La cavalerie entra enfin en action, dans un éblouissement de sabres dégainés. Sur le flanc droit de Gongor — Blade et Nob se trouvaient à gauche — les chevaux piétinaient déjà les carrés; la boucherie commençait. Blade aperçut une dernière fois Gongor. Le vénérable soldat, juché sur un monceau de cadavres, frappait d'estoc et de taille les quatre lanciers à cheval qui l'entouraient. Un des chevaux, un énorme étalon noir, se cabra en hennissant et ses sabots atteignirent le combattant solitaire. Pendant une seconde, Gongor parut être coiffé d'un casque cramoisi, puis il disparut, et la vague de cavalerie déferla sur lui.

Les arbalétriers tiraient une grêle de traits sur la place, tuant souvent leurs propres cavaliers. Blade rit. Le chaos fut à son comble. Immédiatement des officiers sautèrent à terre et se ruèrent parmi les fantassins, frappant à la masse d'arme et à l'épée.

Nob poussa violemment Blade vers la bouche d'égout. Jamais il n'avait senti une odeur aussi effroyable, aussi répugnante que la puanteur montant de ce trou noir. Tout en jurant par diverses parties de l'anatomie de Juna, Nob le poussa de nouveau.

— Descendez, mon maître! Allez, vite! Ils nous ont vus et ils vont nous faire notre affaire, c'est sûr! Sautez, par Juna, sautez!

Ils avaient été aperçus, en effet. Plusieurs cavaliers tournaient bride et galopaient vers les échoppes. Blade, hésitant au bord de la fosse méphitique, vit luire des dents sauvages, palpiter des narines, scintiller des boucliers ornés du serpent se mordant la queue et de la devise Ais Ister.

Il entendit Nob blasphémer. L'homme lui donna une bourrade brutale. Blade chancela et tomba, et dans sa chute il aperçut une pluie de pièces d'or, et Nob qui tentait de les ramasser alors que le premier des cavaliers sautait la barrière et retombait dans une gerbe d'étincelles aussi brillantes que les pièces pour lesquelles Nob mourait.

Il n'eut que le temps, et la présence d'esprit, de fermer la bouche et les yeux et de se pincer le nez, avant de tomber dans un lent courant d'ordures pestilentielles.

Blade ne pouvait toucher le fond. Gardant la tête au-dessus du liquide fétide, il nageait lentement, en s'efforçant de ne respirer qu'à peine. L'obscurité était totale. Des choses gluantes le frôlaient, se collaient à lui, et de temps en temps il se heurtait à un cadavre. Un haut-le-cœur le secoua, et il n'eut pas honte de vomir. Cet égout, ce cloaque d'une ville agonisante, était plus proche de l'enfer que tout ce qu'il pouvait imaginer. Il écarta de sa figure le cadavre enflé d'un énorme rat et une fois encore sonda le fond. Ses pieds trouvèrent de la pierre.

Maintenant il pouvait marcher en gardant la tête au-dessus des immondices. Le courant, si paresseux au début, devenait plus rapide et le poussait. Bientôt ses épaules émergèrent, et il avança plus vite, brandissant devant lui son épée.