Humble employé au tri postal depuis plus de vingt ans, pour rien au monde il n’aurait abandonné ce travail qui était toute sa raison de vivre.
Tous les jours, en effet, il avait pris l’habitude de subtiliser une cinquantaine de lettres qu’il emportait chez lui, en rejetant systématiquement celles dont les enveloppes révélaient la lettre d’affaires ou la facture. Seules les lettres d’amour l’intéressaient.
Dans son modeste meublé, il commençait par les ouvrir toutes à la vapeur, puis il les lisait avec attention pour éliminer celles qui n’étaient que familiales, amicales, touristiques ou analytiques, bref le tout-venant. Celles-là, il les remettait dans leurs enveloppes qu’il refermait avec une louable minutie.
Mais il accordait sa soirée et une partie de la nuit aux quelques missives – rarement plus de quatre ou cinq – écrites par des amoureux, repus ou éperdus, déçus ou mordus, surtout si le ton montait jusqu’au convulsif. C’est à cet instant qu’il s’enlisait dans sa passion personnelle : en incomparable virtuose de la contrefaçon épistolaire, il récrivait méticuleusement à la main les lettres sélectionnées, saccageant à plaisir leur texte original, transformant les déclarations obscènes en glaciales ruptures, les reproches agacés en demandes d’amour, les mièvreries sentimentales en dégueulis orduriers et les tendres approches en giclées de fiel. Avec pour seul point de mire la perturbation psychique, le bouleversement dans la vie de ceux qui allaient recevoir, avec un jour de retard, une lettre attendue métamorphosée en charge explosive.
C’était là son seul plaisir. Et même son seul vice.