Hanté et dégoûté par la mort, peut-être pour exorciser cette obsession, il avait consacré toute sa vie à défier les risques les plus insensés, à narguer toutes les variations du danger de mort.
Tout y avait passé, tout lui avait réussi : traverser le Pacifique en planche à voile sans radio et sans accompagnement ; avaler le désert du Sahara en Solex ; descendre le Zambèze en canoë esquimau ; parcourir la Sibérie en patins à roulettes ; faire le tour du Groenland à bord d’un dériveur léger ; se laisser emporter dans les torrents furieux du Colorado à califourchon sur un tronc d’arbre.
Et ainsi de suite, au gré des continents et de l’inépuisable réserve de pièges qu’ils recelaient.
À la longue pourtant, il ne s’en tira pas indemne. Mais gagné par une paralysie des deux jambes, arrimé à un fauteuil roulant, il en profita pour participer au Paris-Dakar, épreuve tapageuse qu’il avait toujours trouvée indigne de lui. Il s’en sortit évidemment sans le moindre malaise.
Comme il avait gagné pas mal d’argent, il n’eut aucune difficulté à épouser sa très séduisante infirmière qui n’avait que vingt-trois ans alors qu’il venait d’entamer sa quatre-vingtième année.
Un an plus tard, il ressentit tous les soirs avant de s’endormir des malaises diffus de plus en plus lancinants. Il ne pouvait pratiquement plus bouger depuis quelques mois, mais il pouvait encore penser. Et faire le rapport entre certains faits indubitables : ces malaises lui tenaillaient les entrailles chaque fois qu’il venait d’avaler la tisane bien chaude et bien sucrée que son épouse lui apportait avec une tendre sollicitude sur le coup de 10 heures du soir. Et, en observant avec plus d’acuité le regard bleu candide de sa femme si dévouée, il lui fut facile de détecter, derrière cette candeur, le reflet métallique d’une implacable détermination.
Alors, douillettement installé dans son appartement velouté et feutré, il comprit avec terreur ce que signifiait « vivre dangereusement » : attendre sans aucune chance de s’en sortir la venue sournoise de la fin, d’un instant à l’autre. La mort, avec laquelle il avait flirté durant toute sa vie. Cette fois, il l’avait épousée.