À part ses fleurs et ses plantes, il aimait la femme avec laquelle il vivait depuis quelques années.
Son monde se limitait à ces deux passions. Exclusives et d’égale intensité. Souvent, en effet, il lui arrivait de regarder ses fleurs tropicales, puis le corps de sa superbe femme, ses plantes rares, de nouveau le visage également fascinant de sa compagne, cela durant de longues, très longues minutes et vraiment il se sentait aussi bouleversé par sa femme fleur que par ses végétaux si féminins.
Puis, un jour, des rumeurs se mirent à circuler dans la région, de maison en maison, jusqu’au bourg le plus proche. On s’étonna de constater que personne n’avait plus aperçu la femme de l’horticulteur depuis un certain temps alors que les voisins et les commerçants la voyaient régulièrement, même si elle parlait peu et tenait tout le monde à distance.
Il y eut enquête.
Assez insistante dès les premières questions, de plus en plus soupçonneuse puisque l’horticulteur répondait assez évasivement quand déjà il consentait à prononcer quelques paroles.
On fouilla la maison de la cave au grenier, on ne décela rien de suspect. On déplaça les meubles, on enleva les dalles de la cave, on fit quelques trous dans certains murs, on ne trouva aucune trace de corps ou de sang. On remua la terre du jardin, les pavés de la cour intérieure, les planches d’un hangar, on ne trouva absolument rien, aucun indice. On voulut même retourner à la bêche le sol artificiel de la grande serre tropicale, mais les plantes les arbres et les grouillants végétaux s’enchevêtraient sur chaque centimètre carré en une jungle tellement inextricable que toute fouille paraissait ridicule.
On abandonna, on fit même quelques excuses.
Et pourtant, si les policiers s’étaient aventurés dans le monde étouffant et suintant de cette énorme serre… Ils auraient vu ce que l’horticulteur voyait tous les soirs depuis des semaines, ce qu’il passait des heures à regarder, extasié, pris entre les délectations du morbide et celles de l’amour fou.
Ils auraient vu, là sous l’ombre parasol d’une feuille géante, une main effilée délicatement ciselée qui semblait s’enliser entre les pétales d’une fleur transparente ; là, un peu plus loin, un bras couleur ivoire, si fin qu’il servait de tuteur à une fragile plante qui serpentait du sol vers d’inaccessibles hauteurs ; là, à un autre niveau, des doigts presque diaphanes greffés à la base de vénéneuses orchidées ; un peu plus loin, les deux demi-globes blafards d’un cul parfait, marmoréen, comme une vasque renversée d’où surgissait la longue tige d’une fleur des tropiques.
Et surtout, au milieu d’une flaque de petit marais, posée très droite, hautaine et livide, une étonnante tête de femme qui semblait incrustée, prisonnière de sa beauté, entre les courbes et les replis d’un gigantesque nénuphar.