Des femmes, il en avait connu des dizaines.
Et très souvent des femmes dont il avait été sincèrement amoureux, mais toujours de façon assez éphémère. Ni son désir ni ses sentiments ni sa fascination ne franchissaient sans s’altérer le cap d’une année.
On aurait pu le croire versatile, cynique, superficiel alors qu’il était simplement lucide, intransigeant, incapable de se laisser duper, d’accepter des compromis. Rien, à ses yeux, n’avait jamais eu la moindre importance, la moindre force d’impact, à part la femme. Elle seule comptait pour lui, elle seule pouvait le faire rêver, espérer, s’oublier.
Son plus grand regret, en réalité, était de n’avoir pas réussi à vivre en monogame. Car il n’allait de l’une à l’autre qu’avec la conscience de ne jamais avoir trouvé la femme de sa vie. Celle qui lui aurait été aussi indispensable qu’une drogue dure et douce avivant en permanence tous ses fantasmes, l’adjuvant dont il aurait eu besoin jour et nuit, une femme qui lui aurait distillé l’assouvissement en baisant ou en se refusant, en lui parlant ou en se taisant, en le regardant ou en se détournant, en étant simplement là ou absente au contraire pour le laisser en état de manque. Il n’avait jamais eu que des succédanés de ce qu’il cherchait, des bribes : un corps comme il en rêvait, un regard déchirant, un vrai sens du dialogue, une angoisse sœur, un sens de la dérision ou de l’équivoque si souvent recherchés.
Mais cette quête du tout en une seule restait vaine, chaque nouvelle rencontre lui apportait une déception un peu plus lancinante, chaque année qui passait le rejetait dans un découragement de plus en plus morne. Il persévérait malgré tout, car il savait que cette femme toujours espérée devait exister quelque part, qu’il l’avait peut-être croisée souvent sans le savoir comme il avait pu la manquer à quelques secondes près dans le temps ou à cent mètres près dans l’espace.
Il mourut à cinquante-deux ans sans l’avoir trouvée. On l’enterra dans la plus stricte intimité, ce qui coulait de source car il n’avait pas de famille, pas d’amis, pas de relations puisqu’il n’avait jamais travaillé et il ne lui était jamais venu à l’esprit de rester en contact avec ses compagnes de passage.
Quelqu’un, pourtant, assistait à son enterrement. Une femme d’une trentaine d’années dont le beau visage grave exprimait autant d’ironie morbide que de lucidité, autant de calme intransigeance que de refus de toute futilité. Impassible, elle disait sa tristesse de tout son corps, de tout son silence, sans un geste, sans un tic nerveux, sans la moindre réaction perceptible.
Elle avait de bonnes raisons d’être triste. Depuis un certain temps déjà, elle cherchait une occasion d’adresser la parole à l’homme qu’on mettait en terre. Elle habitait dans un immeuble en face du sien, mais elle ne l’avait encore jamais croisé dans la rue ou dans un endroit public. Où il l’aurait certainement abordée, elle en était sûre parce qu’elle avait toujours eu la certitude qu’ils étaient faits pour s’aimer, pour vivre ensemble.
Mais elle allait vers lui alors qu’il était à tout jamais trop tard. Et le défunt ne pouvait même plus comprendre qu’il avait enfin rencontré celle qu’il cherchait depuis si longtemps, devenue la femme de sa mort.