— Allez, avancez! Au pas, au pas! Serrez les rangs!
Encore une fois, l'épée s'abattit sur les cuisses de Blade.
— Eh toi! Avance, je te dis! Qu'est-ce que tu as? Je ne vois pas de blessure. Qu'est-ce que tu as à traîner comme ça, bordille?
Blade vit rouge. Sans réfléchir, il leva brusquement son bras, et son poing s'écrasa sur la figure du sergent, entre les deux yeux. L'homme loucha, sous le choc, puis il s'affala sur les pavés ronds. Le petit peloton de traînards s'arrêta. Tous les yeux se tournaient vers Blade. Au-delà, la compagnie avançait, ignorant la mutinerie. Quelques hommes s'écartèrent de Blade comme s'il avait la peste. L'un d'eux marmonna :
— Il est mort, pas de doute. C'était un coup à abattre un bœuf.
Blade contempla le sergent. Il avait l'air bien mort, en effet. Soudain, un soldat trapu avec un bandeau sur un œil et son bras en écharpe, la figure couverte d'une barbe noire hirsute, se détacha du groupe. Il adressa à Blade un sourire édenté.
— Ça m'a fait du bien, ça, moi je le dis. Il m'a fouetté une fois, ce salaud. Prends sa tête, l'ami, je lui prends les pieds.
Ils étaient devant une maison aux fenêtres béantes.
— Balance-le, dit l'homme à Blade. On va le laisser cuver ça ici, pas? Des fois qu'il pleuvrait, on voudrait pas que le sergent se mouille, hein ?
Ils comptèrent jusqu'à trois et balancèrent le corps par la fenêtre. Ils l'entendirent tomber avec fracas. L'homme au bandeau sur l'œil se tourna vers les autres.
— Allez, avançons. Personne n'a rien vu, vous entendez? Celui qui cause, il aura affaire à Nob!
Ils repartirent, en pressant un peu le pas. Le borgne resta près de Blade, en l'observant sournoisement de son unique œil gris. Blade avait besoin d'un allié, d'un ami, mais cet individu patibulaire n'était guère ce qu'il aurait choisi. Blade avait envisagé d'aller tout droit au sommet, comme il le faisait toujours dans la Dimension X, et il avait cherché des moyens de rencontrer Juna et ses prêtres, ou bien le conquérant de Thyrne, cet Hectoris dont on parlait. Mais cela devrait attendre. Il avait entendu parler de marais salants, de la côte, et d'un endroit appelé Patmos. Pour le moment, c'était plus que suffisant, et il savait qu'il aurait de la chance s'il parvenait à gagner ce havre. Avant de faire des projets, il lui fallait survivre, et ce solide lascar qui disait s'appeler Nob pourrait lui être utile.
Pendant quelques minutes ils marchèrent en silence. Et puis Blade perçut la question chuchotée; Nob lui parlait sans tourner la tête, presque sans remuer les lèvres :
— Qui vous êtes, monseigneur? Qu'est-ce que vous faites à Thyrne dans cet uniforme bien trop petit pour vous? Je vous ai sauvé la mise là tout de suite, mais maintenant je ne sais plus. Je vous avertis, si vous êtes Samos- tain, je vous fais votre affaire pareille comme vous avez fait au sergent. Alors répondez au vieux Nob. Qui vous êtes?