :

Sa Seigneurie nous a téléphoné plusieurs fois, monsieur. Pour demander après vous. Il croyait que vous vous étiez perdus dans la Tour.

J hocha la tête en grognant. Un instant plus tard la cabine arriva. J y entra avec Blade. Il avait maintenant la permission de l'accompagner jusqu'à la salle du grand ordinateur, un privilège qu'il avait eu du mal à obtenir. Lord Leighton était un tyran dans son domaine. Certains, d'ailleurs, estimaient que le vieux savant était un tyran dans tous les domaines.