Frith
Silencieux et engourdis, ils remontèrent le chemin
raide, se bousculant parfois quand la fatigue les faisait
trébucher. Wynter avait mal au dos et Christopher boitait
maladroitement derrière elle, portant le bol de cuivre et les
serviettes. Il dormait debout.
En haut du chemin, ils traversèrent le pâturage
sans le voir, dans la direction des tentes. Soudain, deux grands
chiens de guerre s'interposèrent devant eux, la langue
pendante.
« Gread
leat ! » lança Christopher en se ranimant et en
tirant Wynter en arrière. « Laissez-la ! » Il poussa
la tête plate des chiens, agacé. Ils l'ignorèrent avec joie,
impatients d'explorer les profondeurs des bols de gruau. L'un d'eux
donna à Wynter un coup de museau dans le ventre. Elle recula en
chancelant, le plateau bascula, et ce fut la goutte d'eau qui fit
déborder le vase pour Christopher :
« Chroch
leat ! aboya-t-il en frappant la grande tête du chien
du poing. Croch leat, a bhoid
clamhach ! »
Les chiens grognèrent, et Wynter s'inquiéta que
Christopher tente de les frapper avec le bol de cuivre. N'importe
qui aurait senti l'hostilité croissante des animaux, mais
Christopher paraissait avoir perdu tout sens commun, et leva à
nouveau le bol avec un cri.
« Christopher, le prévint-elle en regardant
les crocs montrés et les poils hérissés. Arrête ! »
Christopher la poussa brusquement derrière elle.
« Úlfnaor ! cria-t-il en regardant vers le camp. Tiens
tes maudits chiens ! » C'est alors que Wynter remarqua le
grand homme qui approchait, ses cheveux noirs
au vent, ses bracelets brillant au soleil. « Tiens tes chiens,
Aoire ! exigea Christopher en hadrish. Ils me poussent à
bout ! »
Úlfnaor ne parut pas s'offenser, son visage et sa
posture indiquaient qu'il avait la tête ailleurs. Il siffla et ses
chiens revinrent vers lui au galop. En adoration, ils se rangèrent
derrière lui.
« Coinín, justement je te cherchais. »
Il salua Wynter d'un hochement de tête poli et elle répondit de
même, sans quitter les chiens des yeux. Úlfnaor les regarda.
« Suigí síos »,
murmura-t-il.
Les grands chiens s'assirent aussitôt, et Úlfnaor
les gratta entre les oreilles. À ses doigts, ses nombreuses
bagues semaient des reflets d'argent. Wynter lui trouva un air de
profonde tristesse, comme s'il portait un fardeau invisible. Il
soupira et se tourna vers Christopher, une question sur les lèvres,
mais il hésita en voyant sa mine. Ses yeux sombres se posèrent sur
Wynter, en aussi piètre état.
« Frith an
Domhain, vous êtes épuisés, tous les deux. Pourquoi pas de
repos ? »
Christopher serra la bassine et les serviettes
contre sa poitrine nue, et ses yeux enflés et rougis se firent
durs.
« Merci de votre considération, seigneur
Úlfnaor, dit Wynter en détachant ses yeux du visage sinistre de
Christopher. Nous allons justement nous allonger un moment à
l'ombre.
— Très bien, repondit Úlfnaor en les regardant
tous les deux avec inquiétude. Très bien. Coinín, les Caoirigh
voudraient ta famille et toi avec eux ce soir. On dîne dans la
tente d'Ashkr et…
— Non, l'interrompit Christopher. Nous ne pouvons
pas rester. »
Úlfnaor plissa les yeux et serra les lèvres,
contrarié. Wynter s'en inquiéta, voulut présenter des excuses pour
ce refus brusque, mais Christopher lui coupa la parole, la voix
dure :
« Ashkr nous a dit qu'il n'irait pas plus
loin, Aoire. »
Le visage d'Úlfnaor s'éclaircit quand il
comprit.
« Ah.
— Il n'est pas possible, poursuivit Christopher,
que nous abusions davantage de votre hospitalité.
— Ah, répéta Úlfnaor. Je comprends. » Il
regarda Wynter. « Il n'y a pas de compréhension de nos
coutumes, ici, je comprends ?
— Aucune, de qui que ce soit. »
Les yeux d'Úlfnaor se durcirent à ces mots, et il
leva le menton pour regarder Christopher en face. « Eh bien,
Coinín Garron. Tu es bien le fils de ton père, nach ea ? »
Úlfnaor secoua la tête, comme devant un petit
enfant agressif. « Ce n'est qu'une invitation à dîner, Coinín.
Rien plus. Par égard pour Sólmundr, nous ne ferons rien d'autre que
déclarer Frith. Au moins, profitez de soir pour reprendre forces,
hein ? Donne à ta famille temps de repos. » Les yeux
sombres se portèrent de nouveau sur Wynter. « Ta croí-eile est très fatigue, Coinín, nach bhfuil ? Tu ne devrais pas si tôt la
ramener dans la forêt. »
Christopher considéra Wynter, épuisée et blessée à
côté de lui, et toute certitude quitta son regard.
« Coinín, souffla Úlfnaor. Wari me dit que
Tabiyb, il voulait pas venir traiter Sól. Il me dit que toi, tu as
fait accepter. Je voulais te dire merci. »
Christopher resta silencieux, les cheveux agités
par le vent.
« J'admets je voulais pas que Tabiyb vient,
dit Úlfnaor. Je pensais que c'était mal, pas respecter choix de
Sólmundr. Mais je suis content que Tabiyb a emporté la douleur de
Sól, et maintenant je remercie An
Domhan de son arrivée. An Domhan
a fait bon choix en amenant ici. Peut-être pour le Peuple
et pour vous ? »
Le visage de Christopher se froissa de confusion,
et Wynter sentit un léger malaise naître en elle.
« La vie loin du Peuple a été pas très tendre
avec toi, Coinín », murmura Úlfnaor. Il regarda les mains
ravagées de Christopher, les griffures qui avaient remplacé ses
bracelets, et son visage marqué. « Comme elle pas tendre pour
ton père. » Christopher leva le menton, les yeux trop
brillants, la bouche tremblante, et Úlfnaor eut un sourire
compatissant. « Les Merrons sont mieux entre eux. »
Wynter fronça les sourcils, fâchée de la tension
qu'elle sentait revenir en Christopher. Elle glissa le bras autour
de sa taille et regarda méchamment Úlfnaor. Elle ne comprenait pas
où il voulait en venir. Il semblait réellement compatir, mais cette
conversation contrariait Christopher, et Wynter ne pouvait
s'empêcher de regretter la présence de l'Aoire.
« C'est grave qu'on t'a volé, Coinín,
continua Úlfnaor. Mais maintenant, tu rentres, comme Sól rentré
avant. Après beaucoup années, beaucoup distance, An Domhan te ramène. C'est bien, que tu viens à
nous de nulle part, et nous donnes ce que nous besoin, quand on a
besoin. C'est signe. » Devant le silence de Christopher,
Úlfnaor soupira. « Les Caoirigh pensent que c'est signe,
ajouta-t-il doucement comme si cela pouvait valoir davantage que sa
seule opinion pour Christopher. Et ton Tabiyb ? Les Caoirigh pensent qu'il est bonne
chance, bon présage.
— Pas du tout, répondit soudain Christopher d'une
voix rauque, ses yeux injectés de sang, étincelants. Il ne porte
pas chance, ne dites pas cela. »
Úlfnaor écarta les mains. « Mais les Caoirigh
le disent. Toi et moi, on sait jamais ça qu'ils savent. » Il
haussa les épaules en signe d'impuissance. Puis il écarta le tout
d'un geste et d'un soupir. « Tu devrais dormir, Coinín.
Dégager l'esprit. Je te parle ce soir, dans la tente d'Ashkr, pour
dîner. » Il sourit à Wynter, ignora son regard noir.
« Bon repos, a luichín », lui
souhaita-t-il avec une tendresse sincère. Il scruta les cheveux de
la jeune femme, toujours attachés. Il leva la main pour se toucher
le crâne. « Mais maintenant, détache les cheveux, et montre le
respect. » Puis il se détourna, suivi de ses chiens, et
repartit là d'où il était venu.
Wynter serra la taille de Christopher, et ils
regardèrent l'homme retourner au camp. Le calme parut revenir, le
bruit des chevaux était apaisant, le vent venu de la rivière très
doux.
« Je suis fatigué, fillette, dit soudain
Christopher. Je… je ne sais plus où j'en suis. » Il cligna des
yeux avec stupéfaction, au bout du rouleau.
« Pourras-tu revenir avec moi à la
tente ? » murmura-t-elle.
Christopher fronça les sourcils comme s'il en
doutait, et repoussa ses cheveux derrière ses oreilles, observant
les chevaux avec une vague inquiétude. Wynter le serra contre lui.
« Viens, allons nous allonger. »
Les chiens d'Embla rôdaient devant la tente, et
Wynter se surprit à ralentir, embarrassée à l'idée de ce qui se
passait peut-être entre ces murs de tissu. Elle n'avait aucune
envie d'interrompre Razi et Embla s'ils poursuivaient ce qu'ils
avaient commencé à la table de toilette.
« Euh, dit-elle en observant les chiens
allongés. Christopher, je me demandais si… »
Heureusement, la grande blonde choisit ce moment
pour sortir de la tente, et Wynter poussa un soupir de soulagement.
Embla les remarqua et les salua d'un geste de la main.
« Comment allez ? Et comment vous trouve
la mi-jour ? » Wynter lâcha la taille de Christopher et
se pencha pour poser le plateau près de la porte de la tente. Les
chiens d'Embla se levèrent d'un bond, et la jeune femme recula
instinctivement quand les énormes bêtes se
bousculèrent pour renifler les bols de gruau vides. Wynter en
détourna son attention juste à temps pour rattraper Christopher qui
s'approchait de la porte, complètement indifférent à la présence
d'Embla.
« Chris ! cria Wynter en tirant sur la
ceinture de ses braies. Attends ! » Il la regarda d'un
air ébahi, puis considéra la femme souriante qui lui barrait la
route.
« Eh bien… soupira-t-il. Que… ? »
Le froncement de sourcils de Christopher s'intensifia. Il détailla
Embla de la tête aux pieds, puis jeta un coup d'œil dans la tente.
« Que… ? » Il plissa les yeux.
Wynter se détourna, les joues en feu. Embla était
parfaitement habillée, les bijoux et les cheveux en place. Mais sa
bouche était rougie, comme enflée, sa peau moite, et il émanait
d'elle une plénitude, un air languide et satisfait qui ne pouvait
avoir qu'une seule explication.
« Coinín veut s'allonger quelques instants,
ma dame, expliqua Wynter en détournant les yeux. Et Úlfnaor nous a
invités pour un dîner ce soir dans la tente d'Ashkr. Peut-être vous
y reverrons-nous ? »
Embla lui posa une main délicate sur l'épaule, et
Wynter regarda ses yeux doux. « Tabiyb dort », dit la
dame. Et cette simple phrase dissipa tout le malaise de la
situation. Wynter hocha la tête avec reconnaissance. À sa
surprise, Embla tendit la main vers son front. « Tu es
blessée, Iseult. » La fraîcheur de sa main contre son hématome
était très apaisante.
Wynter ferma les yeux sous cette caresse puis se
secoua. « Ce n'est rien, dit-elle en se couvrant le front avec
la main. Chris… Coinín m'a sauvée avant qu'on puisse me faire du
mal. »
Embla se tourna vers Christopher, qui s'était
appuyé contre la tente et la regardait avec une contrariété
flagrante. « Coinín », dit-elle en s'approchant pour le
toucher. Il la regarda encore plus durement, et Embla laissa
retomber sa main pâle. « Vous devriez vous coucher maintenant,
oui ? Ta croí-eile. Vous devriez
dormir tous les deux. » Elle l'observa avec tendresse.
« Vous êtes en sécurité, ici, Coinín. Vous n'avez pas
inquiéter. Le Peuple veillera sur toi, maintenant. »
Devant cette bonté implacable, le ressentiment de
Christopher s'effrita, pour ne laisser qu'une confusion contrariée.
Au bout d'un moment, Embla soupira et hocha la tête, compréhensive.
« Je vous vois ce soir, oui ? Pour repas ? Tabiyb,
il a accepté de déclarer Frith avec nous. » Christopher ferma
les yeux, alarmé par cette nouvelle. Mais Embla sourit, sereine, et
se tourna vers le camp. « Cela me rend
très heureuse. Toi aussi, Iseult, dit-elle. Toi aussi, déclare
Frith. Toute la famille de Tabiyb. C'est bien. Bon présage,
oui ? »
Wynter déglutit nerveusement et hocha la tête,
très troublée. Embla partit en s'inclinant légèrement, et Wynter et
Christopher entrèrent dans la tente pour s'abriter du soleil.
L'intérieur était étouffant, comme si l'espace
était trop étroit ; il suffisait de passer la porte pour avoir
mal à la tête. Christopher alla d'un pas hésitant s'appuyer contre
l'un des piquets du fond. Il décrocha quelque chose, et Wynter vit
qu'il s'agissait d'une longue et fine cheville en bois, qui montait
jusque dans les hauteurs obscures de la tente. Quand Christopher la
fit tourner entre ses mains, quelques cordelettes se tendirent en
haut de la tente et trois rabats s'ouvrirent vers l'extérieur pour
laisser entrer une lumière tamisée et une quantité étonnante d'air
frais.
« Oh, Christopher ! soupira Wynter en se
tournant vers le courant d'air. C'est délicieux ! »
Christopher sourit, le ravissement de la jeune
femme réchauffa son visage. Il raccrocha la cheville et gagna leur
lit tant bien que mal. Il rampa sur les fourrures, puis s'allongea,
laissant échapper un sifflement entre ses dents serrées.
Wynter regarda le lit d'Embla. Perdu au milieu des
fourrures en désordre, Razi dormait profondément, le visage tourné
vers le mur. On ne voyait de lui qu'un long dos brun, qui respirait
doucement dans l'ombre.
« Fillette ? appela Christopher soudain
paniqué. Où est Razi ? » Wynter lui sourit, pas vraiment
surprise. Christopher était totalement étourdi de fatigue.
« Il est juste là, Christopher, répondit-elle
en indiquant le lit voisin. Il dort.
— Oh. » Il laissa retomber sa tête.
« Oh, c'est bien. »
Il ferma les yeux un moment, puis les ouvrit de
nouveau pour observer le plafond. « Si elle revient le chercher, dis-lui qu'il est occupé.
Raz… il ne comprendrait pas ses intentions. »
Wynter gloussa. Razi et Embla semblaient plutôt
clairs quant à leurs intentions
respectives. « Razi n'est pas un enfant, Christopher. Et je ne
te savais pas si prude !
— Il n'est pas merron, et Embla est Caora Beo. Razi ne la comprendrait jamais.
— Tu crois que cela lui fera trop de peine. Tu
crains pour son cœur ? » Christopher ne lui répondit pas,
et Wynter le rejoignit sur les couvertures.
« Razi est adulte, Christopher. Il sait ce qu'il
veut. »
Wynter s'installa sur le flanc, un bras sous la
joue, pour regarder Christopher. L'air qui filtrait depuis le
plafond était délicieux, une soie fraîche courant sur leurs corps
brûlants. Ils restèrent un moment au calme, savourant ce
contact.
« Je n'aurais jamais pensé me recoucher dans
un puballmór », dit Christopher en
inspirant profondément et en fermant brièvement ses yeux injectés
de sang. Il posa les bras sur sa tête, libérant l'odeur des
branches de pin du sommier. « Cette odeur m'a tellement
manqué… » Il se détendit, les bras posés contre sa tête, les
cheveux étalés sous lui comme des ailes noires. Wynter s'attendait
à ce qu'il s'endorme aussitôt, mais il observait les murs de la
tente. Les symboles peints à l'extérieur se découpaient en
silhouettes rouges sous le soleil. Le cuir oscillait doucement au
gré du vent. « Le puballmór de mon
père était peint de serpents, dit-il en levant la main pour suivre
les contours d'un ours. Le jour où la tribu m'a adopté et baptisé
Coinín, il a peint un lapin sur chaque mur, pour montrer que
j'appartenais à leur famille. » Les yeux de Christopher
scintillèrent, et il posa la main à plat contre le mur, étoile
sombre et difforme sur la poitrine de l'ours. « Papa… »
murmura-t-il.
Wynter caressa le ventre lisse de Christopher.
Elle voulait simplement le réconforter, mais, à son contact,
Christopher rugit et écarta sa main d'un coup, le visage
menaçant.
Wynter recula. Christopher resta un instant figé,
horrifié par son geste. Puis il lui prit la main. Avec soin, il
pressa la paume de Wynter sur son ventre et se rallongea sur les
fourrures.
Ils restèrent ainsi un long moment, Wynter avec
les bras tendus entre eux, Christopher tenant sa main contre sa
peau. Puis il prit une grande inspiration, cligna des paupières
pour chasser la lumière tremblante dans ses yeux, et dit :
« Tu ne devrais pas me surprendre, fillette. Je ne me contrôle
pas, ces temps-ci.
— Souffres-tu ? As-tu besoin de
Razi ? »
Christopher secoua la tête, les yeux fixés au
plafond. « Tu m'as surpris, c'est tout. »
Wynter contemplait son visage rigide, mais ne le
crut pas. Ces hommes l'avaient blessé quelque part – peut-être
au ventre – et il refusait de le lui dire. Je vais m'assurer que Razi t'examine,
décida-t-elle. Fierté ou pas, j'insisterai
pour que tu acceptes. « Tu ne veux pas
dormir ? » demanda-t-elle doucement. Christopher secoua la tête, et serra désespérément la main de
Wynter. Elle décida de le laisser tranquille.
Elle s'apaisa à côté de lui, et la tension quitta
peu à peu le corps de Christopher. Il gardait fermement sa main sur
celle de son amie, et elle ne tenta plus de le caresser. Elle
laissa sa paume contre la peau chaude de son ventre, sentit son
souffle ralentir, vit son visage s'adoucir. Peu à peu, Christopher
relâchait son étreinte.
« Christopher ? demanda Wynter.
Qu'appelez-vous Frith ? Je pensais que c'était votre Dieu,
mais ce n'est pas le cas ? »
Il secoua la tête.
« Cette cérémonie, cette cérémonie de Frith…
ce sera grave ? »
Elle avait à l'esprit tout ce qu'on lui avait
raconté sur les païens – torture, sacrifice sanglant,
copulation rituelle – et cela lui faisait peur. Elle ignorait
ce qu'on attendrait de Razi et d'elle. Mais, à sa surprise,
Christopher sourit doucement à la lumière. Il attira sa main sur sa
poitrine, où elle sentit son cœur battre. « Oh non, fillette.
C'est une cérémonie superbe. Je l'ai toujours aimée.
— Oh ! » Après sa réticence à l'encontre
d'Úlfnaor, Wynter était surprise de voir un tel plaisir sur le
visage de Christopher.
« Frith… Frith, c'est beaucoup de choses. La
communauté, l'union d'intention, la sécurité. C'est… c'est
difficile à expliquer. » Christopher se tut. Quand il reprit
la parole, ce fut d'une voix lourde et lente, solennelle.
« Quand nous déclarons un endroit Frith, nous nous
l'approprions, pour tout le Peuple. Nous en faisons un bien commun,
un site sûr et béni pour toutes les tribus. Nous le faisons pour
nos camps partagés. Pour nos lieux de réunion. Pour les
emplacements sacrés. Partout où le Peuple se retrouve sans
conflit. »
Wynter fut effrayée de voir les yeux de
Christopher briller. Une larme brilla sur sa pommette, et disparut
dans l'ombre de son cou. « Cela fait savoir à An Domhan que nous ne pensons pas à mal. C'est une
protection, pour nous. » Il lui serra brièvement la main et
ferma les yeux.
Ça me paraît positif,
songea Wynter. Cela paraît même
magnifique.
« Pourquoi pleures-tu,
Christopher ? » demanda-t-elle. Elle ne voulait pas
l'humilier, mais elle avait besoin de savoir. Christopher secoua la
tête avec véhémence. Non, disait son
visage. Ne me pose pas cette
question.
« Ça paraît superbe, ce Frith. Ça paraît
bon.
— Ça l'est, Iseult, vraiment. Tu dois me
croire.
— Pourquoi veux-tu que nous
partions ? Alors que ces gens peuvent veiller sur nous ?
Ils nous protégeraient, n'est-ce pas ? Ils veilleraient sur
nous. Si nous le leur demandions ? »
Il hocha la tête.
Il sait que son peuple n'a
aucune chance de s'installer ici. Peut-être cela lui fait-il de la
peine, qu'on les dupe ainsi, et que nous soyons obligés de nous
servir d'eux pour rejoindre Albi. Il ne veut pas en profiter, ne
veut pas jouer une loyauté contre une autre. Compatissante,
elle fronça les sourcils, et reposa la tête sur les fourrures.
Mais qui sait ce que l'avenir leur
réserve ? se demanda-t-elle. Qui
sait quelles mesures pourraient être prises, une fois que nous
aurons atteint le camp d'Albéron ? Peut-être y aura-t-il une
place pour chacun, là-bas ?
Les bruits du camp filtraient au travers des murs
de la tente, paisibles et rassurants. Les yeux de Wynter se
fermèrent peu à peu, et, sans y réfléchir, elle caressa du pouce la
chaleur rassurante de la peau de Christopher.
Protection,
pensa-t-elle. Abri. Frith.