Le verso

Il y avait des semaines déjà qu’elle se refusait alors qu’il tentait en vain de l’attirer jusqu’à son appartement. Jamais encore il n’avait réussi à la voir en dehors d’un lieu public, pas même dans un ascenseur ou un corridor désert.

Il en était à désespérer quand elle l’invita un jour, très simplement, à venir à son domicile alors qu’elle n’avait encore jamais consenti à lui donner son numéro de téléphone.

Elle habitait au fond d’un quartier résidentiel très cossu, dans une petite rue fort provinciale où toutes les maisons de deux ou trois étages devaient être des hôtels particuliers.

— Je suis contente de vous voir, dit la jeune femme en lui ouvrant la porte verte de sa demeure dont la façade semblait avoir été récemment repeinte.

Dès l’entrée, on sentait que tout, dans cet intérieur, respirait le goût et l’harmonie, la quiétude intime. La jeune femme elle-même avait l’air de flotter, alanguie, dans un déshabillé arachnéen qui révélait au hasard des mouvements la courbure d’un sein, le galbe d’une cuisse, parfois même le renflement au seuil du sexe.

Elle évita l’escalier de bois sombre, lui désigna le couloir. Il crut qu’elle allait ouvrir une des portes qui devaient donner dans des pièces sobres, tout en bois ciré, en reflets cuivrés, comme on en voyait encore dans les maisons de campagne du siècle dernier. Et puis non, elle alla jusqu’au bout du corridor qui traversait la maison de part en part.

Elle s’arrêta enfin et, sans marquer aucun temps de pause, se tourna vers lui pour tendre la main et sourire, comme essoufflée par des heures de joie inespérée, en disant :

— Je suis tellement heureuse d’avoir pu vous recevoir chez moi.

Elle ouvrit ensuite la porte de sortie qui ressemblait exactement à celle de l’entrée avec la différence qu’elle était en bois verni très clair. Et il se retrouva dans une petite rue très provinciale où toutes les maisons de deux ou trois étages devaient être des hôtels particuliers. Une rue qui était le reflet exact de celle qu’il avait empruntée en arrivant.

Au-dessus de la porte verte une plaque indiquait le numéro 93. De ce côté-ci, la façade portait le numéro 39.