Elle avait eu beaucoup d’amants, elle en avait sincèrement aimé quelques-uns et elle n’arrivait pas à endiguer son penchant pour un sentimentalisme parfois exagéré.
Ainsi, depuis plus de trente ans, elle entassait sur des étagères et dans des vitrines les objets ou les matériaux les plus hétéroclites, généralement d’une extrême banalité : des brindilles d’arbres, des cailloux, des coquillages jamais exotiques, des feuilles desséchées, des boîtes vides, des emballages, des tickets usagés, des bouts de tissu, n’importe quoi, vraiment. Mais ces petits riens, elle ne les gardait jamais sans raisons ni surtout par goût de ramasser tout ce qui lui tombait sous la main.
Un sachet de sable pouvait rappeler la plage où elle avait connu le plus d’orgasmes ; une branchette pouvait être celle qu’elle tripotait nerveusement au cours d’une rupture ; une cigarette entamée celle qu’elle avait abandonnée sous les premières caresses d’un homme aimé ; un morceau de papier, un aveu d’amour qu’elle avait préféré déchirer.
On peut dire que, d’une certaine façon, elle avait consacré toute sa vie à cette collection un peu particulière. Et assez inutile, surtout : en effet, comme elle n’avait aucune mémoire, il lui était strictement impossible de se rappeler à quels souvenirs évanouis ces milliers d’objets pouvaient bien se rattacher.