Les mots

Je lui disais toujours : « Tu es une fille de rêve. » Phrase peu originale car beaucoup d’hommes amoureux la murmuraient à des femmes bien ancrées dans la plus plate réalité, souvent dépourvues de tout charme, de grâce comme de quelque insolite beauté. Mais Virginie avait vraiment l’air de sortir d’un rêve.

Tout en elle évoquait son côté improbable, son apparence irréelle : ses immenses yeux fiévreux, son teint trop clair de douce vampirisée, sa taille si fine qu’on aurait pu l’enserrer dans un bracelet, son absence de densité charnelle alors qu’elle dégageait de tout son corps ce fluide érotique de certaines filles longues et minces.

Je mis un certain temps à oser lui adresser la parole. Puis des mois et des mois avant de lui avouer l’amour et le désir qu’elle m’inspirait. Enfin, du jour au lendemain, elle accepta de me voir très régulièrement. Le plus souvent, elle se montrait assez distante et ne se laissait inviter que dans des endroits où il fallait observer une certaine réserve. Parfois, au contraire, elle semblait ivre de se laisser séduire, embrasser, caresser, mais refusait invariablement de passer une nuit avec moi.

Un soir, cependant, alors que je m’étais résigné à vivre exalté par sa présence et en manque de son corps, elle me demanda de l’emmener chez moi. Aussi simplement que si elle venait de me rencontrer et qu’elle trouvait naturel de faire l’amour sans inutiles préliminaires.

Et comme j’aurais pu le pressentir, son personnage éthéré, évanescent, exagérément décent, craqua de part en part quand elle se retrouva nue, seule avec moi pour la première fois, et elle se donna au plaisir durant des heures dans un débordement de râles et de spasmes, de fureur et de douceur.

Au bout extrême de notre jouissance commune, englués l’un contre l’autre, à l’aube nous nous écroulions dans le sommeil.

Quand je m’éveillai, au début de l’après-midi, je sortais d’un rêve enjôleur où, en un endroit imprécis, une Virginie plus vraie que nature me caressait du bout des doigts, de façon assez chaste, presque timidement.

— Tu n’es pas seulement une fille de rêve, murmurai-je en m’étirant avant de me renverser sur elle, je rêvais justement de toi avant de me réveiller.

Mais je ne me réveillai vraiment qu’en comprenant que je basculais dans le vide, sur ce lit, je ne voyais qu’une désertique surface de blanc sans la moindre trace de Virginie auprès de moi.

Impossible de nier les faits : l’oreiller portait l’empreinte de sa tête, mais je n’eus pas besoin de me lever pour la chercher dans l’appartement, je savais qu’elle n’était plus là.

J’avais compris et je tombai au fond de cette aberrante évidence comme dans un puits où seul l’indicible m’attendait : Virginie avait accepté de passer la nuit avec moi et, tout naturellement, après l’amour sauvage elle s’était retrouvée dans mon rêve plein de douceur et plus jamais je ne la retrouverais dans la brutale réalité qui lui convenait si mal. Personne, d’ailleurs, ne l’y revit jamais.

Virginie était vraiment une fille de rêve, comme je le lui disais toujours.