C’est par hasard qu’il avait trouvé un jour ce numéro spécial d’une revue d’art consacré aux photos libertines de la Belle Époque.
Rien qu’en le feuilletant, il tomba en arrêt devant une photo reproduite en pleine page, en noir et blanc singulièrement contrastée, violence débraillée qui donnait un choc sans rapport avec la mièvrerie des traditionnelles photos couleur pastel. L’image qui le frappa si violemment avait, en plus, sa force de percussion : une femme un peu trop dodue accroupie à quatre pattes sur un tapis douteux, posée là les cuisses largement ouvertes, tendant à tout voyeur anonyme un superbe cul presque blafard, profondément fendu, agressivement bouffé par la lourde toison de poils très sombres d’un con offert inversé ce qui doublait son pouvoir de vulgaire provocation.
Jamais il n’avait vu une image érotique dégager pour lui une telle obscénité crûment déballée alors que les jolies images satinées de branlettes proprettes des magazines à la mode l’avaient toujours fait sourire.
Il y avait cinq ans déjà qu’il gardait ce document dans un classeur contenant ses photos personnelles, toutes d’une irréprochable chasteté. Il ne possédait même pas quelques Polaroid des beaux corps de certaines de ses amies. Jamais des clichés de ce genre ne lui avaient fait le moindre effet.
Mais, en dépit du désir qu’il ressentait à cette époque pour une femme à peine rencontrée, dès le premier jour il avait été emporté par le besoin de se branler devant la photo découverte par hasard. Et, au gré des moments, des années, il lui arrivait encore de se masturber devant cette créature sans visage réduite à une croupe envahissante, véritable cliché de la porno qui coïncidait secrètement avec ses fantasmes personnels.
Et comme il était assez infidèle, très attiré par les inconnues, vite lassé quand il les avait dans sa vie, il lui arrivait souvent de rester en manque entre deux trop brèves liaisons.
C’est à ces moments-là qu’il revenait à la photo 1900. Exclusivement à elle. À travers tout, il demeurait fidèle à cette image en particulier. Jamais il ne lui serait venu à l’idée de s’exciter devant une autre. Seule cette image exagérément provocante qui sentait le fauve, la moiteur et le foutre anonyme, le rut à l’état pur, le troublait instantanément même quand il venait de perdre une femme désirée et demeurait sur sa soif d’un corps bien précis.
Jusqu’au jour où, un lendemain de rupture parmi tant d’autres, il sortit de son classeur son document de prédilection, il l’ouvrit à la page voulue, ce qu’il aurait pu faire les yeux fermés et il en crut difficilement ses yeux pourtant grands ouverts.
Il regardait, il avait du mal à croire ce qu’il ne voyait plus : la femme dont il lorgnait la croupe obscène obsédante depuis cinq ans ne figurait plus sur le document. Il ne restait plus sur la photo que le tapis usé, le gris sale de la chambre de passe.
Et, en travers de la page, un message hâtivement griffonné en grosses lettres mal formées :
DEPUIS LE TEMPS QUE J’EN AVAIS MARRE DE RESTER À QUATRE PATTES POUR TE MONTRER MON CUL.
TROUVES-EN UNE AUTRE.