18.

Dodelinant devant elle, le visage du Nain ressemblait à un énorme sac de peau pendillant en bourrelets de son crâne minuscule, les globes des yeux flottant à l’intérieur, les dents perdues dans le grand rideau humide claquant de sa bouche. Il essaya de sourire quand elle ouvrit les yeux. Cela ressembla plus à un muscle mis à nu qui tressaute spasmodiquement.

— À moi, maintenant, dit-il, sa voix dégoulinant de lui comme de la mélasse. Mon sang, ma viande, mes os.

Il avança une main, les doigts gonflés et déchirés comme des hot-dogs cuits trop longtemps dans un micro-ondes, et toucha ses seins, les poussa, les étala sur sa poitrine. Il n’y avait pas de désir sexuel dans ses yeux. Juste de la faim.

— Si tu me manges, dit-elle, au moins, je ne finirai pas en goule.

C’était tout ce qu’elle parvint à trouver en guise de réel défi. C’était également un souhait très cher.

On avait changé les vêtements d’Ayaan. Elle portait un tee-shirt sans manches blanc et un pantalon à lacet. La même tenue chirurgicale que portaient la plupart des membres de l’armée du tsarévitch, tant les vivants que les morts. Elles étaient moins onéreuses et plus répandues que de vrais uniformes. Ses pieds étaient nus. Ses mains n’étaient pas attachées, ce qui la surprit un peu. Elle supposait que le fantôme vert pouvait la faire se rendormir si elle tentait de s’enfuir.

— Où sont mes vêtements ? demanda-t-elle.

Elle se dit que le Nain lui répondrait ou bien la mangerait. Dans les deux cas, elle aurait une chose en moins à se préoccuper.

Cependant, ce fut Cicatrix qui répondit :

— Nous les avons brûlés. Tu t’étais approchée un peu trop de Dame Amanite, et ils commençaient à moisir.

Ayaan leva les yeux et aperçut une petite foule composée de fanatiques vivants ; la plupart des liches s’étaient rassemblées autour pour la regarder mourir. Le loup-garou, la merveille sans lèvres, le fantôme vert étaient également présents. Amanite n’était pas là, mais le tsarévitch en personne occupait une place d’honneur, directement derrière le Nain. Sa peau et ses cheveux pâles, son armure sombre retinrent son regard. Elle se dit que c’était probablement une nouvelle projection. Il ne semblait pas être du genre à prendre le risque de se trouver à proximité d’une prisonnière non ligotée, même quand elle avait pour seules armes ses mains nues.

— À moi, dit le Nain, sa bouche mâchonnant le mot comme un cheval rumine.

— Oui, très bientôt, chantonna le fantôme vert.

Il donnait l’impression d’avoir le plus grand mal à contenir son excitation. Il agita les bras autour de lui et tout le monde recula, dégageant un large espace sur le pont, laissant Ayaan et le Nain seuls au milieu. Le cœur d’Ayaan se serra. Elle savait exactement ce qui allait se passer.

— Votre Altesse, dit le fantôme vert, et il s’inclina dans la direction du tsarévitch. Mesdames et messieurs, créatures de perdition, et drones fidèles. Je vous donne l’événement que vous attendiez tous. Retournez avec moi à l’époque de la Rome antique, aux frissons, aux chutes, aux carnages du Colisée. À l’époque du gladiateur, qui vivait – et mourait – selon le bon plaisir de son empereur. À l’époque où le sang était répandu, où des corps étaient démembrés, où des vies étaient mises au rebut pour une brève salve d’applaudissements. Le plus grand spectacle sur cette terre ! Allons-nous essayer de faire renaître un peu de cette splendeur ? Allons-nous célébrer le rituel de la mort une fois encore ? Est-ce que nous commençons ?

Des cris d’approbation retentirent. Ayaan se souvint de ce que Cicatrix lui avait dit, jadis. « Nos plaisirs ne sont jamais si simples. » Elle s’était trompée, apparemment. C’était le genre de divertissement le plus simple qui ait jamais existé, et l’un des plus anciens. Un combat à mort. Une exécution publique changée en jeu.

Le Nain l’emportait sur elle à cinq contre un. Il était infiniment plus robuste, et elle pouvait le tuer uniquement en détruisant son cerveau. Il n’avait qu’à lui briser la nuque ou à la taillader avec ses ongles géants ébréchés jusqu’à ce qu’elle se vide de son sang. Elle ne tiendrait pas plus longtemps que lui, les morts-vivants n’étaient jamais fatigués, n’avaient jamais besoin de se reposer. La bonne nouvelle, c’est qu’il était stupide, stupide et arriéré.

C’était fou comme son AK-47 lui manquait.

Mais vouloir ne changeait rien. Elle devait absolument s’éclaircir les idées. Frottant ses mains l’une contre l’autre pour rétablir la circulation de son sang, elle adopta une position de combattant, son centre de gravité près du sol, les genoux débloqués. Elle se prépara à son premier assaut. L’assaut surviendrait aussi durement et aussi rapidement qu’il le pourrait, elle le savait. Il n’avait pas l’intelligence nécessaire pour tenter une feinte.

— Ooh, on dirait que la dame est prête, mes amis, annonça le fantôme vert.

Les fanatiques éclatèrent de rire. Elle avait la certitude que la plupart d’entre eux ne parlaient pas anglais, mais s’ils avaient suffisamment la foi, cela n’avait guère d’importance.

— Néanmoins, il y a autre chose, une chose à laquelle elle ne s’attendait pas.

La foule s’écarta derrière lui et quelqu’un s’avança lentement sur le pont, d’une démarche qui semblait très laborieuse. Cela n’avait rien de surprenant. C’était une goule, un mort sans chemise, et il avait été empalé sur quelque chose d’énorme et d’acéré, avec une poignée à une extrémité, une prise recourbée assez grosse pour que le Nain puisse le tenir. C’était une tronçonneuse, presque aussi longue qu’Ayaan était grande.

Le Nain saisit la poignée et dégagea la tronçonneuse dans une giclée rouge de chair en décomposition et de sang séché. Ayaan jura au nom du Prophète. Quel plaisir pervers elles prenaient, ces liches, à déformer le corps humain ! Le zombie sans chemise existait dans une seule intention : servir de gaine ambulante.

Cependant, Ayaan n’eut pas le temps de proférer des blasphèmes. Elle devait se concentrer sur l’arme. Des armes de poing devaient être inutiles pour les morts-vivants, même pour des liches. Elles ne disposaient pas des capacités motrices nécessaires pour taillader ou pour frapper correctement. Apparemment, les armuriers du tsarévitch avaient tenu compte de cette possibilité et trouvé pour le Nain une arme qui nécessitait seulement un minimum de finesse. Un cordon pendait de l’extrémité de la poignée. Le Nain le tira et la tronçonneuse émit un rugissement comme le vacarme d’un moteur à essence qui démarre.

— Bonne chance, dit le fantôme vert, se moquant d’Ayaan.

Puis le duel commença.